Chansons de
femmes :
voix
tragiques
Par
Joëlle
DENIOT,
sociologue,
Université
de Nantes
La coco, À
la dérive,
Sous les
ponts, Les
Naufragés...
ivresse
d'un chant
d'abîme et
de nuit.
Même si les
chanteurs
abordèrent
mélodies et
thèmes
réalistes,
ceux-ci
furent
pourtant
essentiellement
portés, à la
postérité,
par des
femmes si
l'on se
réfère à la
première
moitié du
XX siècle,
période où
cet univers
musical
atteint son
apogée avant
de connaître
son déclin.
Prenant
appui sur
les grandes
figures
archétypales
de Fréhel,
de Damia et
de Piaf,
nous nous
attacherons
à découvrir
les
significations,
les raisons
de cette
correspondance
entre
féminité ou
féminitude
de la voix
et chansons
de la
plainte. Il
ne s'agit
pas d'un
simple
renvoi au
statut
dominé des
femmes dans
l'ordre
social en
place. Car
si la
chanson est
parole, si
elle est
représentation,
nous posons
qu'elle est
d'abord
souffle,
voix,
visage,
qu'elle
renvoie à
cet autre
continent du
langage et
du corps
dont ces
femmes, ces
trois «
Black Ladies
», se
sont faites
interprètes
inventives.
Créant un
espace
visuel et
vocal
original et
une
ritualité où
s'accomplissent
d'antiques
sacrifices,
elles
offrent, en
tonalités
variables,
ce tragique
essentiel du
corps, livré
par la voix.
Elles nous
convoquent à
une liturgie
musicale du
deuil et de
la douleur,
renouvelant,
en une
version
féminine
moderne, le
tragique «
comme
catharsis
esthétique
de la
tristesse ».
Portée par
l'élément
héroïsé de
la voix,
mise en
scène avec
des couleurs
crépusculaires,
des
gestuelles
parfois
dramatiques,
cette
esthétique
de
l'interprétation
tantôt
épique,
tantôt
romanesque,
si elle
s'opère sous
les modes du
féminin,
s'opère
également
sous les
modes d'une
féminité
ambiguë,
souvent même
androgyne.
Autant dire
que, par
bien des
façons,
cette
esthétique
du pleur est
transgressive.
C'est en
cette sorte
d'excès
baroque de «
l'âme et du
corps » que
nous
définissons
cette
chansons
féminine
réaliste,
mêlant le
prosaïque et
le sublime,
le tragique
et le
comique, la
légèreté et
la passion
extasiée.
Voix
sans-nom,
s'il en est,
parmi tous
les anonymes
de la rue et
de la foule,
Fréhel,
Damia, Piaf,
sont
devenues des
voix-cultes...
saturniennes,
nostalgiques
qui ont
dansé sur un
fil
invisible
entre ombre
et lumière,
entre vie et
mort.
Mais que ce
soit sur les
grandes
scènes
lyriques ou
dans le
cadre de la
chanson
populaire,
cette
proximité
féminine du
chanter et
du mourir,
est
récurrente.
C'est dire
que se pose
là une
question
anthropologique
forte et que
derrière la
sociologie
de la
chanson, se
dessine le
chantier
d'une
archéologie,
d'une
mythologie
du cri.
La veine
réaliste
dans la
culture
populaire
Par Claude
JAVEAU,
Professeur
de
sociologie,
Université
Libre de
Bruxelles
Si l'on
entend par «
culture »
l'ensemble
des «
représentations
» que se
propose un
groupe de
son rapport
collectif au
monde, il
existe dans
la culture
du « peuple
»
(sommairement
définie ici
par son
inscription
primordiale
au « local
», par
opposition
aux couches
sociales qui
se réfèrent
à «
l'universel
») une
composante
réaliste,
à la
fois issue
d'elle et
revenue vers
elle par
systèmes
d'enculturation
interposés,
qui traduit
(a) la
proximité
plus grande
du peuple de
la « nature
» ; (b) la
précarité de
la condition
populaire ;
(c) la
résignation
populaire
face à un
destin
incontrôlable
; (d) la
revendication
du droit à
un destin
individuel,
fut-il
tragique,
face à la
frivolité
des classes
possédantes.
