Au
plus grand plaisir des amateurs
passionnés de problématiques à
l’opacité difficilement soluble, le
goût s’obstine à demeurer un objet
de recherche particulièrement fuyant
pour le(s) regard(s) rationaliste(s)
et inquisiteur(s) des sciences
humaines. En ce qui concerne plus
particulièrement le domaine
sociologique, on a pourtant un
moment cru que le goût se laisserait
entièrement enterrer sous le poids
mi-réel, mi-idéalisé des
déterminations sociales.
Bienheureusement, nombreuses sont
les interrogations restées en
suspens et qui narguent autant
qu’elles attisent la saine
frustration des sociologues. Se
fondant sur une recherche en cours
dans le cadre d’un mémoire de fin
d’études en sociologie,
ce texte n’aura pas l’outrecuidance
de faire le tour de la question du
goût. Néanmoins peut-il présenter
quelques éléments de réflexion à son
endroit. C’est pourquoi avant d’en
venir à cet incertain et énigmatique
temps du goût musical, il nous faut
en guise de hors-d’œuvre goûter à
l’entrée de l’analyse proposée ici
et maintenant.
Celle-ci
nous introduira aux arômes corsés de
la seule notion de goût et de la
« sauce-iologie » avec laquelle il a
été tenté de la « cuisiner ».
Réflexions sur le (dé)goût (du)
populaire
Eminence
française de la sociologie du goût,
Pierre Bourdieu s’est attelé à
multiplier les analogies entre
domination sociale et domination
symbolique, construisant sur l’appui
de ces deux montants une échelle de
légitimité culturelle où chaque
échelon correspondrait à la fois à
une classe sociale et aux goûts
supposés être les siens.
Cependant, il s’avère que cette
échelle d’analyse est aujourd’hui de
plus en plus critiquée, notamment
pour sa construction trop hâtive et
légèrement bancale à grands coups de
« concepts bulldozers ».
Si ce legs théorique aura eu le
grand mérite d’alimenter une vive
émulation entre chercheurs, il
devient désormais difficile
d’ignorer ses limites.
Sans
aller jusqu’à nier l’inégalité ou
l’existence des rapports de force
vis-à-vis des biens culturels, il
est en effet nécessaire de relire
très prudemment les conclusions de
La Distinction.
D’abord,
parce que les faits viennent
contredire l’un des présupposés de
la théorie de la légitimité
culturelle : celui d’un invariant
selon lequel, dans n’importe quelle
région de l’espace social, chaque
individu nourrirait avec la même
intensité une foi inébranlable en la
« culture légitime dominante ». Non
seulement la démonstration de cette
croyance dans La Distinction
peut en effet être contestée,
mais qui plus est de récentes
évolutions sociétales sont devenues
si criantes qu’il n’est désormais
plus possible de les passer sous
silence. Persister aujourd’hui à
postuler que tous les individus
évoluent sur un même marché de
légitimation des biens culturels,
c’est nier la montée de
« l’économie médiatico-publicitaire »
dans notre société, en particulier
depuis les années 1980.
Ensuite,
l’analyse développée par Pierre
Bourdieu souffre d’une seconde
grande limite, maintes fois
rappelée : la posture misérabiliste
qu’elle engendre.
Faisant un usage plus marxien que
wébérien de la notion de domination,
Pierre Bourdieu évacue trop
précipitamment l’autonomie
irréductible propre à tout
symbolisme, le fait que « même
dominée, une culture fonctionne
encore comme une culture »
(au sens anthropologique du terme)
ainsi que l’a brillamment démontré
l’ethnographie des pratiques
culturelles des classes populaires.
En opérant ainsi, l’auteur de La
Distinction souhaite dénoncer
les rapports de force dissimulés
derrière le mythe d’une esthétique
savante désintéressée mais, du même
coup, il restreint ses analyses sur
les cultures populaires en ne
considérant celles-ci que sous
l’angle de la carence vis-à-vis des
formes « savantes » de la culture
« légitime ». Pire, le misérabilisme
qui en découle vient alimenter une
longue tradition intellectuelle qui
exclut la production et la réception
de l’art populaire du domaine
esthétique.
Issu
« du grec aisthésis
(sensation, sentiment, sensibilité),
aisthéton (sensible), et plus
précisément de l’adjectif
aisthétikos (« qui peut être
perçu par les sens ») »,
le terme d’« esthétique » servait à
l’origine à nommer le rapport
sensible aux objets. Au fil de
l’histoire, sa signification s’est
progressivement transformée pour à
la fois désigner le rapport au
sentiment du beau, la propriété d’un
objet jugé comme ayant une certaine
beauté et enfin une discipline se
divisant en trois domaines : la
science du sensible, la théorie du
beau et la philosophie de l’art.
N’étant
pensée que par des intellectuels, la
qualification d’« esthétique » est
devenue l’apanage du « grand art »
et d’une perception distanciée,
contemplative, qui accorde « le
primat absolu de la forme sur la
fonction, du mode de représentation
sur l’objet de la représentation ».
Surtout, ce phénomène s’est
accompagné de l’établissement d’une
tradition chez les philosophes et
les théoriciens de la culture
consistant à excommunier l’art
populaire du champ esthétique en
l’affublant d’une panoplie de
défauts.
Face à
cet héritage intellectuel, on ne
peut que louer Pierre Bourdieu
d’avoir opéré un recul critique en
déconstruisant cette naturalisation
de l’esthétique. Cependant, son
argumentation contre cette idéologie
de savants prend la voie d’une
impasse car, en même temps qu’elle
en (d)énonce l’historique, elle en
valide le présupposé arbitraire qui
la justifie : le déni de l’existence
d’une esthétique populaire.
Voulant
dévoiler les intérêts habilement
dissimulés d’une Distinction
vis-à-vis du goût populaire, il
rappelle ainsi par exemple que la
culture savante n’est pas dénuée de
structures répétitives et d’usages
passifs
mais il oublie l’essentiel en
maintenant l’accusation de pauvreté
esthétique portée à l’art populaire.
Ne représentant rien d’autre à ses
yeux que « le goût de nécessité
et le principe de conformité »,
Pierre Bourdieu n’emploie la notion
d’« esthétique populaire » qu’entre
guillemets puisque, selon lui, elle
ne serait que l’« envers
négatif » de l’esthétique
savante.
L’art
populaire se caractériserait donc
par son « hostilité […] à
l’égard de toute espèce de recherche
formelle », des « structures
simples et répétitives [qui]
appellent une participation passive
et absente ». De plus, tout ceci
témoignerait d’une
« subordination de la forme à la
fonction », d’une
« « réduction » systématique des
choses de l’art aux choses de la
vie, une mise entre parenthèses de
la forme au profit du contenu
« humain » ».
Or, une telle définition relève d’un
raisonnement que l’on pourrait
qualifier d’hystérologie,
prenant pour des faits certains
fruits savamment mûris et fantasmés
du processus de distinction et
d’auto légitimation de l’esthétique
savante.
Tout
d’abord, l’accusation courante qui
veut que l’art populaire soit par
essence d’une grande pauvreté
esthétique a été remarquablement
invalidée par Richard Shusterman.
Dans un excellent ouvrage intitulé
L’art à l’état vif, ce
dernier évoque l’ethnocentrisme de
bon nombre d’intellectuels qui
identifient systématiquement l’art
populaire à ses productions les plus
médiocres et stéréotypées. Surtout,
il fait la démonstration que des
œuvres populaires peuvent posséder
les qualités esthétiques suivantes :
« unité et complexité,
intertextualité et polysémie,
structure ouverte, expérimentation
formelle ».
Il faut
donc toujours garder à l’esprit que
la qualification d’une production
artistique en termes de « savant »
et « populaire » se fonde en réalité
moins sur la complexité formelle de
l’œuvre que sur le succès de
celle-ci auprès d’un (in)certain
public.
