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Sciences sociales et humanités Joëlle Deniot et Jacky Réault : colloque l'Eté du Lestamp avec HABITER-PIPS Université de Picardie Jules Verne.

Université de Picardie Jules Verne- LESTAMP, Amiens H-P Itinétaires de recherche à l'initiative de Jacky Réault

Joëlle Deniot et Jacky Réault Etats d'arts Affiche de Joëlle Deniot copyright Lestamp--Edition 2008



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A so small world
Inter-dit sociologique et mutation mondialiste


 

Joëlle DENIOT
Professeur de Sociologie à l'Université de Nantes
Droits de reproduction et de diffusion réservés © LESTAMP - 2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France N°20050127-4889



« Les êtres humains s’accordent dans le langage.
Ce n’est pas là une conformité d’opinion, mais de forme de vie. »

Wittgenstein, p. 126- in 
Lire Wittgenstein




Panoptès


D’abord un simple constat

Bien des productions sociologiques consistent à prendre paroles et interventions de quiconque pour en disséquer les préjugés de mauvais aloi. Ainsi les sociologues s’avancent-ils sur la scène éditoriale et médiatique, comme ils l’ont toujours fait, mais sans doute de façon de plus en plus manifeste et radicale, comme maîtres tout puissants des discours d’autrui.


Puis une référence gardée en mémoire

Michel Serres dans les cinq sens (Grasset, 1985) parlait à propos des sciences sociales, déjà fortement marquées par la sociologie, de cette tentation panoptique propre à ceux qui se désiraient critiques et jamais critiquables ; présence observante sans opacité observable. La méthode des sciences sociales[1] écrit-il, «  filoute les filous, trompe les trompeurs, elle vole les voleurs, fait la police chez les gendarmes, surveille les voyeurs, trahit les menteurs, étudie les faibles et les misérables, les exploite en leur prenant de l’information, leurs petits secrets, leurs derniers biens » … et d’ajouter « Ceux qui s’occupent des hommes se tiennent toujours dans cet angle mort du sujet actif, dans son dos ».


Portée sous un nouvel éclairage

Si ces propositions pouvaient passer pour objection classique d’une philosophie inquiète de la marche des sciences sociales dans les années 80 – c’est d’ailleurs comme telles que je les entendis alors, comme lectrice de ce texte, à peine entrée dans ma carrière universitaire, en sociologie à Nantes -  elles résonnent cependant aujourd’hui tout autrement. En ce début de siècle, où se croisent (fortuitement ? on peut aussi en douter) d’un côté macrocosmique, l’emprise unidirectionnelle des centres économiques et stratégiques sur le développement des peuples, des États et des nations et de l’autre - microcosme parmi d’autres - le monolithisme accéléré de l’investigation et de l’interprétation sociologiques sur le monde tel qu’il va, on peut réexaminer la question de cette tentation, voire de ce syndrome panoptiques au cœur du discours et de la tournure d’esprit sociologique.


Dans l’urgence de la réflexivité

Non seulement on peut … mais il me paraît crucial de le faire ; pour comprendre finalement comment le sociologique participe largement, involontairement ou non, de la bien-pensance de la normalisation souhaitable du monde, de la vie et des esprits. Cette urgence, elle vient de l’observation des étudiants en formation, de discussions avec des collègues, des thésards, de cette réflexivité inscrite dans les actes, ici et maintenant, suscitée par la force de l’expérience personnelle, qui en tisse la toile de fond. Il ne s’agit donc pas là de prendre le point de vue de l’exégète, à partir d’un corpus de référence dont la constitution n’est nullement achevée, voire interminable d’un seul point de vue ou même de plusieurs points de vue croisés.