Essai de
définition
de la
chanson
réaliste
Par
René
BAUDELAIRE,
Docteur es
Lettres
Chanson
narrative,
qui raconte
une
histoire,
dramatique,
sombre,
généralement
une histoire
d'amour
malheureux :
la Femme est
perdante car
l'Homme
s'est lassé
d'elle
(Pars, Elle
fréquentait
la rue
Pigalle...),
quelques
fois,
exceptionnellement,
c'est
l'Homme
(Johnny
Palmer, Le
Petit
Monsieur
Triste,
Milord).
La fin
malheureuse
de
l'histoire
d'amour peut
être aussi
due aux
circonstances
(Mon
Légionnaire
est tué au
combat, le
marin dans
Escale fait
naufrage...)
Autres
sujets : la
Guerre (La
garde de
nuit sur
l'Yser, le
fanion de la
Légion), la
jalousie qui
mène à la
folie (La
mauvaise
prière), le
mystère de
l'au-delà
(Les
Goélands)...
Les
personnages
: des
errants, qui
n'ont pas eu
de chance,
dont on ne
sait rien,
ni le nom,
ni l'origine
(Mon
Légionnaire,
Escale,
L'Étranger...)
Archétypes :
le soldat de
la Légion,
le Marin, La
Fille du
Trottoir. Le
décor : un
lieu triste
(le quai
d'un port,
un train
dans la
nuit, la
rue... Le
style de la
chanson
réaliste
tend à
reproduire
le style
parlé
(élision des
"e",
suppression
des "ne"...)
Il faut une
symbiose
entre le
parolier et
le
compositeur.
Enfin, il
faut des
interprètes,
des
chanteuses
réalistes,
pas de
chanteurs
réalistes...
Pourquoi ?
Réalisme
et
naturalisme
dans les
chansons du
caf' conc'
Par Andréa OBERHUBER,
Institut für
Romanistik,
Université
d'Innsbruck
La seconde
moitié du
XIXe
siècle
voit
l'arrivée
puis
l'apogée
d'un nouveau
type de café
chantant, à
savoir le
café-concert
qui
assurera,
jusqu'à
l'invention
du cinéma,
son emprise
sur le
spectacle
populaire à
Paris et en
province
(c'est
autour du
caf'cone',
lieu de
divertissement
par
excellence
pour
différents
milieux
sociaux et
miroir d'une
société en
plein
bouleversemen/natu-ralisme
dans les
chant, que
nous
organiserons
nos
réflexions
sur le
réalismesons
de cette
époque).
L'une des
figures
phare de la
Belle Époque
et pionnière
du style
caf' cone'
fut la très
célèbre
Yvette
Guilbert,
suivie entre
autres de
Rosé Bordas,
Eugénie
Buffet, Anna
Judi et
Esther
Lekain côté
femmes, de
Frédéric
Doria,
Joseph Kelm
et Paulos
côté hommes.
La question
est de
savoir si
la diseuse
fin de
siècle dont
on
connaît
l'admiration
pour Zola
est un
reflet du
mouvement
littéraire
ou bien,
dans quelle
mesure elle
se place à
l'avant-garde
du genre
réaliste des
années 30-40
de notre
siècle.
Le
travail
d'interprétation
Par
Patrick VALÉRIAN,
chanteur et
écrivain
La chanson
réaliste se
présente
sous des
formes
multiples
tout au long
de son
histoire.
Comme tous
les autres
genres, elle
s'est en
effet
adaptée aux
modifications
de son
environnement
et aux types
de
médiations
qui l'ont
éloignée de
sa raison
d'être et de
ses lieux de
performance
originels.
Nous nous
proposons
d'énumérer
les
caractères
de
l'interprétation
réaliste, en
nous basant
sur les
rapports
qu'elle
établit
entre le
texte, la
musique et
la scène.
Nous
essaierons
de montrer
dans un
second temps
comment et
dans quelle
mesure les
changements
sociaux et
historiques
ont remis en
cause notre
modèle
initial.
De
l'observation
à la
contestation
: les
avatars du
genre
réaliste
Par
Serge DlLLAZ,
historien,
collaborateur
à la revue
Chorus
Fomenteur
des
phantasmes
les plus
divers, le
réalisme
chansonnier
a souvent
transgressé
l'interdit
social.
Grâce à son
pouvoir
d'évocation,
l'humanité a
pu ainsi
entretenir
la flamme de
la révolte
au-delà de
la
désespérance
du
quotidien.
En
l'inscrivant
dans la
théâtralité,
ses
interprètes
Font
aujourd'hui
hissé au
rang de
mythe.
