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Hommage à Claude Leneveu

Première publication du colloque organisé par le Lestamp de Université de Nantes en hommage à leur collègue et ami, Ancien professeur de sociologie à l'école d'architecture, Maître de conférence à l'Université de Nantes et disparu en septembre 2002




 

Il n'est pas besoin d'être César pour comprendre le latin


 

David MORIN-ULMANN


Docteur en Sociologie - LESTAMP
Droits de reproduction et de diffusion réservés © LESTAMP - 2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France

David Morin-Ulmann Lestamp

 

Je n’aime pas un homme que je ne puis aborder le premier, ni saluer avant qu’il me salue, sans m’avilir à ses yeux, et sans tremper dans la bonne opinion qu’il a de lui-même.

La Bruyère, Les caractères, « De la société »



 

 


 

Résumé

Un texte peut bien être aussi, parfois, comme une épitaphe. Celui qui vient est un hommage au sociologue nantais Claude Leneveu, disparu en 2002. Sur un ton romantique, et à partir de réflexions liées, on y présente brièvement la « tragédie » d’être matérialiste, les émeutes « anarcho-étudiantes » de novembre-décembre 1995, le « stade du miroir de l’économie politique », le statut de la marchandise vestimentaire, ou encore la figure de Clint Eastwood.


Avertissement

En manière d’hommage au sociologue nantais Claude Leneveu, j’exposerai les fragments de quelques-unes de nos conversations. Rien qu’une souvenance. Car, comment présenter, sinon au moyen d’un doux égotisme, le souvenir d’un tutoiement — ou sociation, pour parler comme les acolytes Weber et Simmel ? Et, dans ce propos, l’utilisation de la première personne du singulier permettra de comprendre qu’il s’agira d’évoquer un esprit frondeur ou d’en proposer ma perspective.

Nos vies ne font qu’apercevoir les caprices du changement, et ces caprices ont les règles et les constantes d’un fatum, d’une tragédie lorsque l’on pratique le « matérialisme » ; aussi bien celui des présocratiques que le « matérialisme noir » de Don Juan, Sade et G. Bataille ou que ceux de Marx et de Nietzsche. Tragédie, parce que ce paradigme, devenu ou redevenu bourgeois, a constamment à voir avec la fadeur de son éternité. Il y a donc une lucidité trop crue chez le matérialiste ; une lucidité de genre parfois, voire une attitude — quand le superficiel contribue à faire vivre la profondeur, quand les frasques de Dionysos soulagent les ordonnances de l’Ecclésiaste... Claude Leneveu voulut bien disputer de cet aspect de l’existence, de nos ambivalences, du relief et des détails des hommes. Il échangeait volontiers sur le maniérisme intello de notre époque ou les mouvements contestataires — le « situationnisme paisible » (Voyer, 1983), la « révolte consommée » (Heath, Potter, 2005) —, la mode, Clint Eastwood, les jolies femmes.

Certes, je ne coudoyais pas sieur Leneveu ; mais nous avions naturellement de petites discussions, le sourire facile et des échanges épistolaires renouvelés : il s’abonnait à mes pamphlets et recevait, chaque nouvelle année, un détournement d’image récent. J’avais notamment été un de ses étudiants en sociologie contemporaine, et je me ressouviens avec quelle superbe il fit partie de mon jury de maîtrise. Seulement, ce n’est pas ainsi que nous nous rencontrâmes… Nous nous rencontrâmes en septembre 1994, lors des quatre journées de l’Université d’Eté des Facultés de Droit et de Lettres. Ces journées-débats furent organisées par maints étudiants, personnels et enseignants pour parachever la lutte née de la confrontation sociale et politique au projet du contrat d’insertion professionnel (CIP).