Or c’est
là une autre erreur de Pierre
Bourdieu que de réifier l’homologie
entre esthétique « savante » et
« classes dominantes ». Si cette
dernière n’a rien d’une évidence,
elle l’est d’autant moins en ce qui
concerne la musique. Alors que ce
sociologue affirme qu’« il n’y a
rien […] qui, autant que les
goûts en musique, permette
d’affirmer sa « classe » »,
l’évolution des pratiques
culturelles en la matière nous amène
à constater que, « y compris chez
les classes dites « supérieures »,
les distances avec les arts savants
– notamment musicaux – se sont
creusées de façon très sensible ».
Il suffit pour s’en convaincre de
considérer que « quels que soient
les critères retenus (âge, catégorie
socioprofessionnelle, sexe, niveau
d’études), la musique de variétés,
françaises ou internationales,
arrive en tête des préférences
exprimées » ; ou encore que
« l’attrait pour les genres
populaires (variétés, rock, rap,
techno, musiques du monde) diffère
[…] faiblement selon le
double critère du diplôme et de
l’appartenance socioprofessionnelle. »
Il devient donc aujourd’hui
désormais difficilement soutenable
d’employer la notion brumeuse de
« musiques populaires » pour
qualifier des registres appréciés
soi-disant de manière exclusive par
les ouvriers, les employés ou encore
les petits artisans.
Cette
remarque est d’ailleurs une
invitation à reconsidérer
l’étymologie du mot « peuple » qui
contient, encore au XXIème
siècle, l’ambiguïté de sa double
racine latine en se référant
simultanément aux termes de
populus et de plebs
ou, dans un vocabulaire plus
contemporain, à la « nation » et aux
« classes populaires ».
Enfin,
la définition que donne Pierre
Bourdieu de l’esthétique populaire
se fonde sur une opposition entre
forme et fonction dont le postulat
sous-jacent est hérité d’une
tradition intellectuelle fortement
ancrée
– celle de la philosophie analytique
– qui veut que l’art et la vie
réelle doivent être rigidement
séparés. Mais, ainsi que nous y
invite Richard Shusterman, « ce
dogme séculaire de la philosophie »
mérite d’être interrogé : « si
l’on considère la question sans se
soucier de préjugés philosophiques
ni d’esprit partisan, l’art semble à
coup sûr constituer une partie de la
vie, de même que la vie constitue la
substance de l’art […] ».
De surcroît, cette opposition entre
forme et fonction engendre l’idée
d’une antinomie entre un usage
fonctionnel et la mise en œuvre de
compétences esthétiques. Or, cette
antinomie est très contestable en ce
qui concerne le domaine musical :
comment une musique pourrait remplir
sa fonction sans produire aucun
effet ?
Comment,
par exemple, une œuvre pourrait-elle
sublimer un amour si l’auditeur est
incapable de juger, et donc de faire
une appréciation, des qualités
esthétiques pouvant être appropriées
à cette fonction ? On ne peut ici
que rejoindre les propos d’Anne
Petiau lorsqu’elle souligne que
« l’usage fonctionnel d’une musique
nécessite la mise en œuvre d’une
compétence, fût-elle différente de
la disposition esthétique nécessaire
à la « lecture » de l’œuvre savante. »
Suivant
les sages avertissements de Michel
de Certeau à propos de ce guet-apens
lexical,
le sociologue se doit de
s’interroger sur les prétentions de
l’esthétique savante comme seule
apte à faire une réception active de
l’art. De ce fait, il semble
raisonnable et raisonné de prendre
un recul critique et mesuré
vis-à-vis de certaines des
observations développées par Pierre
Bourdieu, mais surtout de repenser
les termes de goût et de musique en
mettant un temps entre parenthèses
leurs attributs sociaux (« savant »
ou « populaire », « légitime » ou
« illégitime », « distingué » ou
« vulgaire »).
Un
retour sur les sens du goût
Goûter,
c’est d’abord une expérience
esthétique au sens premier du terme,
comme le signifiait à l’origine
l’adjectif grec aisthétikos :
« qui peut être perçu par les
sens ». Qu’il s’agisse d’épinards ou
de musique classique, assurer que
l’on n’aime pas l’objet x ou
y sans y avoir un tant soit
peu goûté est une affirmation
quelque peu hâtive qui ne manquera
pas de provoquer les railleries des
parents gourmets comme des
professeurs de musique.
Le sens
commun le dit bien, c’est au fur et
à mesure des expériences successives
que l’expérience avec un grand « E »
se forme, mute et s’affûte. Le goût
est donc aussi intimement lié à la
mémoire. Comme l’illustre
poétiquement l’idée d’un « goût amer
des souvenirs » que le temps peine à
effacer, le goût est une trace, une
impression, qu’il nous reste de
l’objet goûté. Enfin, le terme de
« goût » est une nouvelle fois lié à
l’esthétique lorsqu’il nous permet
de nommer, et donc de faire exister
aux yeux d’autrui, une frontière
subjective entre ce que l’on juge
attirant et repoussant.
Converser sur ses goûts revient donc
toujours à échanger à la fois sur
des objets et sur les critères
laissant filtrer ou non ces mêmes
objets. À la fois contenu et
contenant, le goût ressemblerait
donc en quelque sorte à ces boîtes à
formes sur lesquelles les enfants
s’ingénient à faire rentrer
différentes figures géométriques
dans les trous correspondants.
Toutefois, une différence notable
est à souligner. Si l’insertion d’un
triangle de bois dans une silhouette
de triangle relève purement de la
logique, il n’est pas possible d’en
dire autant de l’opaque formation du
goût puisque ce dernier ne repose
pas sur des critères objectifs
(sinon, nous aurions tous les mêmes
goûts). Toutes ces étranges
caractéristiques ont amené Edmond
Goblot à parler avec véhémence du
goût comme d’une « mentalité
prélogique », d’une
« mystique de jugements de valeurs »,
c'est-à-dire une « masse confuse
d'éléments représentatifs pauvres et
vagues noyés dans des éléments
émotifs et provoquant des réactions
passionnées, actes ou jugements, sur
lesquels la raison n'a pas de prise. »
Passionnel… le goût est donc affaire
de valeurs en ne cessant de classer
les objets goûtés avec des
catégories telles que « bien »,
« nul », « pas terrible »,
« sublime », « ça distrait bien »,
« c’est de la prise de tête ». Entre
subjectivité vécue et objectivité
voulue, ce type d’expressions révèle
la tension extrême qui caractérise
le goût et qu’avait bien cernée
Emmanuel Kant dans sa Critique de
la faculté de juger : « Est
beau ce qui plaît universellement
sans concept ».
Car, en
effet, seul ce qui est conceptuel,
comme par exemple une démonstration
mathématique, peut être universel.
Or le beau ne se prouve pas avec des
concepts, il s’éprouve. Par cette
formule, Kant révèle donc que le
jugement de goût se caractérise par
une prétention à l’universalité
alors même que celle-ci lui sera
toujours inaccessible.
De ce
fait, la non-adhésion des autres à
son propre goût est spontanément
perçue comme une erreur, un
« mauvais goût ». Comme l’a
remarquablement écrit Pierre
Bourdieu : « les goûts
sont avant tout des dégoûts […]
pour les goûts des autres ».
Autrement dit, le goût n’a d’abord
de sens que par sa valeur, sa
différence vis-à-vis des autres
goûts. Le goût se définit donc en
premier lieu négativement, par
opposition, tout comme le signe chez
Ferdinand de Saussure : « Dans la
langue, comme dans tout système
sémiologique, ce qui distingue un
signe, voilà tout ce qui le
constitue. C'est la différence qui
fait le caractère, comme elle fait
la valeur et l'unité. »
Ce
parallèle avec la linguistique n’est
pas innocent, il illustre la
perspective structuraliste de la
sociologie de Pierre Bourdieu qui ne
voit dans le goût qu’un pur jeu de
distinction obéissant à l’arbitraire
de la légitimité ou l’illégitimité
des œuvres. Mais cette définition
toute négative reste incomplète tant
que l’objet goûté n’est pas un tant
soit peu interrogé.