De la
Goualante au
Musette :
origines et
cousinages
Par
Chantal BRUNSCHWIG-GRIMM
musicologue
et chanteuse
La chanson
dite
réaliste est
la dernière
étape d'un
genre qui
semble
apparaître
dès le
XVI siècle,
comme un cas
particulier
de la
complainte,
et qui
s'épanouit à
la fin du
XIX siècle
avec la
goualante,
métissage de
la
complainte
de la
tradition
orale par
l'argot des
affranchis
des
faubourgs.
Le génie
synthétiseur
et
commerçant
du genre au
cabaret est
Aristide
Bruant.
Le genre se
développe
alors en
scène par le
café-concert
avec le
personnage
de la «
Pierreuse »
dont la plus
célèbre est
Eugénie
Buffet. La
pierreuse,
chanteuse
des rues
prostituée
des
bas-quartiers,
est
l'ancêtre de
toutes les
grandes
dames en
noir de la
chanson
française :
de Damia,
première
vedette
consacrée «
tragédienne
de la
chanson », à
Edith Piaf.
Au
Music-Hall,
l'orchestre
se développe
en même
temps que le
style «
chanson
vécue » qui
emprunte
moins à
l'univers de
la pègre
qu'à celui
du drame où
l'on
retrouve le
beau
langage, les
grandes
mélodies et
les grandes
voix
appréciées
autrefois
dans les
salons.
C'est
l'accordéon-musette
qui rend la
chanson
réaliste à
ses
quartiers,
c'est-à-dire
en
l'occurrence,
à la
guinguette
où l'on
danse. Le
bal musette
est le nom
donné au bal
auvergnat à
la
cornemuse.
Selon la
légende,
c'est la
rencontre
d'un
accordéoniste
italien et
de son futur
beau-père
cornemuseux
rue de Lappe,
qui est à
l'origine de
la valse
musette et
de la java.
C'est Fréhel
qui, la
première, se
fera
accompagner
par
l'accordéon
et ses
danses.
Entré en
chanson,
celui-ci
n'en sortira
plus jamais
dans la
mémoire
populaire,
quels que
soient
ensuite les
ava-tas du
genre.
Celui-ci
commence à
se marier à
la poésie du
cabaret
avant la
guerre sous
l'influence
de Kurt
Weil. Ce
courant
s'épanouit à
la
Libération
avec de
grands
auteurs-compositeurs
comme
Francis
Lemarque,
Ferré,
Mouloudji ou
Jean-Roger
Caussimon et
continue
aujourd'hui
d'imprégner
en filigrane
toute une
partie de la
chanson
française.
Peut-on
parler d'une
musique
réaliste ou
d'un
réalisme
musical dans
la chanson
française
des années
20 à nos
jours ?
Par Mireille COLLlGNON,
musicologue,
Université
de Paris
IV-Sorbonne
nouvelle
Mais
d'abord,
qu'est-ce
que la
chanson
réaliste ?
Après avoir
recensé les
éléments qui
la
caractérisent
après la
première
guerre
mondiale,
après
l'avoir
situé par
rapport à
l'évolution
de la
chanson, on
verra dans
quelle
mesure ces
données
musicales
peuvent nous
aider à la
définir :
en
dégageant
les
particularités
et
conventions
musicales
qui en
dessinent
les
contours,
en étudiant
la
spécificité
des rapports
qu'elle
implique
entre le
rôle de
l'auteur, du
compositeur
et de
l'interprète.
On tentera
enfin, en
questionnant
d'un point
de vue
musicologique
les
circonstances
de son
déclin (dans
les années
50) et de
son récent
renouveau,
de renvoyer,
comme le
reflet à
l'image, la
chanson
réaliste au
contexte
socioculturel
qui lui
enlève ou
lui redonne
sa raison
d'être.
Chanson :
une
diffusion
difficile
Par
Pascale
BIGOT,
journaliste,
chargée du
pôle
régional
chanson à
l'A.R.I.A.M.
d'Ile de
France
Le caractère
vivant et
populaire de
la chanson,
paradoxalement,
est
aujourd'hui
un obstacle
à son
existence.
Pour roder
son art, un
débutant
peine à
trouver
petits lieux
et premières
parties. Le
public ne se
conquiert
plus par la
scène,
patiemment,
mais d'un
seul coup, à
grand
renfort de
matraquage
radiophonique
et de ventes
de disques.
