Comprendre
comment fonctionne l’imaginaire collectif, comment il est
structuré ainsi que la façon dont il se révèle aux yeux de
l’observateur ; comprendre et interpréter ce que nous avons
appelé les « mécanismes de la peur » en se servant pour ce
faire de l’imagerie, et plus particulièrement, de l’imagerie
au sein du cinéma d’angoisse comme outil d’analyse et de
compréhension; comprendre l’impact, enfin, et les
conséquences liées à la consommation des images
« horrifiques » et/ou violentes transmises au travers de
l’écran, tels ont été nos grands axes de recherche lors
d’une étude que j’ai récemment mené.
Philippe Walter disait : « Celui qui a peur a besoin de
faire peur » [1], dénonçant ainsi le pouvoir réel et les
enjeux de manipulation qui se dissimulent derrière cette
notion à la fois vaste à envisager et pourtant si familière
à tous. Nous avons voulu aller plus loin dans l’approche de
ce domaine a priori si délicat à analyser objectivement en
soulevant une autre hypothèse : et si la peur était non
seulement nécessaire, mais également « souhaitée » par ceux
qui l’éprouvent, comme c’est le cas par exemple des publics
friands de films d’horreur, fantastiques ou de
science-fiction… Qu’est-ce que cela révèle du monde social,
de ses angoisses et de ses attentes ? Certaines peurs
sont-elles universelles ? Qui les transmet et comment
sont-elles vécues selon les époques, les sociétés, les
interactions culturelles ?
Ce sujet est beaucoup trop vaste et éloigné de la thématique
de ce colloque pour être développé ici plus en détail. C’est
pourquoi nous avons choisi d’aborder le concept de la
mondialisation au travers, spécifiquement, de la question du
cinéma, et plus particulièrement du cinéma américain en
soulevant ces questions : peut-on parler d’hégémonie
« absolue », dans le domaine cinématographique, du « géant
américain » et donc, subséquemment, « d’américanisation »
des comportements universels en matière de réalisation et/ou
de consommation filmique ? Cette forme, au moins partielle,
« d’universalisation » d’un modèle culturel particulier
peut-il représenté un « danger » (acculturation) ? Quelles
conséquences éventuelles peuvent apparaître de la
consommation, souvent excessive, d’images violentes
véhiculées par les modèles visionnés ?
Culture et châtiment : l'incorporation du modèle
américain
1/ Constat : Lors des recherches que nous
avons effectué en matière de production cinématographique,
et plus particulièrement dans le cadre du traitement et de
l’analyse des films de type « angoisse », un fait est apparu
clairement : le modèle américain a su s’imposer avec force
et brio sur le marché international, reléguant ainsi en
arrière-plan (très lointain !) tout concurrent potentiel
dans ce domaine [2]. On peut estimer à l’heure actuelle et à
titre d’exemple que, quantitativement parlant, le film
américain au niveau production/réalisation et, bien entendu,
importation sur le sol français doit détenir en moyenne
environ 85 à 90% des parts de marché national… Globalement
d’ailleurs, en matière de productions filmiques à proprement
parler, le cinéma américain arrive largement en tête du
box-office, tant par la quantité produite (tous genres
confondus) –c’est-à-dire par le nombre de films présents à
l’affiche sur le sol d’un pays donné sur une année donnée-
que par les parts de marché qu’il acquière massivement au
niveau international [3].