Il s’agit seulement, à partir d’une ethnographie d’indices critiques cueillis au jour le jour, conviés par le réel immédiat, de se lancer dans le fil de cette intuition globale - intuition toujours vraie si ce n’est jamais certaine[2]. Il s’agit de se lancer vers quoi ? Quelques prolégomènes à une épistémologie future … peut-être. Aussi dans ce mouvement pris dans le frémir des signes, à cette étape initiale ne choisirai-je pas l’épais manteau de la rhétorique démonstrative, mais une exposition plus aérée, avançant par postulats, dans la forme brève de l’aphorisme.


Silence à vivre et à penser

C’est un débat ancien pour l’ethnologie que de savoir ce qui fait source : les informations collectées sous l’impératif de cohérence d’un corpus raisonné ou bien tout le donné qui – au delà même de votre conscience - atteint votre corps et votre âme et vient par éclats ? Il existe une curieuse et constante résistance en sciences sociales à faire source de ces premiers objets venus… ceux qui vous surprennent ou captent de façon abrupte, ceux qui vous enseignent brutalement. Toutefois comment saisir le social, ses métamorphoses, ses grandeur et décadence, en laissant échapper ce qui se signale ici instantanément, ce qui affleure à la surface, dans le flou, ce qui vous heurte de plein fouet. Ce sont pourtant ces matériaux refoulés, peut-être les plus réels, sûrement les plus silencieux, que je me suis cette fois résolue à prendre pour guide de randonnée


Ligne de faille

Nous savons tous, par ouï dire ou mieux par examen, que la sociologie, en tant que discipline instituée, traverse une grave crise de sectarisme dont on peut tenter, si ce n’est de délier, du moins d’inventorier les nœuds, eux-mêmes amarrés aux actuels basculements du monde.


Un climat

Doctorants se ( nous) demandant s’il est permis de citer tel auteur, interdit de mentionner tel autre, s’il est exigé de faire allégeance au moins langagière, à quelque pensée-culte considérée comme puissante, bref … bien au-delà du nécessaire exercice d’adaptation de l’impétrant, tous ces avatars d’un conformisme anxieux constitue le symptôme le plus routinier de cet état critique. Il est bien loin d’être le seul. En effet cette fièvre de conformité tend à mutiler toutes les pratiques de recherche, d’ invention, d’écriture ; elle tend à transformer tout un chacun : les plus cyniques en « animaux stratégiques[3] », les plus généreux en équilibristes menacés.


Une clôture

Manuels nombreux servant de plus en plus souvent de base à l’enseignement, ou bien livres de synthèse sur une question de société mise à l’ordre du jour, permettent de constater que nous sommes en train de passer à l’ère de l’auto-référence hypertrophique. Il est rare que les sociologues parlent des sociétés, tant la comparaison et la concurrence de leurs propres écrits les occupent. S’il est normal en toute science, pour définir une thématique, de baliser l’historiographie de ses questionnements, il est abusif d’en faire le point d’orgue de sa démonstration.

A suivre cette pente, l’exégèse supplante le texte et l’on entre alors dans le moment scolastique décadent d’un savoir pris dans la rengaine des paradigmes repérés voire momifiés. Je n’ai pas prétention à dire que cette pente est bien celle qui globalement se dessine, tant les productions sociologiques sont éclatées, tant elles se  distinguent selon les spécialités, tant elles parviennent aussi à respirer dans bien des interstices, sous des plumes d’auteurs audacieux. Je n’ai pas prétention à dire cela puisque je n’ai pas suivi la voie studieuse et lente de relevés systématiques, mais une autre démarche plus directe et plus impressionniste certes, mais dont on verra au fur et à mesure quel type de sociologie machinale elle éclaire et permet pourtant de cerner.


Les traces d’un repli

Je peux toutefois affirmer qu’une telle tentation peut se ressentir - en témoigneraient l’argumentaire des commissions, des expertises, celui parfois des rapports de thèse - dans la circulation diffuse d’un sens scientifique commun, du moins que l’on proclame scientifique et que l’on veut commun. Cette tentation autiste se manifeste également par le simple indice, un peu décalé, un peu indirect d’une inflation des questions de méthodes, cette petite cousine modeste de la théorie et du métier de sociologue, mais dont la présence s’impose désormais sur l’ensemble du cursus de l’étudiant de sociologie.