Quelques
instruments pour entendre l’amour de
la musique…
Issu du
mot grec mousikè, la musique
désignait à l’origine « tout
commerce entretenu avec les muses et
concernait donc toutes les
disciplines intellectuelles et
artistiques sans pour autant
s’appliquer plus spécifiquement à
l’art des sons ».
Pour d’autres, le terme mousiké
englobait initialement un ensemble
d’arts plus restreint composé du
chant et de la poésie.
Quoiqu’il en soit, la musique s’est
progressivement détachée de cette
relation au domaine sémantique pour,
aujourd’hui, être communément
définie comme « l’art de combiner
les sons » (Grand Larousse
Universel) à travers trois
dimensions : le rythme, la mélodie
et l’harmonie. En tant qu’art, la
musique est donc le produit,
l’expression, d’une culture et, en
ce sens, on rejoindra la célèbre
formule de l’ethnomusicologue John
Blacking la définissant comme
« du son humainement organisé ».
L’originalité de cette définition
est de soulever la condition sine
qua non de la musique à savoir
l’accord entre musiciens et
auditeurs : « Lorsque font défaut
les processus de perception auditive
et l’accord culturel, au moins entre
quelques individus, sur ce qui est
perçu, il ne peut y avoir ni musique
ni communication musicale. »
Cette définition de la musique
comme construction sociale et
culturelle appelle deux remarques
complémentaires.
D’abord,
elle nous oblige à relier la musique
à son contexte social et culturel.
Plus précisément, elle est une
invitation à considérer la musique
comme un phénomène social total, un
objet sensible aux changements
politiques, sociaux, économiques et
culturels. Ensuite, et cela est lié,
la définition proposée par Blacking
implique de ne pas considérer la
musique comme l’unique affaire de
producteurs. Certes, le statut comme
le « génie » du musicien résident
dans sa connaissance et son habileté
à (se) jouer des conventions
musicales, des « procédés à
utiliser pour traduire des idées ou
des sensations »
comme l’écrit Howard Becker. Mais
justement, ces conventions n’en
seraient pas s’il n’y avait pas ce
fameux « accord culturel » entre des
musiciens et un public capable de
ressentir diverses émotions en
fonction des structures sonores
utilisées.
En
somme, la musique relève du domaine
symbolique et s’exprime par le biais
d’innombrables conventions
collectives dont les variations
formelles à travers le temps et
l’espace reflètent son statut de
fait social total. Dès lors, les
goûts comme les dégoûts musicaux
d’un individu ne sauraient être
expliqués par « une quelconque
qualité absolue de la musique
elle-même, mais en raison de ce que
la musique en est venue à signifier
pour lui, ressortissant d’une
culture ou d’un groupe social
particuliers. »
Enfin, ceci implique de prendre en
considération que, au même titre que
le compositeur ou l’interprète,
l’auditeur « est lui aussi
impliqué dans la production de sens
de l’œuvre : pas plus que
l’interprète n’était objectif, il
n’est passif. Par son écoute,
l’auditeur, co-auteur dans le jeu de
l’énoncé musical, (re)compose
l’œuvre, la (re)constitue. Il lui
donne un sens. ».
Pour
qu’une musique bénéficie d’un
jugement favorable, elle doit donc
faire sens et, de ce fait, toute
réception, qu’elle soit savante ou
populaire, est toujours une
production de sens. Cette remarque
est à la genèse d’un mémoire
universitaire qui, comme cette
introduction l’a laissé entendre,
porte plus particulièrement sur le
goût pour les musiques dites
« populaires », cette musique
extrêmement plurielle qui est « à
la fois musique du peuple et parfois
même d’un peuple, d’un groupe, d’une
culture, d’une tribu ou d’une ethnie
mais aussi un art popularisé diffusé
par les moyens de communication de
masse. »
Effectivement, bien qu’il puisse
paraître banal, ce constat est en
fait l’occasion de reconsidérer le
concept de réception et de rompre
définitivement avec l’idéologie de
la « consommation-réceptacle »
dénoncée par Michel de Certeau.
Bref, il s’agit d’intégrer une fois
pour toute que la perception,
l’entendement de la musique n’ont
rien de passif. Ils sont au
contraire des moments essentiels de
construction du sens et ce y compris
au contact des musiques populaires
et/ou massivement diffusées.
Dès
lors, aborder la réception,
favorable ou défavorable, d’une
musique comme une activité implique
aussi et surtout de changer
radicalement de perspectives. Ainsi,
comme le rappelle Antoine Hennion,
le goût – et pourrait-on ajouter, le
dégoût – « n’est pas un objet, un
état, une propriété, mais une
saisie, un engagement incertain, il
porte sur ce qui se passe avec des
objets, il ne se déduit pas d’eux :
loin que les déterminismes en
rendent compte, c’est précisément
parce que les déterminismes sont
toujours insuffisants qu’il faut
goûter. »
Il
semble donc beaucoup plus pertinent
de concevoir le goût, quel qu’il
soit, comme un processus
et non plus comme la simple
déclinaison d’une position sociale.
Plus précisément, ce renversement de
point de vue implique de considérer
le goût comme un enchaînement de
contingences,
une chaîne d’évènements, et
d’abandonner le terme de
« déterminations » pour lui préférer
celui d’« influences » en matière de
caractéristiques sociales.
Le goût
relevant à double titre de
l’expérience, c'est-à-dire d’une
accumulation de savoirs qui ne cesse
d’être alimentée par de nouvelles
expérimentations gustatives,
l’analyse doit donc prendre en
compte les dimensions diachronique
(le passé du « goûteur ») et
synchronique (le contexte dans
lequel l’œuvre est goûtée) de son
objet.
Partant
de ces principes qui embrassent une
dimension bien plus large que les
seules questions de légitimité, la
prospection des rapports de sens que
les individus entretiennent avec la
musique montre que le goût musical
procède d’une dynamique complexe qui
se conjugue dans un temps
particulièrement incertain, en
particulier chez les jeunes.
C’est en
tout cas ce que révèle l’enquête à
la source de ce texte, s’appuyant
pour partie sur l’analyse
approfondie des goûts musicaux de
trois jeunes gens,
dont l’âge oscille entre 18 et 23
ans, et provenant de milieux sociaux
divers, allant des classes
populaires aux cadres supérieurs.
Les
goûts de la jeunesse : une jeunesse
du goût ?
On ne
naît pas amateur de telle ou telle
musique, on le devient. Voilà une
évidence qu’aucun sociologue ne
contredira. Cependant, cette
remarque consensuelle ne doit pas
nous amener à penser le goût comme
étant l’objet d’une reproduction
mécanique, à surestimer le pouvoir
d’acculturation des parents. Sur ce
sujet, on ne manquera pas de
souligner en matière de goût musical
le rôle primordial de l’imprégnation
justement décrit par Howard Becker :
« le public se familiarise avec
des conventions par l’expérience
directe, par la rencontre avec
l’œuvre et, souvent, par des
échanges avec autrui à son propos ».
« Se confronter à » voire « échanger
autour » de la (ou d’une) musique,
tels sont les deux vecteurs qui
mènent à la familiarité voire
potentiellement au goût.
Dans
cette perspective, les goûts
musicaux, comme du reste toute
pratique culturelle, sont en
partie fondés par les conditions
de socialisation primaire des
individus : les premières mélodies
que nous apprenons à apprécier sont
celles que nos parents écoutent.
Mais, si la famille joue un rôle
prépondérant dans la formation des
goûts, elle n’est pas pour autant en
situation de monopole puisque
d’autres influences culturelles se
font plus prégnantes avec l’âge.