En effet, tout film américain est exporté à l’extérieur du
territoire producteur et donc « représenté » dans la majeur
partie des pays occidentaux mais cherchant également à
s’imposer dans l’ensemble du reste du monde, tant dans des
pays comme le Japon (grand consommateur de films US) que
dans des pays comme l’Indes, pour ne citer que quelques
exemples représentatifs. Cependant, il est à noter
concernant ce point que ce processus d’exportation des
Etats-Unis vers les autres pays importateurs/consommateurs
de fictions filmiques ne se retrouve pas en sens inverse :
les Etats-Unis exportent mais n’importent que très peu de
productions extérieures (les seules qui soient représentées
de façon secondaires mais visibles demeurent encore les
productions asiatiques, et japonaises plus spécifiquement,
surtout en matière de films d’action/combats), préférant
dans la majorité des cas « copier » les trames des films
étrangers et se les réapproprier avec le « cachet » et les
acteurs « locaux ». Souvenez-vous de films tels la comédie
française « 3 hommes et un couffin » ou bien encore
« Ring » (pourtant production japonaise importée, diffusée
puis « recréée ») devenu « Le cercle » pour ne citer que
quelques exemples…
En ce sens, on peut donc parler d’une hégémonie américaine
dans ce domaine bien réelle et qui se veut et s’affirme
comme «absolue ». La production cinématographique devient
ici à la fois un enjeu véritable en matière d’économie, mais
aussi, intrinsèquement, symbole national porteur de la
« fierté américaine » (il nous suffit d’observer la création
des studios hollywoodiens et leur développement en même
temps que les icônes et autres « stars » du grand écran,
avec toute la médiatisation internationalisée, cette fois,
qui en découle pour comprendre l’ampleur du phénomène [4]),
matrice de cette « idéologie nationale» -entendue comme
vecteur/transmetteur de la culture de référence et de ses
codes sur l’ensemble des autres cultures « réceptrices »- ,
divulguant modèles et idéaux (justice par exemple : le
concept de « héros » [5] souvent sacrifié au bien de la
communauté et à la survie de l’ordre ; ou bien encore, dans
un autre registre au travers des représentations idéalisées
de la « famille-type » avec des concepts tels que « le bon
père » ou la « bonne mère » détenteurs et protecteurs des
valeurs « nobles » à leurs yeux comme la fidélité,
l’honnêteté, la droiture, la protection des enfants, etc) et
proposant souvent, dans le même temps, les croyances
religieuses « sublimées » (le Divin est fortement présent
dans les films et particulièrement dans ceux de type
« angoisse », Dieu devenant le référent, le gardien de
l’innocence et le sauveur de l’humanité, humanité sans cesse
aux proies aux complots machiavéliques du Diable cherchant à
séduire et à détourner les « brebis » du droit chemin et
contre lequel une véritable « guerre moralisatrice », -au
sens : « le bon doit l’emporter sur le mauvais », pour
caricaturer-, est engagée.) ainsi que ses valeurs morales et
éthiques plus ou moins clairement exposées aux yeux des
spectateurs [6]…
On pressent bien ici déjà ce que cela risque d’impliquer, ce
puissant modèle référentiel en matière d’imagerie prenant
actuellement une place suffisamment importante pour que
cette question soit dès à présent proposée : Peut-on aller
jusqu’à parler « d’envahissement » culturel par la nation
américaine, -sorte de « colonisateur » potentiel
asservissant symboliquement les cultures réceptrices de ses
modèles-, sur le reste du monde ? Doit-on craindre cette
confrontation culturelle ou au contraire, nos cultures
« réceptrices » (européennes) sont-elles déjà
« prédisposées », initialement, à la recevoir et à
l’incorporer sans « dommages collatéraux » éventuels ?
Une hégémonie à relativiser malgré tout
Luttes et
résistances : Il faut cependant relativiser au moins quelque
peu cette suprématie américaine en matière de cinéma,
l’émergence et la persistance de quelques « mutineries »
isolées s’érigeant à l’encontre de cette force dominatrice
sous forme de luttes symboliques contre le système instauré
et imposé « par la force », soit, en d’autres termes,
l’émergence de luttes internes de « survivance » cherchant à
contrecarrer l’hégémonie en place et à renverser le modèle
« référent » comme étant seul « recevable ». On peut
observer le cas des films français (et principalement des
comédies et comédies dramatiques) sur le sol français en
matière de réception des publics [7] faisant en l’occurrence
partie de ce « contre » (le public français se déplace plus
massivement pour voir des films français que des films
américains : les grands succès –en termes d’entrées dans les
salles obscures- sont des comédies françaises) ; on peut
également observer le cas du nouveau courant de films
fantastiques espagnols et de certains de ses réalisateurs
que les américains vont parfois « chercher » pour produire
des films « étiquetés » américains ( l’exemple de Blade2,
de Guillermo Del Toro, ou bien concernant le cas français,
ceux de Jean-Pierre Jeunet avec Alien 4, la Résurrection,
de Pitof avec dernièrement Catwoman, et de Mathieu
Kassowitz avec Gothika) ; ensuite, il faut constater
l’omniprésence de la réalisation japonaise et des films
asiatiques en général s’exportant aussi bien aux USA que
dans le reste du monde sans oublier, enfin, l’importance du
cinéma italien fantastique des années 70/80, avec de grandes
figures reconnues de tous comme Dario Argento ou bien encore
Mario Bava (même si ce mouvement « indépendant » est
aujourd’hui quasiment inexistant). Il y a donc malgré tout
une sorte d’esprit réfractaire des autres cultures cherchant
à revendiquer un style qui leur soit propre, identités
culturelles cherchant à tout prix à s’imposer indépendamment
du regard et du jugement américain et à affirmer haut et
fort au reste du monde leurs particularités et leur raison
d’exister…
La guerre des clones...