Avec une quinzaine d’étudiants[2], ainsi que les universitaires nantais Jean-Michel Vienne (Philosophie), René Bourrigaud (Histoire du Droit) et Claude Leneveu (Sociologie), nous institutionnalisâmes notre détermination d’alors : privilégier la confrontation constructive entre étudiants, précaires et professeurs, c’est-à-dire nous lier au moyen d’une association dite « Université Critique » (statut du 18 avril 1995). Ce fut à cette occasion que nous commençâmes tous à nous fréquenter et à nous tutoyer, sans pour autant devenir des « camarades »... Réunis de façon hebdomadaire dans le baraquement associatif jouxtant un castel et l’université de Nantes, la cogitation alerte et le verbe haut, nous étions fin prêt pour le mouvement social à venir de novembre-décembre 95. Claude Leneveu y fera implicitement référence dans son texte « Nantes : le théâtre des émeutes urbaines » (Actuel Marx, 1998). Mais, revenons à ces discussions plus frivoles, peut-être, sur la mode bourgeoise et Clint Eastwood, pour terminer cette manière d’hommage par un commentaire sur ces soirées animées de 1995.


La mode vestimentaire et le stade du miroir de l’économie politique

Claude Leneveu, marxiste et constructiviste, discernait la nécessité de formuler et de consigner « les impondérables de la vie authentique » (Malinowski, 1963) que ne pouvait parfaitement décrire les découvertes de Marx et de Durkheim. Il utilisait pour cela tant la démarche goffmanienne que celles proposées par Giddens et Garfinkel. Or, un des traits les plus caractéristiques de ces impondérables, c’est la stylisation de la vie ou, plus communément, la mode, et plus exactement encore pour le sociologue nantais : « les détails des ajustements vestimentaires et corporels (...) le regard et la présentation de soi » » (Leneveu, 1995). Lui-même était coquet, ce me semble, à la fois soucieux d’une coquetterie de l’être et de l’avoir, de l’esprit et de la carne. En ce qui concerne la délicatesse du pli, il ne s’agissait pas directement d’une « conscience pratique », mais d’un souci de maîtriser son geste comme il maîtrisait son texte. Un souci de stylistique pure donc — ce qui pu nous lier. Parce qu’on ne fume ni ne laisse mourir ses volutes, on ne taquine ni ne sourit railleusement comme il le faisait, sans en avoir pris soin, c’est-à-dire penser la plus simple esthétique dans ses nuances, ses minuties, ses petits riens. Mais, comme dirait Gianfranco Sanguinetti (1980), sous les feux de l’intellectuel distingué ou se distinguant pouvait couver un « ouvrier sauvage»

L’enjeu de nos badinages à propos de la mode vestimentaire citadine était donc de savoir si nous pouvions, définitivement ou non, relier son actualité, sa nécessité — son harmonie, sa vitalité, sa modernité, pour le Baudelaire de 1863 — relier son actualité, donc, à l’hégémonie du paradigme industriel bourgeois démocratique. Autrement dit, en une formule programmatique et elliptique, pour chaque citoyen, la consommation de toilettes et de parures peut apparaître comme une sorte de stade du miroir de l’économie politique... Cette expression rappelle, tout en le définissant nouvellement, le phantasme de puissance de cette discipline de l’esprit, aussi bien son autonomisation, sa réflexivité jusqu’à l’autocritique bourgeoise ou « culture générale critique » pour le plus grand nombre du fait de la scolarisation et de la marchandisation de la culture. Autrement dit, la « marchandise radicale », démultipliée et aussitôt aplatie ( ?), semble retourner à son état de marchandise. Et l’économie politique, comme « image spéculaire » de la réalité des hommes, envahit toute réalité sociale. Dans cette idée du monde des échanges, il n’y aurait alors rien de la réalité, mais seulement l’image d’un monde, « le ça de la bourgeoisie » : ses prétextes, ses envies, sa projection sur un monde contraint.

Autre formulation de l’interrogation : devenons-nous ce que nous sommes (Nietzsche plutôt qu’Aristote ou Pélage) ou devenons-nous ce que nous voulons être (Bronco Billy, Clint Eastwood, 1981) ? Cette pimpante expression de « stade du miroir de l’économie politique » pose derechef le fait que les personnes ne se vêtent jamais que des habits que leur confectionnent les institutions (Douglas, 2004). Comme l’on sait, l’habitus fait le moine[3] — et l’imitation des jugements de mode assure repos (non-angoisse) et appartenance sociale. Dès lors, ce stade psychosociologique d’enveloppement, tant réel que symbolique, de la personne composerait ou faciliterait, ou accompagnerait, le passage historique de l’« identité du nous » à l’« identité du je » (Elias, 1987).