Comme le souligne Olivier Donnat à
travers la notion d’« univers
culturels »
(dont l’accord au pluriel n’est pas
dénué de significations), chaque
personne évolue de manière
diachronique et synchronique dans
des environnements culturels
distincts (familial, scolaire,
amical, conjugal, professionnel,
etc.) dont il intègre différents
éléments et en rejette d’autres. De
ce point de vue, le temps de la
jeunesse offre sans doute la plus
belle opportunité de s’interroger
sur ce présent incertain qui
caractérise le goût musical. Étudier
ce moment charnière dans la
formation des préférences
culturelles, c’est dépeindre un
tableau impressionniste inachevé où
les formes musicales du passé de
l’enfance et de l’adolescence sont
peu à peu recouvertes d’un voile
résultant des multiples
transformations attachées à
l’émancipation progressive de la
cellule familiale.
Illustrant ce constat, les goûts
actuels des trois enquêtés
susmentionnés semblent, pour une
large part, être marqués par les
préférences de l’un ou des deux
parents : la transmission familiale
de ces prédilections musicales
pouvant prendre le nom de chanson
française, de reggae ou de folk.
Mais, parallèlement à ces musiques
« subies » (parce que leur écoute
était décidée par leurs parents) et
dont la familiarisation s’opéra dès
leur plus jeune âge, chacun des
enquêtés s’est vu reconnaître en
grandissant le droit d’user de
l’équipement audio familial et de
disposer de son propre matériel
audio.
À
l’instar des dernières données
nationales sur les loisirs culturels
des 6-14 ans,
il est ainsi apparu que
l’accumulation de divers équipements
audio (radioréveil, walkman, discman,
chaîne hi-fi…) est directement
corrélée avec la progressive
constitution de l’écoute musicale
comme pôle culturel principal chez
les adolescents. L’équipement audio
étant le premier (statistiquement
voire aussi chronologiquement) type
d’équipement culturel possédé en
propre par les enfants et les
adolescents (devant les jeux vidéos,
la télévision et l’ordinateur),
l’écoute de musique est, plus que
les autres consommations
culturelles, le support privilégié
de la construction d’une « culture
de chambre », c'est-à-dire d’un
espace culturel autonome au sein du
domicile familial.
Cette
autonomisation s’incarne d’abord
dans les conditions de la pratique à
travers « deux dimensions
coextensives : elle désigne une
écoute solitaire et elle se
construit spatialement et
temporellement comme privative (dans
la chambre, la porte fermée, au
Walkman) par rapport à la famille. »
De surcroît, cette émancipation de
la tutelle parentale se manifeste
aussi dans la formation d’un goût
plus personnel s’appuyant le plus
souvent sur l’actualité musicale
radiodiffusée et encadrée par la
pression des autres adolescents. En
effet, comme le souligne Bernard
Lahire, ces groupes de pairs forment
désormais « des instances
relativement autonomes de
consécration et de hiérarchisation
des différents arts ou genres »
soutenues « par tout un marché
médiatique et commercial de la
jeunesse ».
Si l’influence des pairs sur les
goûts n’est pas propre à
l’adolescence, elle semble cependant
atteindre son paroxysme tyrannique
durant la période de la scolarité où
la société juvénile « se
caractérise par un fonctionnement en
groupes larges et constants qui tend
certainement à renforcer les effets
de la pression collective ».
De la sorte, Dominique Pasquier
parle de « modèle conformiste »
pour caractériser cet âge de la vie
où l’intégration sociale de l’enfant
dépend en grande partie de son
aptitude à appréhender les
préférences de ses camarades et
« à aligner son propre comportement
sur les modes de pratique dominants ».
De façon
plus concrète mais aussi singulière,
les entretiens conduits fourmillent
de détails sur ce sujet. Citons en
guise d’exemple le cas de Patrice
qui affirmait avoir eu de
« mauvaises fréquentations » en
sixième avant de cesser tout contact
avec ce « milieu de violence et
d’affaires louches » durant son
année de cinquième. Or, cette
rupture s’est accompagnée d’un
changement notable dans ses goûts
musicaux, passant du rap à d’autres
styles plus appréciés de ses
nouveaux camarades, comme par
exemple le punk, le ska ou le
hard-rock. Voici ce qu’il déclarait,
avec un certain amusement, à propos
de ce moment de sa scolarité où la
constitution des groupes de copains
était en partie motivée par des
affinités musicales (symbolisant
aussi le partage de repères
identitaires) :
Patrice :
« Ouais, sans doute que ceux qui
écoutaient du rap en quatrième ou en
seconde, on est passé à côté quoi !
On n’avait pas trop envie de les
fréquenter… Ouais je pense qu’il y
avait un peu un sectarisme… mais des
deux côtés ! C’est bien j’ai vu les
deux côtés ! [rire] Quand
j’écoutais que du rap et que j’étais
avec les petites cacailles
[racailles], t’avais un
sectarisme au niveau des autres
groupes quoi ! « Si c’est pas du
rap et que c’est de la chanson
française ou du rock… c’est pour les
pédés ! » Ou « C’est de la
merde » ! Et puis quand tu passes
de l’autre côté, bah finalement
c’est un peu pareil mais pour le rap
quoi ! J’ai vu les deux ! Il y avait
quand même un peu… pas de la
discrimination mais… quand même un
petit peu quoi ! Ouais, c’était une
part de l’amitié… pour que quelqu’un
entre dans un groupe ou pas… […]
Il y avait beaucoup de politique
aussi en quatrième/troisième
[rire] ! La période anarchiste !
[léger rire] On est tous
passé par… Enfin non, on n’est pas
tous passé par là mais moi j’ai
suivi ça… C’était rigolo ! La Ruda
[Salska]… « Captain Anarchy »
[du groupe tendance punk
Anti-Flag] ! [rire] Et
puis ouais c’était vraiment une
grosse sauce politique en
quatrième/troisième ! Alors ça !
C’était source de tensions
[léger rire]…
c’était affreux ! Je m’en souviens
encore ! Sinon, bah, je ne me
souviens pas exactement mais
lorsqu’il y en avait un qui arrivait
avec le CD d’un nouveau groupe… que
d’autres connaissaient et qui ne
trouvaient pas que c’était assez
bien… ils se foutaient de sa gueule
pendant une semaine ! »
« L’enfer, c’est les copains »
aurait pu conclure Patrice tant cet
extrait d’entretien mettant en scène
la pression des pairs a des
faux-airs de Huis-clos
sartrien.
Plus
surprenant encore, ce même individu,
aujourd’hui âgé de 18 ans, écoute à
nouveau du rap même si ses goûts en
la matière ont évolué sur des
rappeurs qui, selon ses dires, ont
des textes plus « réfléchis » comme
NTM ou Abd Al Malik. Dans ce cas, la
brève mais intense traversée d’un
univers culturel centré autour du
rap durant sa sixième aura donc
suffi à une familiarisation aux
conventions de ce style musical
avant que des rencontres amicales
plus récentes ne viennent
réactualiser son goût en la matière.
Cet
exemple, parmi bien d’autres, vient
corroborer les propos de Bernard
Lahire lorsqu’il décrit la jeunesse
comme « temps des expériences
multiples » constituant « un
fonds d’habitudes culturelles
susceptibles d’être remobilisées
lorsque l’occasion se présentera au
cours de la vie future. »
Étudier
les goûts des jeunes ou la jeunesse
du goût, c’est donc bien conjuguer
son analyse dans un temps incertain
où le passé reste présent, qu’il
s’agisse d’un présent au mode
indicatif ou conditionnel. Mais il
ne s’agit pas là de la seule de nos
incertitudes…
La musique, un art du temps
Tout
comme la poésie et plus que les
autres arts, la musique est un art
du temps. D’abord parce que la
musique est rythme et que, dans son
sens le plus courant, le phénomène
rythmique est désormais presque
systématiquement associé à l’idée de
temps.
Ensuite, parce que la musique, de
par son rythme et le moment d’écoute
qu’elle engendre, a le pouvoir de
créer un autre temps qui échappe
virtuellement aux cadences de notre
quotidien.