2/ Les conséquences : Par cette hégémonie
absolue (a priori, comme nous l’avons vu précédemment
puisque des « îlots » résistent) en matière de
production/diffusion/réception cinématographique et par ce
qu’elle sous-entend, on ne peut donc que s’interroger
substantiellement sur les conséquences potentielles d’une
telle diffusion et de la manière dont va être reçu, voire
même éventuellement incorporé, ledit modèle par les autres
cultures ayant leurs propres systèmes de références et de
codes sur lesquels il tend à vouloir se juxtaposer. Peut-on
donc éventuellement parler « d’américanisation » des
cultures mondiales, sorte de processus, en somme,
« d’universalisation » du modèle américain ?
Le fait est que, comme nous l’avons énoncé également
auparavant, quantitativement parlant, la prolifération des
films américains tend à vouloir s’accaparer l’ensemble des
parts du marché économique cinématographique, devenant de ce
fait un modèle incontournable, inévitable même. Le fait de
ne pouvoir concrètement échapper à cette « imposition »
massive de références semble avoir plusieurs répercussions
déjà visibles : par exemple, les réalisateurs français vont
mettre sur le marché du film français les thématiques et
techniques filmiques lancées par les USA (On peut supposer
alors une perte identitaire, au moins partielle, du cinéma
français ) ; on peut imaginer que la transmission
d’idéologies et des peurs internes à la nation US puisse se
mondialiser (ce qui pourrait entraîner, dans une vision
assez négative, voire pessimiste de l’avenir, une perte de
certaines traditions et d’une partie de l’héritage social et
culturel, et donc, consécutivement, une ablation au moins
partielle de l’identité nationale des pays « récepteurs »);
de même, il semble tout à fait plausible que les modes
comportementaux américains puissent également être
« copiés » (comme c’est le cas par exemple en matière de
consommation alimentaire : coca, Mac Donald, etc. et qui ont
les répercussions négatives que nous connaissons comme
l’obésité qui est en train de devenir également un problème
européen et non plus exclusivement américain) et reproduits,
etc. Mais ne peut-on pas aller plus loin encore et
s’interroger sur la portée des messages et des idées
transmises dans ces productions qui, une fois assimilés par
les sociétés réceptrices, risquent d’avoir des conséquences
lourdes de sens ? Si l’on se place en effet en tant
qu’observateur de la société américaine et de son mode de
fonctionnement global (et ce toujours en se servant des
productions filmiques comme transmetteurs d’informations),
que remarque-t-on en premier lieu ?
Tout d’abord, il semble que les USA aient entamé une sorte
de « croisade d’évangélisation » (pourrait-on dire), sorte
de « guerre symbolique » dont l’aboutissement serait que la
culture américaine soit reconnue dans le monde comme seul
maître de cérémonie « acceptable », comme seule apte à
transmettre les valeurs essentielles à l’ordre universel en
guidant les autres pays sur la voie de la
« connaissance ultime» et de la Vérité… Peut-on dire que
cette nation se pose en quelque sorte en « prophète » dont
la « mission » serait d’apporter « la bonne parole » aux
« brebis égarées » que représente le reste du monde ? Il
pourrait sembler que oui. Cependant, des conséquences
négatives de cette croisade peuvent apparaître en
arrière-plan : par la prolifération des modèles américains,
mais aussi par leurs propres « représentations » du monde et
des peurs qui les envahissent, la transmission de ces
« visions » pourraient très bien s’immiscer dans celles déjà
présentes au sein des cultures réceptrices, mettant ainsi en
danger leur équilibre en modifiant, -en « américanisant »
peut-on même dire- les fantômes et démons traditionnellement
ancrés dans leur système de références initiaux et en
bouleversant dans le même temps leur perspective
d’avenir :les cauchemars américains pourraient ainsi
devenir, dans une telle optique, nos propres cauchemars...