Car la
chanson
dépend de
plus en plus
du système
industriel :
hors
rentabilité
immédiate,
point de
salut. Ainsi
une
consensuelle
frilosité
semble-t-elle
anesthésier
médias et
maisons de
disques :
plus un
artiste est
original,
émeut et
dérange,
moins il a
de chances
de se faire
entendre.
Complainte
traditionnelle
et
sublimation
du deuil
Par
François-Xavier VRAIT,
Art thérapeuthe,
Institut de
musicothérapie
de Nantes,
chargé
d'enseignement
à
l'Université
de Paris-V
René
Descartes
Dans
le
répertoire
de la
chanson
traditionnelle,
se trouve un
nombre
important de
récits
chantés
décrivant,
parfois avec
minutie et
force
détails, un
drame
individuel
(viol,
assassinat...),
un événement
familial
douloureux
(séparation,
enfanticide...),
ou encore le
destin
tragique
d'un village
(naufrage,
épidémie...).
Ces thèmes
éminemment
réalistes
entrent dans
la catégorie
de la
complainte.
Au-delà
de la
classique
transmission
de mémoire,
la
question se
pose de la
fonction
psychosociale
de ces
chansons du
drame, du
désespoir et
de la mort.
L'importance
de ce type
de
complaintes
en Bretagne
(dont on
connaît la
proximité de
la mort dans
les
représentations
mentales et
la
mythologie)
permet
d'ouvrir à
des effets
de
compréhension,
du côté de
la
sublimation
du deuil,
tant pour
l'individu
et son
rapport à sa
propre
disparition,
que pour un
peuple
confronté à
de multiples
perspectives
acculturatives.
Vas, tu n'es
qu'un
ouvrier.
Qu'un rien
qui vaîlle,
Trâvâ-â-yee
Par
Roger
CORNU,
sociologue,
CNRS-Université
de Provence
Dès que
l'on
prononce les
mots «
chanson
réaliste »,
il semble
que cela
soit
immédiatement
compris et
la réponse
s'appuiera
sur des noms
de chanteurs
et de
chanteuses.
Tout se
passe comme
si la
chanson
réaliste
était une
chanson
chantée par
des
chanteuses
(leurs)
réalistes,
l'interprète
déterminant
la
classification.
Je suis
parti d'une
autre
entrée, en
me demandant
ce que la
chanson
réaliste
avait à dire
du travail,
des métiers
et de la
condition
ouvrière, et
comment elle
le disait.
En
parlait-elle
autrement
que la
chanson de
métier, la
complainte,
la chanson
naturaliste,
la chanson
sociale, la
romance, ou
la chanson
vécue ?
Cette
interrogation
la fait
apparaître
comme une
révolte
contre le
travail
aliénant et
l'oppression
de la vie
quotidienne,
comme une
reconnaissance
de la
solidarité
nécessaire
dans le
malheur,
comme une
revendication
du droit au
bonheur
individuel
et un appel
à ne pas
laisser
passer sa
chance en
devenant
acteur
conscient de
son propre
destin.
À partir de
ce constat,
l'univers de
la chanson
réaliste et
celui des
interprètes
réalistes ne
se recoupent
pas
nécessairement.
Les
interprètes
réalistes
féminines
Par
Catherine
DUTHEIL
sociologue,
Maître de
Conférence à
l'Université
de Nantes
Plus que
Fréhel, qui
dans son jeu
de scène est
sans façon,
plus
"nature",
plus
"terrienne",
et nourrit
son chant
d'un contact
fusionnel
avec son
public...Damia
est la vraie
créatrice de
cette
ritualité
neuve que
Piaf portera
à son acmé.
Chacune à
leur manière
elles
ouvrent
l'espace
imaginaire,
le
découpent,
l'ordonnent,
le créent à
partir de
rien, avec
une extrême
économie de
moyens. Chez
Damia et
Piaf
surtout, le
mouvement
est stylisé,
épuré. Il
est toute
tension de
sens
esthétique,
débordant
sans cesse
le verbe, le
sens donné
par les
paroles de
la chanson,
rejoignant
la scansion,
la
mélodie...
Être près du
chœur et
chanter,
loin des
tranchées,
est-ce sûr
ou réaliste
?
Par
Christian
VOGELS,
sociologue,
Université
de Nantes
Les conflits
internationaux
favorisent
la
production
de chansons
qui se
veulent «
réalistes »
au regard de
la situation
de conflit.
Partant de
chansons de
la guerre de
14-18 et de
cartes
postales de
la même
époque, on
tente de
distinguer
ce qui fait
le réalisme
de ces
textes.