En effet, lorsqu’elle est
suffisamment aimée, la musique nous
immerge dans l’abîme de l’écoute :
Marc :
« Souvent quand on est un peu
overbooké par le boulot ou par le
rythme de vie… ou qu’on est
contrarié par des choses… des fois,
se calmer dix minutes avec la
musique ça permet de [il
souffle], de poser un peu les
idées et puis d’envisager plus
clairement, plus sereinement, les
situations quoi. Donc ces
chansons-là font partie des petits
breaks musicaux [que j’aime
m’accorder]… […]
Des moments de vide cérébral pour
mieux repartir ! »
Aurélie :
« La techno
c’est pas vraiment un rejet mais
c’est vrai que c’est pas… ça ne
m’évoque rien, ça ne me transporte
pas ! Pour moi ! Alors après, voilà,
il y a d’autres gens à qui ça fait
de l’effet pas possible mais moi ça
ne me fait rien du tout ! Et pour
moi j’ai besoin que la musique… me
mette comme au pied d’une falaise,
dans le vide, me transporte
complètement ! »
Patrice :
« Pour
qu’une chanson me touche déjà, il
faut que la musique soit réussie. La
musique en elle-même hein ?! Pas les
textes. Déjà la musique c’est des
sentiments, c’est des atmosphères.
Je sais pas quand on écoute les Pink
Floyd par exemple : dès les
premières notes, c’est un univers
qui s’ouvre ! Ils nous emmènent dans
leur monde. C’est ce que j’attends
de la musique. C’est que à chaque
fois qu’on met un album, l’artiste
te fait rentrer dans son univers,
dans sa façon de penser, dans sa
façon de voir le monde. C’est déjà
intéressant. C’est aussi pour sortir
du quotidien la musique ! On s’évade
un peu, on se vide la tête… On
oublie un peu ce qui se passe à
côté. »
Ces
paroles d’amateur l’expriment bien,
la musique bouleverse notre
estimation routinière du temps en
nous amenant à apprécier la qualité
de l’instant qui s’écoule plutôt que
sa durée.
En dernier lieu, la
musique est fondamentalement un art
du temps au sens où elle sollicite
notre mémoire et créé un pont entre
passé et présent. Le rôle
prépondérant de la musique dans
l’actualisation des mythes, rites,
gestes et savoirs n’est plus à
démontrer. Mais, suivant une juste
remarque de l’ethnomusicologue
Bernard Lortat-Jacob, la musique
dispose d’un pouvoir bien plus grand
puisqu’elle fait revivre ces
éléments du passé dans notre
conscience : « [La musique]
abolit le temps en sollicitant la
mémoire ; toute la mémoire :
c'est-à-dire autant celle qui permet
aux formes d’être réitérées d’une
fois sur l’autre, que celle dans
laquelle les formes s’enracinent.
Elle est susceptible d’appeler des
figures du passé et de leur donner
une nouvelle chance d’exister ».
Dans
cette perspective, le goût pour une
musique ne résulte pas uniquement de
l’imprégnation des conventions
esthétiques dans la mémoire d’un
individu. En s’inscrivant dans le
vécu de l’amateur, il est également
le fruit d’une production de sens
qui déborde voire engloutit la
musique « en elle-même ».
Du
souvenir musiqué à l’histoire
sublimée
« Trois petites notes de musique,
Qui vous font la nique, Du fond des
souvenirs, Lèvent un cruel rideau de
scène, Sur mille et une peines, Qui
n’veulent pas mourir ». Ces
célèbres paroles d’Henri Colpi, qui
furent chantées par Cora Vaucaire et
Yves Montand, témoignent
poétiquement du lien consubstantiel
qui unit la musique et le souvenir
ou, plus précisément, cet art et la
vie.
Effectivement, la musique influe sur
notre quotidien autant que notre
quotidien influe sur les goûts
musicaux et, ce, d’autant plus
qu’aujourd’hui l’écoute de musique
est devenue une pratique banalisée.
Ainsi, en ce qui concerne les
enquêtés, le goût pour une chanson
et l’émotion ressentie à son écoute
peuvent trouver notamment leur
fondement dans l’association entre
d’une part, l’esthétique de la
mélodie et/ou des paroles et,
d’autre part, des souvenirs
intenses, intimes voire pesants.
Les
entretiens abordant quelques unes de
leurs chansons « préférées »
fourmillent d’illustrations en ce
sens. Dans le cas d’Aurélie,
celle-ci s’est par exemple
identifiée depuis l’âge de douze ans
à un succès de la chanteuse Teri
Moïse intitulé « Les poèmes de
Michelle » :
Aurélie :
« Ca parle d’une petite fille qui
n’a pas trop de chance quoi. On sent
que c’est mélancolique mais il n’y a
pas trop de mots… enfin c’est assez
pudique je trouve. Je pense que
c’est une chanson qui peut très bien
parler à toutes les jeunes filles et
qui m’a, à moi, beaucoup parlée. Ca
raconte l’histoire d’une petite
fille qui n’a pas eu une vie facile
et qui se réfugie dans un monde
imaginaire en écrivant des poèmes…
[…] Ca me rappelle mon
adolescence… […] C’est une
chanson à laquelle je me suis
beaucoup identifiée à l’époque !
Maintenant, ça va mieux ! Mais
ouais, à l’époque, j’étais assez
attachée [pointe d’émotion dans la
voix] à cette chanson. J’ai dû
l’écouter en boucle pendant des
semaines et des mois. […]
Ouais, c’était vraiment la chanson
que j’écoutais en boucle dans ma
chambre en faisant mes devoirs ou en
faisant des colliers de perles… ou
justement en écrivant des poèmes.
Ouais, je me revois vraiment dans ma
chambre quoi ! Nulle part ailleurs !
[…]
Parce que j’ai beaucoup passé de
temps dans ma chambre. Donc voilà,
ça symbolise bien ces moments-là. »
Mais
l’union entre l’esthétique d’une
chanson et des souvenirs personnels
peut aussi être étrangère à une
identification aussi explicite aux
paroles. Dans ce cas, ce sont les
circonstances de l’écoute qui
priment. À ce sujet, Aurélie se
remémore par exemple le triste
rituel qu’annonçait pour elle
l’écoute de « Bohemian Rhapsody »,
célèbre opéra-rock du groupe Queen :
Aurélie :
« [« Bohemian Rhapsody »]
c’est la première [piste] de
l’album de Queen que ma maman avait.
Et je me souviens que quand j’étais
petite et que maman mettait cet
album-là à fond, alors que j’étais
couchée … je savais très bien que ça
voulait dire qu’elle se faisait
battre par son ami et qu’elle ne
voulait pas que j’entende. Et elle
mettait cet album-là en particulier…
[…] Parce qu’en fait mes
parents se sont séparés quand
j’étais toute petite ! J’avais un an
et demi… Et puis après elle a eu
plusieurs hommes dans sa vie… qui
souvent la battaient d’ailleurs…
donc c’était l’un d’entre eux… C’est
vraiment quelqu’un de particulier, à
une époque particulière et dans une
maison particulière ! Parce
qu’après, ça lui arrivait d’écouter
juste comme ça quoi… en pleurant
forcément… mais… […]
[Donc] c’est une chanson… quand
je l’écoute et après l’écoute, je me
sens plus forte qu’avant. Et donc
passé tout ce que j’aime dans cette
chanson : ces styles qui peuvent se
mélanger, tous ces passages
différents, ces clashs… c’est
surtout que ça me rappelle tellement
de mauvaises choses que ça me donne
une méga niaque [détermination,
force de volonté]
quoi ! »
Sur un
autre plan, les émotions peuvent
être intensifiées par une pleine
adhésion à des valeurs et des causes
défendues par les chansons.