Nous savions tous les deux qu’à travers la marchandise, la société assure une partie de son homogénéité, mais nous échangions encore sur le fait qu’à travers les consommations de coquetterie (ou de parade), l’« identité du je » tend à communiquer à la fois la reconnaissance réciproque d’une même appartenance et une préoccupation de liberté individuelle. Car, si une mode est toujours une mode de classe, elle est aussi comme une hygiène mentale produite par l’agitation des contradictions sociales, va-et-vient de la périphérie au centre (Baudelaire, Sapir). Elle « permet (en effet) de conjoindre en un même agir unitaire la tendance à l’égalisation sociale et la tendance à la distinction individuelle, à la variation. » (Simmel, 1988). Les habits neufs du camarade bourgeois ne seraient plus alors seulement la traduction d’une affiliation à une quelconque -cratie, mais comme le beau mouvement de soi vers soi, l’occasion de lutter contre la marchandisation (autrement dit l’objectivation) au moyen paradoxal d’une différenciation ou consommation à la pièce — quand le singulier se vêt de l’universel, la variation de l’invariable, quand le fétichisme commence à la série, voilà bien de la modernité (si ce n’est de la dialectique...).

Certes, la mode participe de l’esthétique du non-travail et du jeu accompagné d’une dénégation du surtravail ; une esthétique au sens kantien, finalité sans fin avec tous ce que cela implique de connotations idéologiques. Cependant, à une époque où l’art prône son auto-négation (comme unique moyen de survie), il faut concevoir le stade du miroir de l’économie politique comme la tentative désespérée, et baroque ou distinguée, pour chacun d’entre-nous, de créer une œuvre d’art moderne, c’est-à-dire de façonner quelqu’un à l’uniforme de qualité que l’on puisse aimer et faire aimer : « car on n’aime personne que pour des qualités empruntées. » (Pascal, Les pensées, « Qu’est-ce que le moi ? »). Cette constante culturelle de mise en scène de soi ou « éthique de la parade » et érotique (la culture comme « emballage de sens » et emballement), il faut bien dire le mot, est le moment où nous sommes saisis par la loi de la valorisation de l’ob-jet que nous sommes.

Car, au stade du miroir de l’économie politique, seul l’objet est séduisant[4] – parce qu’arraisonné par, et dans, la culture, toutes les choses deviennent des objets (Lefebvre, 1940) et parce que tous les je ont besoin d’objets pour être des je (Lacan, 1949, in 1966). En effet, qui y a-t-il là, devant nous, sinon les institutions[5], les architectures, les gestes de nous autres les objets vivants et collectifs appelés « hommes ». On trouvera chez Marx les conditions liminaires de ce raisonnement (à moins que ce ne soit chez Kant). Ne montrait-il pas en effet dans Critique de l’économie politique, que « La personne s’objective dans la production, le produit se subjectivise dans la personne. » – c’est-à-dire que « Le statut social d’un objet symbolique fait partie de la définition complète de son sens culturel. » [Passeron, 1989] ? Voilà une régularité, une constante, une métrique : l’objet fabrique du sujet. Jamais, donc, nous ne sommes fashion victim, pas plus que Brummell qui y laissa sa fortune, mais seulement les fétichistes plus ou moins prolos, d’apparences et d’allures, qui passent par l’identité du je.

Claude Leneveu s’appliquait donc à l’ordonnance de son vêtement, par goût, par correction et par matérialisme, parce qu’il savait que la forme est le mouvement même de la matière.


Le silence du flingueur

Alors, pour lui, passer de nos discussions sur la fringue aux personnages interprétés par Clint Eastwood n’était point chose ardue. Il s’agissait encore de converser sur le raffinement et la logique des codes ; raffinement du jeu et du texte ou absence de jeu et de texte de l’acteur. Les figures de « l’homme sans nom », de L’inspecteur Harry, puis d’un Eastwood vieillissant se « gauchisant »[6], nous divertissaient tous deux. J’avais alors écrit trois petits articles sur l’acteur et glissé quelques lignes dans mon DEA. D’ailleurs Claude pensait que j’en ferais le thème d’une thèse : Depuis trente ans, l’évolution de la réception des films de Clint Eastwood, entre légitimité intellectuelle et résistance populaire. Mais non...