Le concept et son double

A force d’exhorter, de s’exhorter soi-même à construire la réalité sociale, les mots sorciers ont fini par refermer leurs pièges. Construire la réalité sociale[4], comme on reconstruirait le monde[5], cette chose à portée de ses projections savantes : bien des intitulés de cours, des titres de chapitres se rangent, consciemment et/ou par habitude, sous ce slogan identificateur. Et si l’obsession du construit, sans doute également mécanisme de défense dans la culture sociologique[6], ne faisait que déclarer la prévalence d’une glaciation des concepts sur le surgissement de la réalité : événement, histoire, différenciation, singularité, altérité, corps, voix, présence, ombre, énigme, résistance, sacré ?

La question mérite d’être posée au moment précisément où plus que jamais, il s’agit de faire de la compréhension la plus large et la plus vigilante, une arme de vie et de dignité. Il ne s’agit plus de construire la réalité sociale, il s’agit de ne plus l’éviter, d’aller à elle, de l’écouter au jour le jour, il s’agit de sortir de la science-fiction. J’ajouterai que l’on saisit d’ailleurs mieux comment dans ce contexte où l’obsession de l’objet construit suppose finalement l’amnésie du réel, toujours déjà adjugé par la discipline, bien des appels intransigeants et bien des rappels maniaques « au terrain », au tout terrain même, constituent bien plus qu’une nécessaire compensation, un véritable leurre.


Le piège d’Argos

Ainsi pourrions-nous pointer l’un de ces premiers nœuds de la crise : sans doute le retournement de l’observatoire panoptique contre soi-même. En effet si l’outil et la posture panoptiques - grâce divine qui vous conduirait, tel Argus, à percevoir le point de vue du point de vue, à découvrir et pouvoir penser tous les profils des corps, toutes les facettes des actes à la fois - s’exercent  à merveille sur les comportements, opinions, pratiques, usages et mœurs de l’autre, il s’exerce d’abord dans la prison du champ où tous veillent à la surveillance de tous, le meilleur chien de garde étant encore soi- même, sa propre soumission, son inhibition, sa peur.


Au-delà de l’angoisse, l’alliance

Si elle parle souvent de domination, la doxa sociologique parle bien peu de la peur, cette grande dompteuse des collectifs et des âmes ; ce que l’anthropologie des fondamentaux n’avait d’ailleurs pas éludé dans ses textes les plus classiques[7], nous apportant là, sur ce questionnement des tensions intra-pyschiques archétypales, des refoulements, des conflits conscients/inconscients, des névroses ethniques au principe de la règle sociale et de l’intervention culturelle, une véritable ressource, confirmant s’il en était encore besoin, la nécessité de ce lieu commun des sciences sociales, fortement évoqué par Jacky Réault en début de colloque, puis différemment, mais plusieurs fois relayé au cours des ateliers.


Unique, implacable

Comment la sociologie, celle qui se montre, occupe la place du moins, comment cette forme savante des représentations de la société, s’articule-t-elle à l’accélération mondialiste qui touche désormais toutes les sphères et strates de la vie sociale ? A cette question centrale que je me pose, je répondrai : pour l’essentiel, elle s’y articule en la mimant… c’est à dire en se faisant l’écho, selon ses propres analyses et ses propres rhétoriques, de cette idéologie de l’inéluctable qui est au cœur des dynamiques et du schéma mondialistes.


Une fatalité sans visage

Globalisation, mondialisation, ces vocables[8] nous propose un constat, un devenir, une fiction, un avenir frappés au sceau de la froide et impérieuse nécessité, une sorte de laïcisation intégrale, définitive du Destin ; destin dès lors privé de ses moires, de ses dieux souverains pour régner en revanche non plus seulement sur une vie, une personne, une lignée, un peuple… mais sur de vastes ensembles sociétaux et civilisationnels ; les entraînant vers un achèvement, une réalisation à l’identique  : même modernité invoquée, même rationalité supposée des économies, des gouvernances, des mœurs, des imaginations, des symboles, des identifications, des rêves, des sujets … estimés à l’aulne d’un pragmatisme violent.