En modifiant ainsi les équilibres par le truchement et la
« reconversion » des codes culturels prédéterminant (au
moins en partie) les modes comportementaux de chaque société
« d’accueil », on peut s’inquiéter, il me semble, de cette
« ingurgitation » forcée d’informations extérieures et
venant s’imposer en (quasi) seul modèle référent
« recevable » (au moins aux yeux des américains):
l’hégémonie risque alors de devenir tyrannique (d’ailleurs
ne l’est-elle pas déjà ?), voire même « traumatisante » et
les conséquences de cette quête, une arme redoutable pouvant
se retourner contre les récepteurs eux-mêmes sous forme, par
exemple, de paranoïa collective, de sentiment d’insécurité
exacerbé, de sentiments xénophobes, etc. A titre d’exemple
tiré cette fois du réel, remémorons-nous l’attentat des
tours jumelles le 11 septembre 2001 : ce n’est pas qu’une
nation qui a été touchée par cet attentat hautement
symbolique mais bien l’ensemble des pays occidentaux et ce
sont eux, réunis, qui ont suivi le mouvement lorsque les USA
sont partis en guerre contre l’Irak, et dans le même temps,
contre le « fanatisme religieux ». Quelle leçon pouvons-
nous tirer de cet événement si ce n’est que nous devons
(sous peine de sanction symbolique comme ce fut et c’est
encore aujourd’hui le cas de la France) suivre
impérativement la « nation-reine »… Il en va de même pour
les modèles véhiculés : nous nous devons de les consommer,
sans alternative réelle, et d’incorporer au nôtre leur
système de représentations…
C’est pourquoi, en abordant la question de la supériorité
américaine en matière de productions filmiques, on peut
également s’interroger sur ce qu’elles véhiculent comme
« messages » de par le monde et par la portée qu’elles
peuvent alors revêtir lorsqu’elles sont reçues par les
publics « étrangers ». La réception ne sera pas en effet
uniquement esthétique, mais bien aussi symbolique. Et c’est
sur ce point que nous voulons nous diriger, toute réception
d’informations aussi diverses que variées pouvant entraîner
hypothétiquement des conséquences plus ou moins importantes,
plus ou moins visibles.
Or, comme j’ai pu vous le dire précédemment, lors de mes
investigations, je me suis attachée plus particulièrement à
étudier les films de type « angoisse » [8] afin de
comprendre au mieux comment fonctionnaient les mécanismes
de la peur [9] ainsi que les problèmes potentiels qui
pouvaient émerger de la réception de telles informations.
Cependant, il est à noter que lorsque l’on aborde la
délicate question de l’angoisse, on ne peut en aucun cas
passer outre le fait que ladite angoisse soit corrélative de
la notion de violence (physique, morale, symbolique,
fictive, à comprendre au sens large du terme) et qu’elle y
trouve même ses racines. La prolifération de l’imagerie
violente –médiatique et/ou fictive principalement- pose donc
question… voire même problème au sein de nos sociétés
occidentales.
Il faut par conséquent s’interroger sur les formes de la
violence qui sont présentées dans ces productions filmiques
et chercher à comprendre les raisons socio- historiques qui
ont permis leur avènement (la violence fictive, ici,
représente les angoisses et formes de violence « réelles »
existant au préalable à l’intérieur même d’une société
[10]), mais il faut également chercher à comprendre ce que
cette « présentation/représentation », lorsqu’elle est
« consommée » en grande quantité, peut avoir comme
aboutissements ( et dans quelle mesure les deux peuvent ou
non être étroitement liés).
Quand l'enfer s'incarne sur terre...