Ainsi
que nous le rappelle
l’ethnomusicologue Laurent Aubert,
la musique (et la chanson), sous
toutes ses formes, est porteuse d’un
ensemble de valeurs qui sont à la
fois esthétiques et « éthiques
(par l’ensemble de références
auxquelles elle fait appel et
qu’elle exprime selon les moyens qui
lui sont propres) ». De ce fait,
le goût n’est jamais neutre, « il
implique, en tout cas dans une
certaine mesure, une adhésion à la
vision du monde »
que reflète telle ou telle musique.
Illustrant ce cas, Marc parle de son
attachement fort au reggae et à
certains de ses représentants comme
Bob Marley ou Tiken Jah Fakoly qui
lui rappellent :
Marc :
« l’esclavage, le retour à
l’Afrique et l’engagement pour
l’égalité entre blancs et noirs.
Tout ce qui est lié à l’esclavage,
ça m’a beaucoup marqué quand j’étais
plus jeune. Et ces artistes-là font
des revendications qui vont vers
l’unité [de l’Afrique],
l’égalité, la paix… et aussi vers le
respect des valeurs, des pays, des…
des religions… […] Je me
souviens, quand j’étais tout petit,
de la première leçon de morale que
m’ont fait mes parents… c’était au
niveau du racisme quoi ! […]
Et puis j’ai aussi été marqué étant
petit par l’esclavage avec l’école :
en primaire, j’avais été voir
l’exposition au château des Ducs de
Bretagne [à Nantes] sur
l’esclavagisme. […] « Les
Anneaux de la Mémoire » ! Et ouais,
ça m’avait vraiment marqué quoi !
[…] Et
du coup, c’est quelque chose qui m’a
tenu à cœur. Après, au niveau de
l’Afrique, j’ai aussi un oncle qui a
vécu plusieurs années en Afrique et
qui me racontait sa vie là-bas. Donc
l’Afrique a toujours été très
présente chez moi. »
Enfin,
l’émotion peut être amplifiée par un
attachement à des époques que
symbolisent avec plus ou moins de
précision les artistes aimés. Ainsi,
malgré des différences notables en
matière de goûts musicaux, les trois
sujets enquêtés ont confié qu’ils
auraient bien aimé vivre dans les
années 1970 alors qu’ils évoquaient
des noms aussi divers que Simon and
Garfunkel, Bob Marley, Led Zeppelin,
Pink Floyd, Jimi Hendrix ou encore
John Lennon. Or, plus qu’un simple
goût prononcé pour les divers styles
musicaux en vogue à cette période,
ce regret partagé s’est matérialisé
dans un attachement mélancolique aux
années 1970 qui représentaient selon
eux une époque de bouleversement des
mœurs, de plein-emploi, de
rassemblements fraternels comme
celui de Woodstock et où le SIDA
n’existait pas.
S’inscrivant dans une frange de la
jeunesse actuelle « Désenchantée »,
pour reprendre une artiste
« populaire » et weberienne,
l’écoute de certaines œuvres serait
donc pour ces enquêtés le moyen de
ré enchanter leur quotidien
nostalgique de ces temps révolus.
Si tous
ces rapports de sens entretenus avec
la musique mériteraient d’être bien
plus amplement traités, les quelques
réflexions abordées montrent une
nouvelle fois que le goût musical se
caractérise par un temps incertain.
Non seulement le goût est l’objet de
mutations, avérées ou
conditionnelles, mais il est aussi
nécessaire de prendre en compte la
dimension temporelle du goût du
point de vue de la signification des
objets qui le constituent. D’une
part, la pérennité de nos
préférences musicales peut être
assurée par notre volonté de
réactualiser le passé des souvenirs
personnels ou l’héritage de notre
Histoire commune. D’autre part, et
en toute logique, nos goûts peuvent
être le reflet de notre accord avec
des valeurs éthiques et sans doute
utopiques comme par exemple celles
prônées par John Lennon dans « Imagine ».
En adoptant une telle perspective,
on ne peut donc que constater que le
goût conjugué au présent se fonde
sur l’adhésion à des éléments
symboliques relevant du passé comme
du conditionnel, de l’individuel
comme du sociétal.
Il y
aurait encore fort à dire sur le
sujet qui nous préoccupe
mais il est temps pour nous de (ne
pas) conclure sur ce grand point
d’interrogation qu’est heureusement
le goût en méditant cette sage
observation d’Anne-Marie Green :
« la dynamique, la complexité,
l’impact des relations au musical
tiennent autant du rapport
musique-société, que des liens
affectifs, symboliques tissés avec
les faits musicaux (liens
privilégiés mais pas exclusifs, qui
concernent tout à la fois, le
collectif, l’interpersonnel, que
l’individuel, le conscient, le
subconscient, voire l’inconscient). »
_____________________________________________________
Bibliographie
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L.
Delmaire, Du goût pour les
musiques populaires :
perspectives singulières sur un
processus pluriel, mémoire
de sociologie sous la direction
de Mme J. Deniot et Mr J.
Réault, Université de Nantes,
2008.
Nota
bene : en tant que jeune
marmiton devant faire ses
preuves et ce à tout point de
vue, il m’a semblé nécessaire de
préciser rigoureusement les
recettes de ma pensée à travers
de nombreuses notes
infrapaginales. Peu ragoûtant de
prime abord, ce procédé semble
être le plus apte à laisser au
lecteur la liberté de consommer
selon son appétit en la matière
les ingrédients composant la
« sauce-iologie » ainsi
élaborée. De plus, en tant
qu’ancien apprenti historien, il
m’a été inculqué le souci de la
transparence intellectuelle au
sens où l’entendait Marc Bloch :
« Empoisonnée de dogmes et de
mythes, notre opinion a perdu
jusqu’au goût du contrôle. Le
jour où, ayant pris soin d’abord
de ne pas la rebuter par un
oiseux pédantisme, nous aurons
réussi à la persuader de mesurer
la valeur d’une connaissance sur
son empressement à tendre le cou
d’avance à la réfutation, les
forces de la raison remporteront
une de leurs plus éclatantes
victoires. C’est à la préparer
que travaillent nos humbles
notes, nos petites références
tatillonnes […] » (M.
Bloch, Apologie pour
l’histoire ou métier d’historien,
Paris, Armand Colin, 1960,
p.40).
Pour bref
rappel, il est possible de
résumer cette théorie ainsi : la
Culture (« cultivée ») est un
ensemble d’imaginaires
structurés propre à une société
et dont chaque membre reconnaît
la légitimité. Mais en fonction
de ses dispositions sociales
héritées (« habitus »),
chaque individu n’aura pas la
même maîtrise des codes d’accès
à la culture « savante ». Ainsi,
toujours selon Bourdieu, les
goûts sont socialement
hiérarchisés (du « légitime » à
« l’illégitime ») en trois
grands ensembles (cultivés,
moyens, populaires) dont le
premier est l’apanage des
« classes dominantes ». Les
habitus de classes déterminent
donc nos goûts en participant à
l’édification de frontières
symboliques entre les groupes
tout en contribuant à renforcer
la cohésion de ces dernières à
travers la stratégie de
distinction.
En
allusion à la célèbre formule de
Claude Grignon (C. Grignon,
J.-C. Passeron, Le savant et
le populaire,
Misérabilisme et populisme en
sociologie et en littérature,
Paris, Gallimard/ Le Seuil/
EHESS, 1989, p.41).
Comme le
souligne Bernard Lahire, il
suffit de relire cet ouvrage
« pour se rendre compte de la
tendance de Pierre Bourdieu à
forcer le trait des différences
[…]. Ce dernier
absolutise alors des écarts
relatifs, alors que ceux-ci
devraient conduire l’interprète
à une plus grande prudence »
(B. Lahire, La culture des
individus, Dissonances
culturelles et distinction de
soi, Paris, Editions La
Découverte, 2004, p.166)
La notion
d’« économie médiatico-publicitaire »
a été développée par Olivier
Donnat pour décrire la mutation
des industries culturelles (au
niveau de la production comme de
la diffusion des œuvres)
conjuguée à la libéralisation
des secteurs de la radio et de
la télévision. Ce processus « a,
en quelque sorte, créé un
système concurrent de
distinction qui, en retour, a
modifié les rapports à la
culture consacrée, notamment des
jeunes générations ». (O.