Miroir, mon beau miroir

Si les sociétés sont dites prises dans cette inéluctable loi de la force, sans agents identifiables, si leurs dynamiques sont sensées commandées par des processus tendant à évincer leur histoire, les voilà réduites –  de façon idéelle du moins - à des engrenages prévisibles, à des totalités maîtrisables, à des matériaux réifiés … bien taillés comme tels pour susciter le désir du politique et du sociologue[9]
Traiter les faits sociaux comme des choses, plusieurs générations d’étudiants, dans le fil de leur apprentissage, ont maintes et maintes fois,  répété l’injonction Durkheimienne, désormais si banalisée. Pourtant le contexte actuel lui offre sans doute plus qu’un lifting, un pseudo-espace d’expérimentation.

En effet la mutation mondialiste n’est-elle pas aussi ce passage critique - et ce délire de passage tout à la fois- vers une chosification des énergies, des cultures, des mises en lien des hommes ? N’est-ce pas là l’horizon d’un monde enfin ramené à une physique, une mécanique sociales, objet parfait dont le sociologue rêve dès l’origine pour rejoindre l’empyrée des sciences exactes - et ce même si l’ethos sociologique  semble désormais bien plus attiré par la prescription que la description, par la discipline éducative des esprits que par la recherche théorique subtile. N’est-ce pas là l’aubaine d’un monde prêt- à -penser, toujours déjà pensé ? En ce sens, le schème mondialiste contient l’utopie positiviste de la sociologie. Il lui tend son miroir.



Un regain de positivisme  stabilisé

Il ne s’agit pas ici d’entamer une critique du positivisme ce qui est déjà fait et très bien fait, il s’agit seulement de souligner le fait que la mutation mondialiste par ce biais de la chosification tendancielle des échanges humains et des interventions sociales, confère un au choix positiviste, un nouveau statut.
Georges Devereux[10] montre que, lorsque la schizophrénie devient psychose ethnique de nos sociétés complexes développées, ses symptômes finissent par se confondre avec les comportements les plus culturellement valorisés et par conséquent avec les comportements apparemment les plus normaux (absence d’affectivité, irréalisme rigoureux, morcellement des engagements etc).

A la manière dont Georges Devereux explore ce phénomène d’inversion de la réalité et de la raison, il faudrait montrer que le mouvement et le modèle de la mondialisation tendent à incarner l’esprit de cette évidence des choses sociales sans sujets, qu’elles tendent ainsi à donner une valeur et un poids de normativité, à un postulat des sciences sociales dont on semblait avoir, depuis longtemps, éprouvé le paradoxe et les limites. Sans développer une telle démonstration, je me contenterai de dire que le schème de la globalisation propose à la sociologie, l’illusion de la découverte - ou le simple usage instrumental - d’une loi de l’attraction universelle dont elle dispense l’idéologie chronique en toute intransigeance et sans modération.


Tautologie

La mondialisation nous renvoie continuellement l’écran d’un monde unique[11] à travers - entre autres - mille signes et messages intimes et quotidiens : objets usuels des modes alimentaires, vestimentaires, cosmétiques touchant à notre apparence et notre être ; objets artistiques privilégiant, pour l’oreille, l’ambiance sonore des musiques amplifiées, pour l’œil, l’imagerie efficace des effets spéciaux de préférence à résonances sexuelles, horrifiques ou destructrices. Et c’est finalement à travers la gamme étroite de quelques modèles de conduite et d’inconduite[12] - indéfiniment répliqués - modèles pratiques, mais aussi stylistiques, moraux, esthétiques que s’instille, dans la société, la culture de la mondialisation. Vigilant, de tendance évolutionnisme, le sociologue se précipite dans le décryptage hâtif d’un nouveau processus unilatéral de civilisation des mœurs, version Elias, mais remastérisée.