La violence a toujours existé au sein de nos sociétés et des
différentes civilisations, et par ailleurs, comme le fait
remarquer Michel Maffesoli dans un article issu de la revue
Nouvelles Clés [11], il semblerait que ce phénomène ne soit
pas plus important aujourd’hui qu’au Moyen Âge. La
différence ne semble résider que dans la « surmédiatisation »
[12]de cette dernière qui ne ferait que renforcer la
sensation d’insécurité globale inhérente à une société
donnée, voire même au monde, comme c’est le cas de nos jours
avec l’impact des actes terroristes sur la conscience
collective occidentale. C’est pourquoi, poser le problème de
la « présentation » de la violence sous forme imagée réelle
et/ou fictive revêtant un caractère de « sensationnalisme »
évident et quantitativement important auprès des publics
(les informations diverses transmises étant aussi variées
qu’extrêmes parfois) peut nous amener à nous interroger sur
deux points : Violence et consommation massive
d’informations imagées ont-elle un lien direct l’une avec
l’autre ? En ce sens, peut-on parler, d’une sorte
« d’apprentissage », au travers de la diffusion/consommation
de l’imagerie, des formes que revêt la violence et donc,
conjointement, d’un processus sous-jacent de
« banalisation » de cette dernière? Car là se dessine une
seconde piste réflexive en rapport étroit avec la
précédente : A force « d’emmagasiner » dans notre conscience
collective –et donc dans nos modes de représentations- des
images (structurantes pour notre imaginaire [13] ) narrant
des faits, des actions et des événements de plus en plus
explicites dans l’horreur, la sauvagerie, la barbarie, la
haine ou bien encore dans le déploiement de plus en plus
vicieux des stratégies mises en place des pouvoirs, de
l’illicite, de la « libre action sur autrui », il semble que
l’on puisse en arriver à incorporer les types réflexifs
et/ou comportementaux inscrits dans les messages
sous-jacents des productions filmiques…
Par cette question, en d’autres termes, nous voulons
interroger les modes de pensée et/ou d’action potentiels
consécutifs de la prolifération filmique de type
angoisse –entre autre, le cinéma n’étant qu’un facteur
supplémentaire dans l’élaboration de ce processus – et
élargir concomitamment notre champ de réflexion au rapport
étroit qui paraît lier la culture américaine aux autres
cultures occidentales. Nos cultures « réceptrices »
suivent-elles (ou risquent-elles de suivre à court ou moyen
terme) la même voie que celle de la première puissance
mondiale ? Si l’on prend l’exemple concret, aux USA, de la
possession, voire de l’utilisation massive d’armes à feu
(dénoncée dans Bowling for Columbine de Mickael Moore
[14], très controversé) qui pourrait être perçue comme
l’illustration d’une forme de « paranoïa collective » liée
au sentiment d’insécurité, avons-nous des chances de suivre
le même cheminement ? Ou bien encore, si l’on prend le cas
de violences conjugales ou internes à un foyer, parfois
extrêmes, qui se multiplient et alimentent les faits divers
quotidiennement, inspirées de ou inspirant la création
filmique (le cas du tout jeune couple inspiré dans ses actes
meurtriers par le film Tueurs nés et qui ont décimé
nombre de personnes sur leur route avant de se faire
arrêter) ; ou que ce soit en France avec des cas similaires
à celui énoncé précédemment, pour ne citer que l’exemple du
jeune homme de 17 ans, près de Nantes, qui a assassiné de 72
coups de couteau une jeune fille de 15 ans en se disant
inspiré par le film Scream… Suivons-nous le modèle
américain ? Plus largement, va-t-on vers une
« dépréciation » inconsciente de la violence liée à sa
« banalisation », conséquence d’un « trop-plein »
d’informations violentes véhiculées [15] à la fois par les
médias et les fictions filmiques mises en scène, proposées
et assimilées massivement par les spectateurs ?
L’image pourrait alors apparaître comme un véritable vecteur
lors de sa réception - intériorisation - retranscription de
la violence qu’elle inspire, un peu à la manière de
l’étincelle mettant le feu aux poudres d’une société en
perte de repères suffisamment puissants pour canaliser les
comportements à « la dérive »…à moins que ce soit elle qui
ne les produise… Autrement dit, ne peut-on pas parler de
l’avènement et de la croissance d’une forme d’anomie sociale
qui prendrait sa source et son inspiration au cœur même de
l’imagerie et des modes de représentations s’inspirant de
cette dernière, « facteur de modification » des
comportements éventuel ? Sommes-nous, enfin, face à des
exemples isolés ou tendons-nous vers un véritable phénomène
de société en phase évolutive qui, d’abord sous l’aspect
d’un problème interne à une nation donnée, se transmettrait,
voire même, pourrait-on dire, « contaminerait » les autres?