Donnat, Les Français face à
la culture : de l’exclusion à
l’éclectisme, Paris, La
Découverte, 1994, p.143 et 146)
Pour être
plus précis, le misérabilisme
amène le sociologue à
« décompter d’un air navré
toutes les différences comme
autant de manques, toutes les
altérités comme autant de
moindre-être – que ce soit sur
le ton du récitatif élitiste ou
sur celui du paternalisme ».
(C. Grignon, J.-C. Passeron,
Le savant et le populaire,
op. cit., p.36 et 37).
C.
Grignon, J.-C. Passeron, Le
savant et le populaire,
op. cit., p.21.
En
référence aux travaux du
mouvement britannique et
américain des Cultural
Studies ainsi qu’à l’ouvrage
pionnier de Richard Hoggart,
La culture du pauvre, Paris,
Les Éditions de Minuit,
Collection Le sens commun, 1970
(pour la traduction).
P.
Sauvanet, Eléments
d’esthétique, Paris,
Ellipses, Collection Domaines
philosophiques, 2004, p.6.
P.
Bourdieu, La Distinction,
Critique sociale du jugement,
Paris, Les Editions de Minuit,
Collection Le sens commun, 1979,
p.30.
Pour un
bref inventaire des accusations
esthétiques et socioculturelles
portées à l’encontre de l’art
populaire, lire R. Shusterman,
« Légitimer la légitimation de
l’art populaire », Politix,
1993, Volume 6, numéro 24,
p.153.
P.
Bourdieu, La Distinction,
op. cit., p.450.
Voir le
chapitre intitulé « Le choix du
nécessaire » in P.
Bourdieu, La Distinction,
op. cit., p.433 à 461.
P.
Bourdieu, La Distinction,
op. cit. Les dernières
citations sont tirées, dans
l’ordre d’apparence, des pages
42, 33, 34, 450 et 45.
L’hystérologie est une figure de
rhétorique inversant
l’antériorité et la
postériorité. Dany-Robert Dufour
en donne une remarquable
définition : « Exemple
(littéraire) d’hystérologie,
tiré de Jarry : « Je vais
allumer du feu en attendant
qu’il apporte du bois. […]
User d’une hystérologie,
c’est en somme postuler quelque
chose qui n’existe pas encore
pour s’en autoriser et engager
une action. » (D.-R. Dufour,
L’art de réduire les têtes,
Sur la nouvelle servitude de
l’homme libéré à l’ère du
capitalisme total, Denoël,
Paris, 2003, p.108).
R.
Shusterman, L’art à l’état
vif : La pensée
pragmatiste et l’esthétique
populaire, Paris, Les
Editions de Minuit, Collection
le sens commun, 1992.,
p.182. Cette démonstration
concrète de la richesse
esthétique des musiques
populaires s’opère dans une
analyse de « l’art du rap »,
pp.183 à 232.
P.
Bourdieu, La Distinction,
op. cit., p.17.
E. Pedler,
Entendre l’opéra. Une
sociologie du théâtre lyrique,
Paris, L’Harmattan, 2002, p.16.
Dans cet ouvrage, Emmanuel
Pedler démontre que la
fréquentation de l’opéra, une
des pratiques les plus élevées
de la constellation des sorties
culturelles, est devenu une
pratique minoritaire y compris
chez les classes dites
« supérieures ».
P.
Coulangeon, Sociologie des
pratiques culturelles,
Paris, La Découverte, Collection
Repères, 2005, p.57 et 58.
Le
premier usage de « populus »
est guerrier : il « désigne
la masse des fantassins et, de
ce sens, d’autres mots ont gardé
la trace, tel que le déponent
latin populari qui
signifie « saccager ». Avec la
réforme de l’organisation
militaire et comitiale, le terme
populus perd cette
signification pour s’appliquer à
l’entière communauté des
citoyens, toutes classes
confondues, réunis dans
l’assemblée centuriate. »
Par contre, le terme de plebs
est beaucoup plus négativement
connoté : « D’un point de vue
juridique, la plèbe regroupe les
proletarii, ceux qui, à
l’origine, sont hors du
populus – c'est-à-dire
en-dehors des légions. […]
Par la suite, la plèbe s’intègre
peu à peu au populus,
mais garde son sens exclusif de
groupe extérieur aux familles
patriciennes. […]
Plebs finit donc par désigner
« la masse populaire », « le bas
peuple » et peut devenir
synonyme de « pauvres » ».
(M. Crepon, B. Cassin, C. Moatti,
« Peuple » in B.
CASSIN (dir.), Vocabulaire
Européen des Philosophies,
Paris, éd. Le Robert-Seuil,
2004, p.918 à 930).
« Une
compétence de l’auditeur est en
effet nécessaire pour que la
musique produise son effet, et
donc pour qu’elle puisse assumer
sa fonction sociale. » (A.
Petiau, « L’esthétique de
l’efficacité. Sur un usage
social des musiques
électroniques », in
M. Perrenoud (dir.), Terrains
de la musique. Approches
socio-anthropologiques du fait
musical contemporain, Paris,
L’Harmattan, 2006, p.61 et 63).
« À
l’incertitude du rapport que la
« création » culturelle
entretient avec sa
« réception », il serait vain de
chercher une solution. Les
termes mêmes de la question sont
à réviser. La réservation de
l’acte créateur à la forme
particulière qu’il prend chez
les privilégiés d’une société
est l’a priori social de poser
les problèmes. La ruse de la
question consiste à éliminer
d’avance, avec l’idée de
« réception », l’hypothèse d’une
créativité autre que celle des
producteurs au pouvoir ou d’un
milieu favorisé » (M. de
Certeau, La culture au
pluriel, Paris, Seuil,
troisième édition de 1993
[1974], p.247).
E. Goblot, La barrière
et le niveau, Etude sociologique
sur la bourgeoisie française
moderne, Paris, Felix Alcan,
nouvelle édition 1930, p.16 et
17.
E. Kant, Critique de
la faculté de juger, Paris,
Editions Ferdinand Alquié,
Gallimard, 1985, § 9.
P.
Bourdieu, La Distinction,
op. cit., p.60.
F. de
Saussure, Cours de
linguistique générale,
édition critique préparée par
Tullio de Mauro, Paris,
Payot, Edition de 1972 [1916],
p.168.
F. Bayer, « Musique »,
in S. Auroux (dir.),
Les notions philosophiques :
dictionnaire. Tome 2.
Philosophie occidentale M-Z,
pensées asiatiques,
conceptualisation des sociétés
traditionnelles, tables
analytiques, Paris, PUF,
1990, p.1706.
J.-Y. Bosseur,
« Musique », in M.
Blay (dir.), Grand
Dictionnaire de la philosophie,
Paris, Larousse, 2003, p.696.
J. Blacking, Le sens
musical, Paris, Minuit,
1981, p.18.
H.
Becker, Les Mondes de l’art,
Paris, Flammarion, 1988 [1982],
p.54
Comme le
souligne Howard Becker,
« c’est précisément parce que
l’artiste et le public ont une
connaissance et une expérience
communes des conventions mises
en jeu que l’œuvre d’art suscite
l’émotion ». (H. Becker,
Les Mondes de l’art, op.
cit., p.54).
J.
Blacking, Le sens musical,
op. cit., p.41 et 42.
F. Escal,
Le compositeur et ses modèles,
Paris, PUF, 1984, p.6.
B.
Ricard, La fracture musicale,
Les musiques populaires à l’ère
du populisme de marché,
Paris, L’Harmattan, 2006, p.222.
M. de
Certeau, L’invention du
quotidien. 1. arts de faire,
Paris, Gallimard, édition de
1990 [1980], p.242.
A.