La réalité
sociologique
et
historique
fait que,
chansons et
photos sont
plutôt des
mises en
scène d'un
pseudo-réel
nommé «
réalisme »,
que des
chansons
réalistes.
Dès lors,
dans ce
contexte, le
réalisme
apparaît
plus comme
une
construction
chargée de
présupposés
idéologiques
plutôt qu'un
choix
esthétique
formel.
Perspectives
didactiques
: la chanson
dite
réaliste
peut-elle
être un
-facteur de
sensibilisation
à la
diversité
des styles
en musique
et en
poésie ?
Par
Daniel BRIOLET,
Professeur
émérite de
littérature
française à
l'Université
de Nantes et
directeur de
la Maison de
la Poésie de
Nantes
Enseigner la
littérature
ou la
musique, et
à cette
occasion,
réserver une
place
particulière
à la poésie,
périodiquement
apparentée à
toutes deux
dans
l'imaginaire
individuel
ou
collectif,
c'est mettre
l'élève dans
une
situation
d'apprentissage
mobilisant
conjointement
ses
capacités
d'émotion,
de
découverte
et de
réflexion.
À première
vue, le
style dit «
réaliste »
permet de
faire appel
à
l'expérience
vécue ou aux
représentations
quotidiennes
de
l'enseigné.
Mais,
l'accélération
des
transformations
historiques
qu'elles
subissent ne
cesse
d'accroître
en elles la
part de
l'éphémère :
le texte et
l'harmonisation
de la «
chanson
réaliste »
du moment
courent fort
vite le
risque de
passer pour
lettre morte
et rengaine
«
déréalisées
».
Une
didactique
en mouvement
permanent
doit donc
être
inventée,
qui aide à
prendre
conscience
des causes
de « l'effet
du réel »
produit par
toute forme
de réalisme
artistique
ou
littéraire.
Celui-ci
s'offre à
découvrir
comme
convention
stylistique
parmi
d'autres,
privilégiée
par une
idéologie
souvent
dominante
depuis le
milieu du
siècle
dernier.
Seule la
connaissance
des ressorts
de «
l'illusion
référentielle
» permet à
l'imaginaire
de libérer
une
pluralité
virtuelle de
points de
vue :
réaliste ou
non, toute
chanson se
donne
d'abord à
percevoir
comme
chanson
poétique, et
toute
mélodie ou
air fredonné
comme mode
d'appréhension
singulier
d'une
réalité en
train de se
construire.
La chanson
passant pour
« réaliste »
devient
ainsi un
révélateur
provisoire
mais sans
égal des
implications
réciproques
du poétique
et du réel
en tout acte
de
perception
esthétique.
Chanter
en
travaillant
Par
Phanette
de BONNAULT-CORNU,
sociologue
Un savetier
chantait du
matin
jusqu'au
soir, dit la
fable, la
simplicité
de la vie
(et la
pauvreté !)
lui donnant
cette joie.
Cependant ce
savetier
travaille et
chante seul.
De nombreux
récits
autobiographiques
montrent que
le chant au
travail a
été dans
beaucoup de
métiers où
la force
humaine
était la
principale
source
d'énergie,
un chant de
travail,
c'est-à-dire
un
instrument
pour le
travail, un
moyen de
coordonner
les énergies
dans
l'action et
de soutenir
l'effort
physique
dans la
durée et
l'intensité.
La marine à
voile (pêche
et marine
marchande)
est un des
secteurs
d'activité
dans
lesquels ces
types de
chants ont
été les plus
structurés
en raison
des
nombreuses
manœuvres à
effectuer en
groupe. La
notion même
de chant
plutôt que
de chanson
correspond
bien à cette
réalité,
dans la
mesure où ce
sont avant
tout des
sons de voix
scandés,
marquant des
rythmes, les
paroles
simplifiées
ne servant
qu'à
mémoriser le
rythme.
Pourtant
dans
d'autres
secteurs
d'activités,
les chansons
(elles sont
très
variées)
chantées
collectivement,
servaient
surtout à
supporter la
durée
excessive du
travail, à
tenir le
coup.
Chants de
travail,
chansons de
métiers,
constituent
deux types
différents
de chansons
par leur
contenu
musical et
textuel, par
leur
utilisation
; même si
les secondes
sont parfois
chantées
dans le
cadre du
travail,
elles
servent
plutôt à
réaffirmer
l'appartenance
au groupe
professionnel.