En recherche d’image d’unicité, l’idéologie de la mondialisation rencontre la sociologie en recherche de processus institutionnels homogénéisants, aptes à simplifier sa lecture austère du texte des sociétés et du monde[13]. Nous pointions l’un de ces premiers nœuds de la crise sectaire de la sociologie dans  un possible retournement de l’observatoire panoptique contre lui-même. Sans doute pouvons nous désormais en pointer un second, si la mondialisation projette un univers ou un chaos dont la sociologie anticipe dans son discours l’effet de réalité, nous voilà assis dans le train fantôme de la pure tautologie. Ce n’est pas un bon endroit pour apercevoir le paysage. Tautologie de l’univers et de la pensée est aussi dé-réalisme qui lui-même nourrit l’esprit dogmatique.

Dans ce renvoi circulaire des représentations, sociologie et mondialisation produisent du monde indifférencié ;  l’une et l’autre mues par le désir d’avènement d’une conformité en l’espèce d’hommes gérables, dépaysés, sans mythe[14] ni propension métaphysique, sans passé ni mélancolie. Sociologie et mondialisation produisent du monde indifférencié, dédifférencié, par ce désir convergent d’une humanité ramenée à l’identique. D’une part et selon le souhait libéral : l’identique d’une espèce humaine, trop humaine conduite par les lois et penchants de la nature ; d’autre part et selon le souhait de la sociologie disciplinaire : l’identique d’une humanité maîtrisée par les voies d’une socialisation unilatérale.


« Que le monde aille à sa perte »[15]

Les fausses panacées ou utopies de la « mixité sociale », de la désexualisation, du « jeunisme », de la désacralisation des personnes et des actes, du risque zéro, du zéro défaut pointent ce fantasme Post human[16] d’une humanité, épurée de tout rite et de toute ambivalence ; elles constituent un socle minimal commun d’interprétations utiles au mondialisme et au sociologisme. En ce sens, on postulera que la mutation mondialiste tend à constituer l’idéologie spontanée du sociologue, pouvant s’imaginer ainsi enfin tenir en mains son objet -le social[17] pour enfin pouvoir penser et agir sur des systèmes humains intégrés[18]. C’est ainsi qu’en ce contexte, Sociologues de scène et Politiques fondamentalement s’entendent sur la même illusion d’un regain de pouvoir sur des programmes de société captive dont on organiserait les mouvements et planifierait l’avenir.

Ainsi la mondialisation relance-t-elle l’idée d’une science sociale de la table rase, d’une nouvelle humanisation dénaturée - surnaturée, refaite à l’aulne dérisoire de nouveaux démiurges ayant tué les dieux anciens. Bien des productions sociologiques, pensées fragiles, inquiètes de reconnaissance immédiate suivent la pente de cette pseudo - vocation mondiale ; suivent cette idée diffuse de vies réduites à leurs codes de conformité, à leurs formes enfin vidées de tout sens… ô bonheur de l’objectivité, certes résiduelle, mais enfin trouvée …

Sur cet inconscient nihiliste et le jeu avec ses mécanismes de défense, l’art sait être plus autrement plus vrai et plus profond. En l’occurrence, je pense à Marguerite Duras s’exprimant sur son film le camion, parlant de cette intention contemporaine à rejoindre la perte du monde en un gai désespoir, en y ajoutant ces propos : « Ce n’est plus la peine de nous faire le cinéma de l’espoir socialiste. De l’espoir capitaliste. Plus la peine de nous faire celui d’une justice à venir. Sociale ou fiscale ou autre. Celui du travail, celui du mérite. Celui des femmes, des jeunes, des Portugais, des Maliens, des intellectuels, des Sénégalais. Plus la peine de nous faire le cinéma de la peur. De la révolution. De la dictature du prolétariat. De la liberté. Plus la peine /…/On ne croit plus rien. On croit : joie, on croit : plus rien. »