Entre informations et « intoxication », donc, la question
est de savoir quelle place revêt véritablement l’imagerie
dans la retranscription, mais aussi dans la formation, de la
violence caractérisée, des formes d’angoisse, de peurs,
voire même de terreurs que cela institue… Jusqu’où, enfin,
doit-on « montrer » l’horreur, demande de sensationnalisme
initiale ou non, qu’elle soit réelle ou fictive, et vers
quelles tendances cela nous mène-t-il aujourd’hui ?
Car il semble que deux pistes comportementales conséquentes
de ce visionnage permanent « horrifique » soient en train de
se profiler :
1/tout d’abord, le développement et une tendance à
l’exagération de l’idée d’insécurité pourraient mener les
individus vers un trauma collectif engendrant une véritable
forme de « psychose » qui s’exprimerait de deux manières :
soit sous la forme d’une violence incorporée qui tendrait à
vouloir « ressurgir » de manière plus ou moins ordonnée, ce
déploiement « extérieur » d’agressivité incorporée pouvant
alors se retourner soit contre son « producteur » lui-même
(comportements névrotiques, psychotiques et/ou pervers selon
les cas de figure), soit contre autrui (exemple des
psychopathes ou des sociopathes). Dans ce cas, on pose comme
hypothèse de départ que l’image et sa symbolique puissent
devenir des facteurs anomiques du comportement social ;
2/La seconde conséquence plausible serait une tendance
vers un individualisme exacerbé, isolant l’agent social des
autres et le confortant dans une appréhension du monde
égoïste, voire égocentrique, coupant ainsi lien social et
solidarité et privilégiant les intérêts personnels à ceux de
la communauté, pouvant même aller jusqu’à une passivité
totale, voire même vers une indifférence absolue quant à ce
qui peut advenir à autrui (on compatit un instant avant de
changer de chaîne par exemple).
Ne serions-nous donc pas en voie de nous diriger vers une
forme « d’universalisation de l’indifférence » envers
l’Autre, ayant trop « peur » pour intervenir, ou bien étant
trop « habitué » au mal qui nous submerge au quotidien sous
un flot d’images réelles et/ou fictives mais toujours plus
nombreuses et extrêmes, pour pouvoir nous intéresser au sort
du reste du monde ?….
[1] Le
terrorisme diabolique au Moyen Age : quelques témoignages
empruntés à la littérature et aux exempla, Philippe
Walter in Terreur et représentations, sous la
direction de Pierre Glaudes, Ellug, Grenoble, 1996, p.21-35.
[2] Lors de mes recherches pour la construction de ma thèse
sur le cinéma, -entendu comme outil d’analyse des structures
de l’imaginaire et des fonctionnements des mécanismes de la
peur, mais aussi compris comme phénomène social et culturel
à part entière- intitulée Dies Irae, la méthodologie
s’est orientée dans trois directions : une étude
quantitative des meilleures entrées en salles et des
chiffres du box-office français sur notre territoire
couvrant une période de trois années (rapports
productions/réalisations et exportations/importations des
films par pays) ; une étude qualitative basée sur des
entretiens semi-directifs et dits du « brainstorming » (une
vingtaine d’ « officiels » complétés par une cinquantaine
d’ « officieux », grâce à une étude de terrain en
« immersion » dans un complexe cinématographique nantais sur
trois ans) appuyés par une observation directe et
participante, donc, de trois années (avec accès aux sources
« officielles » et à l’ensemble des documents permettant la
compréhension de ce qu’est un cinéma et de la manière dont
fonctionne en France la distribution des films en salle) ;
enfin, le visionnage de plus de 500 films (sur cinq ans) et
l’échantillonnage des genres filmiques de type « angoisse »
développé grâce à un corpus abouti de 180 films.
[3] Source : les deux hebdomadaires « officiels » reçus sur
les sites distributeurs qui sont Ecran Total et Le
Film Français (utilisation de leurs données de 1997 à
2000).
[4] Pour plus d’informations sur l’avènement du « 7ème
Art », se référer aux ouvrages (liste non exhaustive bien
sûr) : Histoire du cinéma, Gérard Betton, PUF, Que
sais-je ?, 5ème édition, Paris, 1997 ;Sociologie
du cinéma, Pierre Sorlin, Aubier-Montaigne, Paris,
1977 ; Les théories du cinéma depuis 1945, Francesco
Casetti, Nathan Cinéma, Paris, 1999.