Hennion, S. Maisonneuve, E.
Gomart, Figures de l’amateur,
Formes, objets, pratiques de
l’amour de la musique
aujourd’hui, Paris, La
documentation française,
Questions de culture, 2000,
p.243
Dans
Les ficelles du métier,
Howard Becker explicite
remarquablement la nuance entre
une sociologie des causes et une
sociologie des processus en
prenant l’exemple du divorce.
Lorsque l’on veut comprendre
comment un couple se sépare, il
ne faut pas chercher à savoir
tout ce qui différencie les
couples qui se séparent de ceux
qui restent ensemble. Il vaut
mieux s’intéresser à l’histoire
de la rupture, à toutes les
étapes de ce processus et à la
manière dont les étapes sont
liées entre elles. L’explication
de la rupture réside en ce que
tel couple est passé par telles
étapes, non en ce que ses deux
membres étaient tel ou tel type
de personnes. Cf. H.
Becker, Les ficelles du
métier. Comment conduire sa
recherche en sciences sociales,
Paris, La Découverte, Collection
Repères, 2002 (trad.), p.110
« On
peut appeler « contingences »
les choses dont dépend l’étape
suivante, et dire que le fait
que l’évènement A soit suivi de
l’évènement B plutôt que de
l’évènement C ou D est
contingent d’une autre chose
X. » (Ibid., p.70)
Dans cette perspective, tout
évènement n’est ni complètement
aléatoire, ni totalement
déterminé.
Ce qui
représente la conduite et
l’analyse de vingt-trois
entretiens, semi-directifs pour
la plupart, et d’une observation
minutieuse de leur discothèque.
L’ambition étant d’analyser chez
les enquêtés : la place de la
musique dans leurs pratiques
culturelles, leurs goûts
musicaux actuels, le rapport
qu’ils entretiennent avec les
différents modes d’écoute de la
musique (enregistrée ou non),
l’évolution de leurs goûts
durant l’enfance et
l’adolescence, les multiples
significations inhérentes et
conditionnant leurs goûts
musicaux les plus affirmés.
H.
Becker, Les mondes de l’art,
op. cit., p.86.
O. Donnat,
Les Français face à la
culture, op. cit.,
p.339
Selon une
récente du Ministère de la
Culture et de la communication,
91 % des 6-14 ans posséderaient
leur(s) propre(s) matériel(s)
audio. (« Les loisirs des 6-14
ans », Développement culturel,
n°144, Ministère de la
Culture et de la Communication,
mars 2004, p.2, Adresse URL :
www.culture.gouv.fr/culture/deps/telechrg/dc/dc144.pdf).
H.
Glevarec, « La place et la
conséquence de la radio dans
l’univers culturel et social des
jeunes », in O.
Donnat, P. Tolila (dir.),
Le(s) public(s) de la culture,
vol.2, Paris, Presses de
Sciences po, 2003, p.86.
B. Lahire,
La culture des individus,
op. cit., p. 47, 48.
D.
Pasquier, « La culture comme
activité sociale », in
E. Maigret, E. Macé, Penser
les médiacultures, Nouvelles
pratiques et nouvelles approches
de la représentation du monde,
Paris, Armand Colin, Collection
Médiacultures, 2005, p.117.
B. Lahire,
La culture des individus,
op. cit., p.501.
« À
l’origine, on aurait […]
tendance à penser que l’emploi
exact du terme de rythme
appartient au domaine musical.
C’est à la fois vrai et faux.
C’est vrai, au sens où c’est
aujourd’hui le sens le plus
courant, et de loin, du
phénomène rythmique. C’est
pourtant faux, si l’on se réfère
à l’étymologie grecque de rythme
comme rhuthmos, « forme
fluide », « configuration
particulière du mouvant »…
Autrement dit, si le rythme grec
désignait à l’origine un certain
type de forme, c’était d’abord
au sens spatial » (P.
Sauvanet, Eléments
d’esthétique, op. cit.,
p.107)
« Toute culture a son propre
rythme, en ce sens que
l’expérience consciente est
ordonnée en cycles des
changements de saisons, de
croissance physique,
d’entreprise économique, de
profondeur ou largeur
généalogique, de vie présente et
de vie future, de succession
politique ou d’autres traits
périodiques quelconques auxquels
on confère une signification.
Nous pourrions dire que
l’expérience courante de tous
les jours a lieu dans un univers
de temps réel. La qualité
essentielle de la musique est le
pouvoir qu’elle a de créer un
autre univers de temps
virtuel. » (J. Blacking,
Le sens musical, op. cit.,
p.36).
Sur ce
point, lire A.-M. Green, « Le
fait musical total ou la
connaissance sociologique du
musical contemporain », in
M. Desroches, G. Guertin (dir.),
Construire le savoir musical.
Enjeux épistémologiques,
esthétiques et sociaux,
Paris, L’Harmattan, Logiques
Sociales, 2003, p.224, 225.
B. Lortat-Jacob,
« L’image musicale du souvenir,
Georgia On My Mind de Ray
Charles », L’Homme,
177-178 – Chanter, musiquer,
écouter, 2006, p.61.
L.
Aubert, La musique de l’Autre,
Genève, Georg Editeur, 2001, p.8
et 9.
En clin
d’oeil au fameux refrain d’une
chanson de Mylène Farmer :
« Tout est chaos… / À côté /
Tous mes idéaux : des mots… /
Abîmés / Je cherche une âme qui…
/ Pourra m’aider / Je suis
Génération… désenchantée ».
Sans
pouvoir en présenter les
détails, les recherches en cours
nous ont notamment amené à
traiter des éléments
d’esthétique populaire, des
mutations sociétales de la
jeunesse comme du couple
production/diffusion de la
musique, ou encore des nouveaux
types d’effets de légitimité
dans le contexte actuel d’« hétérogénéisation
des ordres de légitimité
culturelle » (Cf. H.
Glevarec, « La fin du modèle
classique de la légitimité
culturelle », in
E. Maigret, E. Macé, Penser
les médiacultures, op. cit.,
p.69 à 102).
A.-M.
Green, « Le fait musical total
ou la connaissance sociologique
du musical contemporain »,
op. cit., p.222, 223.
_____________________________________
.et c'est reparti pour
une nouvelle année !
2013
Non, Mycelium n'a pas
encore
dit son dernier mot.
Meilleurs voeux à tous
contre vents et marées..
Laurent Danchin &
Jean-Luc Giraud
Au sommaire un débat
ouvert enfin sur l'ainsi nommé
ART CONTEMPORAIN
Cliquer ici pour visiter le site
Evenements
Nantes
Semaine
du 4 au 10 mars 2013
a la
Galerie
Atelier-Expo
14
rue Joseph Caillé
http://atelierexponantes.blogspot.fr/2013/01/mireille-petit-choubrac-exposition.html
,
se
déroulera l'exposition des
dessins, encres, gouaches,
fusains, de
Mireille Petit-Choubrac
qui a illustré le livre Edith
Piaf, la voix le geste
l'icône.. Paris, Le livredart (cliquer).
Le
vendredi 8
mars
lors du vernissage (18 h 30),
Laurent Danchin,
critique d'art,
animera à partir de 19 h
15
15 une table ronde
qui permettra à l'artiste, à
l'auteur,
Joëlle Deniot,
et à son préfacier,
Jacky Réault,
d'expliciter le sens et les
enjeux artistiques, sociologiques et
anthropologiques d'un tel
ouvrage.
Que signifie l'insertion
pérennisée dans une culture
populaire et commune française
comme universelle, de
la voix iconisée et des chanson
d'Edith Piaf ?
Quel est
le statut intellectuel d'un tel
ouvrage très singulier entre
sciences sociales revisitées et
culture commune ?
Un débat sera
ouvert avec la salle à l'issue
duquel la chanteuse
Violaine Guénec et
l'accordéoniste
Bertrand Bugel interpréteront
des chansons d'Edith Piaf.
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