Le sociologue et ses pauvres[19]

Si l’idéologie sociologique et idéologie mondialiste vont s’épaulant, c’est aussi à travers un certain nombre de déplacements. L’un de ces déplacements les plus usités consiste, pour les sociologues, à passer dans le domaine de la prescription morale volontariste. C’est ainsi que l’on voit le thème de l’éducation devenir la préoccupation centrale de toute une formation ; je me réfère d’ailleurs là, comme simple relevé de symptôme, à l’exemple local. Vue sous cet angle, la mutation mondialiste prépare en pratique et en représentations, cette ascension du sociologue, en grand instructeur, grand réformateur des peuples toujours déjà adjugés comme sexistes, fumeurs, buveurs, chasseurs, racistes… Satisfaisant alors, à peu de frais, au passage, son devoir d’esprit critique et /ou d’engagement, le sociologue s’adosse à la visée mondialiste globalisante pour devenir, en toute objectivité, inquisiteur des mœurs et normalisateur des pratiques communes.

La tentation normative en sociologie, est ancienne[20]. D’ailleurs observer, n’est-ce pas déjà, comme le suggère Jean-François Laé, chercher à prendre l’homme quelconque sur le fait, la main dans le sac[21] Toutefois si cette tentation est ancienne, peut-être consubstantielle à la position d’observant et si tous les discours sociologiques convenus sont facilement hantés par cette vocation à refaire les hommes, à les évaluer selon ce qu’ils devraient être en méprisant ce qu’ils sont[22], la période actuelle offre un terrain d’élection à cette remontée de l’esprit éducateur, à ses bornes éradicatrices. On pense à ce glissement vers une épistémé régressive qu’évoque Michel Serres parlant d’un présent où les sciences sociales alors qu’elles n’ont jamais été aussi idéologiques, tendraient à réabsorber les sciences exactes comme elles l’avaient fait dans l’Antiquité[23].

On en vient non plus à confondre maladroitement sociologie et travail social, mais à jouer de leur confusion, dans un dispositif idéologique où une sociologie fermée, unique est dès lors posée comme savoir régulateur et théorie pensante des missions du travail social. Cet horizon d’une sociologie en prolongement des services sociaux, on le retrouve dans les sujets d’études des étudiants de maîtrise, dans un idéal de calque de la recherche, en manque de sponsoring, sur une supposée demande sociale, désormais envisagée , ici et maintenant, mais forcément ailleurs également, plutôt du côté de l’humus associatif, celui des structures municipales, territoriales que du côté des entreprises privées. En effet, c’est bien le monde de la non-insertion, cet envers de la mondialisation en marche, qui offre aux sociologues une véritable planche de salut, si l’on en croit la litanie bien appréciée[24] des sujets consacrés aux exclus, aux immigrés, aux précaires et autres victimes prêtes à être digérés par la bonne parole sociologique.

Bonne parole, surtout parole redoutable de l’étroite volonté d’assainissement de tous ceux que l’on a d’abord assigné au statut de pauvres, cette indignité, ce hors-monde dont on ne revient pas. On pourra alors en toute rigueur scientifique, parler de cet Autre, ainsi dépouillé du moindre point de convergente humanité avec soi. N’est-ce pas là le miracle de l’objectivation accomplie ? La classification sociologique faisant de grands progrès, je lisais récemment l’annonce d’une conférence à Nantes, non pas sur les banlieues ghettos, non pas sur les quartiers sensibles, mais sur les populations problématiques, rien que çà … le fantôme des classes dangereuses, sans doute. Désormais clochards, zonards, dealers, mendiants, putains, SDF, nomades de hasard, musiciens fauchés constituent toute une palette comparative de parfaits objets sociaux ; peut-être l’aboutissement de la Res Sociologicae en recherche de l’humain annulé, de cette chose et de ce rien réunis dans le même étymon. Dans ce fil, un doctorant me parlait, il y a une semaine, de son sentiment violent, d’être passé de la sociologie à la zoologie.