[5] Le concept de « héros » présenté à l’écran comme
individualiste et agressif a été proposé lors de ce colloque
sur la mondialisation par Guy Blois en séance plénière
(l’image d’un Schwarzenegger ou d’un Stalone, par exemple,
figures emblématiques américaines par les rôles qu’ils
incarnent, représentent tout à la fois les valeurs portées
par la Nation tout en induisant emblématiquement la notion
du « self-made-man » qui réussit sa mission envers et contre
tous).
[6] Se référer à l’article de Stéphane Fauteux, « Le héros
en soi : pouvoir et cinéma », COMMposite, v2003.1,
http://commposite.org/2003.1/articles/fauteu.html
[7] Pour plus d’informations sur la réception de l’œuvre par
le public, se référer à l’excellent ouvrage de H.R.Jauss,
Pour une esthétique de la réception, Gallimard, Tel,
Paris, 1978.
[8] et [9] Ces deux concepts sont développés dans l’étude
précitée en cours Dies Irae sur laquelle j’ai été
amenée à travailler. Il s’agissait de déterminer quels
étaient les modes de fonctionnement ainsi que les différents
rôles que pouvait jouer la peur (transmise par le biais de
l’image filmique) lors de sa réception par le spectateur,
dévoilant ainsi à la fois l’héritage historico- religieux,
social et culturel, mais également les dynamiques et les
processus en action au sein d’une société en perpétuelle
évolution, ainsi que les représentations sociales et les
différentes structures de l’imaginaire –pour reprendre un
concept développé par Gilbert Durand dans Les structures
anthropologiques de l’imaginaire, aux éditions Dunod-
incorporés par les agents sociaux d’une société donnée.
[10] Concernant la notion de violence, on peut se référer à
René Girard, La violence et le sacré, Editions Albin
Michel, Hachette littérature/Pluriel, Paris, 1990.
[11] Article de Michel Maffesoli, « Une société
équilibrée intègre notre part d’ombre… »,
http://www.nouvellescles.com/Entretien/Maffesoli/Maffesoli.htm
[12] Sur le rapport aux médias et à l’impact induit par ces
derniers sur le public, consulter Sociologie de la
communication et des médias, Eric Maigret, Armand Colin,
Paris, 2003 ou bien encore Propagandes silencieuses :
Masses, télévision, cinéma, Ramonet Ignacio, Galilée,
Paris, 2000.
[13] Les structures anthropologiques de l’imaginaire,
Gilbert Durand, 11 ème édition, Dunod, Paris, 1992 et
Champs de l’imaginaire, Grenoble, Ellug, 1996.
[14] Le film-documentaire (mais très engagé idéologiquement
et politiquement) Bowling For Colombine s’inspire
d’un fait divers violent (une tuerie par armes à feu « à
l’aveuglette ») survenu aux Etats-Unis, dénonçant une trop
importante propension à la détention d’armes sur le sol
américain « facilitant » l’émergence de la violence au
quotidien.
[15] La violence et l’amnésie, chroniques des années de
soufre, Pierre Mertens, Editions Labor, Quartier Libre,
Bruxelles, 2004.
[16] Afin d’aborder la notion de représentations sociales,
on peut se référer à l’ouvrage commun Les représentations
sociales, Christine Bonardi et Nicolas Roussiau, Dunod,
Les topos, Paris, 1999.
Bibliographie complémentaire et non exhaustive :
L.Cousin, C.Fourrage, K.Talin, Les
mutations des croyances et des valeurs de la modernité,
l’Harmattan, Grenoble.
P.Diel, La peur et l’angoisse, Payot, Paris, 1956.
Denis Duclos, Le complexe du loup-garou, la
fascination de la violence dans la culture américaine,
La Découverte, Agora pocket, Paris, 1994.
C.G.Jung, Métamorphoses de l’âme et ses symboles,
Georg Editeur, le livre de poche, Références, 4ème
édition, Paris, 1993.
J.Kristeva, Pouvoirs de l’horreur, essai sur
l’abjection, Editions du Seuil, collection Points,
Paris, 1980.
S.Kracauer, De Caligari à Hitler, L’âge d’homme,
Lausanne, 1973.
M.Lacroix, Le culte de l’émotion, Flammarion, Paris,
2001.
M.Maffesoli, La part du diable, Flammarion, Champs,
Paris, 2002.
A.Mattelart, La mondialisation de la communication,
Puf, Que sais-je ?, Paris, 1996.
G.Steiner, La culture contre
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