« Les ouvriers vivront un jour comme vivent aujourd’hui les bourgeois ; mais au-dessus d’eux se distinguant par son absence de besoin, vivra la caste supérieure, plus pauvre et plus simple, mais en possession de la puissance » écrit Nietzsche dans Volonté de puissance (vol. II). En vérité, ainsi vivent nombre de personnages eastwoodiens ; ce qui plaisait à Claude Leneveu. Il appréciait la puissance de leur désinvolture, leur démarche, leur impertinence d’anar vachard, de sombre justicier ou de guerrier rompu. Parce le sociologue sait encore que l’ambiguïté est le creuset de l’héroïsme.

Les mondes de cet acteur « italo-américain » sont avant tout des mondes de sang-froid. La mort y est réduite à une épure, hormis, et de façon caractéristique, dans Dirty Harry (L’inspecteur Harry, Don Siegel, 1971) et le western Unforgiven (Impitoyable, Clint Eastwood, 1992). Ces univers de la litote, qui sont fréquemment construits comme une dérision du mélodrame, sont aussi le dernier univers de la féerie. Le geste court du tireur rapide a toute une tradition mythologique d’efficace, depuis le mouvement de tête des dieux antiques pour faire basculer la destinée des hommes, jusqu’au coup de baguette magique ou aux superpouvoirs des nouveaux héros. Eastwood, grâce à Léone et Siegel, magnifia le comportement du flingueur stoïque et du flic sans illusions.

Dans leurs films, et de façon typique : « Le colt est langage, sa fonction est de maintenir une pression de la vie, d’éluder la clôture du temps ; il est logos, non praxis. » La désinvolture d’Eastwood affirme que seul le silence est efficace : que la vraie vie est dans le silence, sorte de critique de la vie quotidienne (populaire ? spirituelle ?), et que l’acte a droit ou de vie ou de mort sur le temps. Alors, quand l’acteur s’exprime, c’est en images. Pour lui, le langage n’est que poésie, le mot n’a aucune fonction démiurgique. « Parler est sa façon d’être oisif et de le marquer (au moyen) de quelques festons d’argot, qui sont comme le luxe inutile (et donc aristocratique) d’une économie où la seule valeur d’échange est le geste. » [Barthes, 1957]

Ensemble, nous nous souvenions complices des « Make my day ! » ironiques lancés à la face du monde par le policier Harry fatigué d’être lui-même ou du passage marxo-wittgensteinnien entre Blondin et Tuco dans Le Bon, La Brute et le Truand, à savoir : « Tu vois, le monde se divise en deux catégories. Ceux qui ont un pistolet chargé, et ceux qui creusent... Toi, tu creuses... » (Sergio Léone, 1967).


Corrobori et divertissement anarchistes


Quant aux émeutes nantaises de 95, pour conclure cette « adresse », Claude et moi n’avions assurément pas la même vision. Dans son étude de 1998, il expose que les mobilisations en fin de journée ne portaient pas le témoignage d’une relation de causalité entre elles et le déclenchement des dites « émeutes ». Il me semble pourtant qu’avec ce qui circulait de littérature agit-prop et d’injonctions à l’affrontement direct lors des manifestations en matinée, nous pouvions entendre le grondement sourd de certains groupes de précaires associés à toute sorte de groupuscules gauchistes ou irrésolus. Les premiers, d’ailleurs, se vantent aujourd’hui, comme autant d’anciens combattants, de leurs nocturnes randonnées (chansons, barricades, mise à sac, jeu de brasiers).

Pour avoir participé à la soirée du 5 décembre, fréquenté en promeneur quelques chefferies libertaires et la grappe des skateurs enragés (dont certains, après comparution immédiate, prirent des peines de sursis), appartenu à l’Université Critique et à l’Internationale Salopard (1994-1998), je sais à quel point 94-95 furent un couple d’années d’une intense activité intellectuelle subversive sur les Facultés. Il y eut d’abord le rapprochement improbable d’un groupe d’anarchistes bretons membres de Virus-Mutinerie (groupe d’activistes pro-situationnistes) avec deux « futuristes naïfs » (dont moi-même) dans le journal Sanibroyeur n°11, puis leur rivalité avec la marchandise militaro-dada de l’Internationale Salopard. Comme le note Claude Leneveu : « une émeute a toujours pour arrière-plan la contestation de l’autorité ».