Ces chansons
de métiers,
à travers
souvent les
thèmes de
l'amour et
de la femme,
parlent des
conditions
sociales du
métier. On
pourrait les
définir
comme «
réalistes ».
Reste encore
que dans
différents
métiers, les
artisans,
les
compagnons,
individuellement
ou
collectivement,
avaient
l'habitude,
le goût, le
loisir... ?
de chanter
en
travaillant,
et leur
répertoire
était très
varié.
La
chanson et
les sciences
humaines :
comparaisons
entre deux
manières de
prendre la
parole sur
la place,
publique
Par
Laurent
MARTY,
historien et
anthropologue
Lecture de
sa
communication,
M. Marty ne
pouvant
assister au
colloque.
Chanson
réaliste :
un oxymore
Par
Jean-Marc SAINERO,
Université
de Paris III
Censier
Cette étude
portera
principalement
sur trois
chansons de
Georges
Brassens,
choisies sur
le plus
large
éventail
chronologique
possible :
Bonhomme,
La Route
des quatre
chansons,
Honte à
qui peut
chanter.
Nous
constaterons,
en les
écoutant
toutes trois
que Brassens
revendique
de façon
toujours
plus
violente
l'indépendance
de la
chanson par
rapport au
réel. Tout
se passe
comme si le
chanteur,
incompris
sur ce point
par un
public qui
le voulait
avant tout
anarchiste
et
libertaire,
avait
ressenti le
besoin
croissant
d'exprimer
l'idée qu'il
fallait
séparer la
chanson du
monde réel.
Notre
travail de «
canto logue
» consistera
à dégager
les enjeux
esthétiques
de cette
revendication,
afin de
mieux
comprendre
et de mieux
faire
comprendre
le sens et
les charmes
de l'art de
Brassens.
En
creux-Vian :
air d'humour
et lieu noir
pour une
note bleue
Par
Stéphane
HIRSCHI,
Institut de
Lettres,
Langues et
Arts,
Université
de
Valenciennes
Quels
que soient
les genres
abordés par
Vian, on y
constate le
même humour
noir
révélateur
d'une fêlure
: le lyrisme
de cette
note bleue
caractéristique
du blues.
Un
lyrisme né
d'un
sentiment
d'urgence,
de
l'omniprésence
d'un
sentiment de
temps
compté,
caractéristique
propre du
genre
chanson,
mais qui
irrigue
aussi, comme
en creux,
l'écriture
de Boris du
tragique
apparemment
naïf de
L'écume des
jours à
la violence
crue de
J'irai
cracher sur
vos tombes,
en
passant par
les poèmes
et les
chansons,
qu'elles
sonnent
militantes
ou pochades,
et jusqu'au
pamphlet
En avant la
zizique.
Une même
amertume
douloureuse
sur un air
plein
d'allant.
Goguenardise
et bravade
comme autant
de pieds de
nez à la
Camarde.
Un pied déjà
dans la
tombe, un
pied dans la
chanson, une
main à la
plume et
l'autre près
du micro.
Vian
s'inscrit
donc au cœur
d'un
possible «
réalisme »,
dont
l'essence
réside
peut-être
dans sa
position
frontalière,
à la fois
dans la
chanson et
hors d'elle.
Du
tragique à
la joie : le
chant au
cœur de la
culture
flamenca
Par
Eve BRENEL,
sociologue,
Université
de Besançon
Couramment
assimilée à
une danse,
le flamenco,
art
gitan-andalou,
est en
réalité
constitué
par l'intime
combinaison
du chant, de
la danse et
de la
guitare. À
l'origine,
il
s'agissait
même
essentiellement
d'un chant.
Art
populaire
(au sens de
création et
expression
du peuple),
le flamenco
se pratique
et se vit
dans deux
cadres
différents :
d'une part
celui,
privé, des
réunions
intimes
(familiales,
de quartier,
de village,
entre
aficionados,...)
et d'autre
part celui,
public, de
la scène
(comme
pratique
professionnelle).
Dans le
contexte
privé des
réunions et
fêtes
intimes,
nous verrons
comment peut
se « lire »,
au-delà de
la musique
(au sens
large), une
véritable
culture.
C'est cette
culture
flamenca,
avec ses
normes et
valeurs
propres, que
nous nous
attacherons
à présenter.
Nous nous
interrogerons
également
sur la place
privilégiée
qu'y occupe
le chant,
envisagé
comme
support
d'identité
culturelle
(gitane et
andalouse).
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