J’ajouterai la contestation de l’ennui. Car toutes ces petites communautés politiques, dont le jeu et l’enjeu étaient d’avoir un public, c’est-à-dire de se représenter au monde, et de formaliser la rébellion des années 90, sinon de la théoriser, n’avaient pas pour objectif de rejouer Mai 68, non, mais de se débarrasser de son souvenir, de se débarrasser des vieilles lunes de 68 dans une ambiance plus joyeusement nihiliste que radicale. Dans un monde post-soixante-huitard devenu si sec, si faux, si mondain, et dans un « extrême épuisement », pour reprendre à Nietzsche, seule la « modalité extrême de l’émeute » (Leneveu, 1998), le corrobori brutal, pouvait les divertir, sinon les revigorer de leur grande fatigue.

L’Histoire de l’Ouest est assurément le facteur décisif dans les conditions de production de tels phénomènes insurrectionnels. Je soumettais pourtant à Claude Leneveu le fait qu’il eût encore convenu d’y ajouter l’histoire sociale de la divulgation des règles de notre société – le dévoilement cru, le désenchantement forteresse, la découverte du cadavre sous le chapeau par tant d’étudiants prolétaires et petits-bourgeois fréquentant « la science de la société », mais ne sachant qu’en faire réellement, si ce n’est inviter en permanence[7] à la grève ou au moins... à la révolution.


David MORIN ULMANN
 


[1] Ce texte est l’intervention proposée aux Journées Hommage au Sociologue Claude Leneveu de l’Université de Nantes, LESTAMP, 12 & 13 mars 2003, et revue en juin 2006.
[2] Laurent Berthelot, Elise Brétodeau, Vincent Charbonnier, Manu Fellou, Romuald Guibert, Philippe Jauny, Xavier Lecocq, David Morin Ulmann, Anne Ouvrard, Nicolas Quennec, Anne Rocher, Delphine Rouzo, Gwendal et Frédéric dit, à l’époque, « Brutus ».
[3] Au moins l’aristocrate de la société de cour, puis de ses épigones : les petits-bourgeois fauchés et les intellectuels sans rente foncière : « l’être social de l’individu est totalement identifié avec la représentation qui en est donnée par lui-même ou par les autres. La « réalité » d’une position sociale n’y est que ce que l’opinion juge qu’elle est... », Roger Chartier, préface de La Société de Cour, Norbert Elias, Flammarion, 1985.
[4] Comme l’exposèrent chacun à leur manière Sade, Simmel, Klossowski (1997), Baudrillard. Avec quelque peu de hardiesse, nous ajouterons Durkheim à ce quatuor. N’explique-t-il pas, en effet, que les choses de la sociologie ne sont pas des choses matérielles mais les englobent, Les règles de la méthode sociologique, Flammarion, 1988, p. 77. Comme le démontre Elias (1993), le fait de rendre les choses objectives, c’est-à-dire d’en faire des objets, l’objectivation scientifique et/ou la distanciation sociale, n’est rien qu’« observer vis-à-vis d’(elles) une certaine attitude mentale » (Durkheim, op. cit.). Nous sommes donc dans l’obligation intellectuelle et méthodologique de traiter les faits comme des choses, i.e. comme des objets, et l’homme aussi, parce que « L’instant même de la jouissance, où sujet et objet effacent leur opposition, consomme en quelque sorte la valeur ; elle ne resurgit qu’en se séparant du sujet, face à nous en tant qu’objet. », Georg Simmel, Philosophie de l’argent, PUF, 1987, p. 31.
[5] Rappelons qu’avec Durkheim, il faut « appeler institution toutes croyances et tous modes de conduites institués par la collectivité », E. Durkheim, op. cit., p. 90.
[6] Cf. certains passages d’autocritique bourgeoise non dénuée d’humour dans Impitoyable (propos sur l’onanisme), et notamment les films Sur la route de Madison (sur l’adultère), Minuit dans le jardin du bien et du mal (sur l’homosexualité), Jugé coupable (sur l’abolitionnisme).
[7] Car comme l’écrit Debord, « On lutte aussi par jeu. », Commentaires sur la société du spectacle, Guy Debord, Gallimard, 1988.


Droits de reproduction et de diffusion réservés © LESTAMP 2005


 




 
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