Bienheureux les sociologues toute la gamme des indigences s’ouvre à eux. Elle est  féconde la misère du monde[25]. On peut même trouver des financements, qui renforceront le sentiment de votre valeur et de votre utilité. Hypocrisie, imposture, catéchisme d’un savoir à bout de souffle ? j’hésite et j’entends cette réflexion de Michel Serres : L’homme triche dans les sciences sociales où l’abus fait loi. La méthode dans les sciences sociales qui pose les questions et suspecte les réponses, ne se pose jamais la question du droit qu’elle a d’agir ainsi[26]… J’ajoute : Vous qui, avec outrecuidance,  croyez regarder tout de vos yeux toujours ouverts, votre lucidité ne vous baigne-telle pas de larmes ?


Du sein des classes parlantes

Populations indigentes, comportements illicites, cultures archaïques, c’est tout le peuple qu’il faut dénoncer, redresser, sauver, plaindre et abolir à la fois.  La sociologie en ce sens a pris le refoulé tendanciel de la mondialisation pour objet, intervenant sur les deux faces de la domestication des peuples. Côté cour, on pratique la discrimination négative, par rapport à des peuples salariés, ouvriers, ruraux, par rapport à des peuples autochtones, ordinaires, établis dont tous les mouvements, les expressions, les rites, les formes de vie sont examinés selon leur irrémédiable, voire coupable, obsolescence, elle-même évaluée à l’aune la plus aseptisée, la plus déréalisée des cultures et des classes les plus mondialisées. Côté jardin, on pratique la discrimination positive, pour le peuple des victimes désaffiliées[27] que l’on enveloppe d’un discours néo-caritatif. Dans ce discours de normalisation, alimentant cette veine sociologique,  c’est la figure du censeur et du pasteur qui finalement se rejoignent.

On connaît la confluence du sociologique et du politique et leur possible contamination réciproque.  On connaissait cela comme problème récurrent. Or désormais, loin de lutter contre cette connivence perverse et latente, discours sociologique de scène, discours politique et médiatique n’ont de cesse que de se ressembler. Et même s’ils cherchent parfois à se distinguer sur quelques détails,  c’est à travers le même prisme de lecture de la réalité sociale que les uns et les autres fonctionnent. Dans La transfiguration du politique, Michel Maffesoli insistait déjà avec force sur cette proximité des formes savantes et journalistiques dans la quasi totalité des analyses sociales[28].

Proximité de convention, et de convenance dont il semble que la mutation mondialiste, mettant elle- même à mal bien des paradigmes explicatifs classiques de la sociologie[29], accélère le processus mimétique[30]. A ce titre, le conflit qui paraît opposer sociologues et journalistes et dont Pierre Bourdieu s’est fait le héros, est une mascarade. En effet si lutte  et enjeu il y a, c’est bien pour se tailler la part la plus belle d’une même rhétorique dont les schèmes de pensée et de langue sont, à quelques détails près de mode et de syntaxe, tout à fait identiques.

Discours sociologiques, discours politiques, discours médiatiques se renvoient l’écho. Et sauf à vouloir être le mieux placé, personne ne s’en indigne, ne s’en inquiète ; au contraire tout le monde tend à se joindre à l’écho, à y accorder sa propre voix, tant les voix discordantes[31] deviennent rares, audacieuses et si peu audibles. Sans doute est-ce là un troisième nœud du sectarisme sociologique en vigueur que cette adhésion d’évidence au discours unifié des classes parlantes[32], que cette soumission aux maîtres-mots, que ce ralliement aux mots des maîtres faisant de la sociologie, non pas une idéologie d’État mais l’idéologie élitaire de toute une société en phase de reféodalisation, comme le souligne en particulier Pierre Legendre[33].


Socio-langue

Pourquoi ce néologisme ? parce qu’en tant que discipline instituée, la sociologie tend progressivement à se donner l’idéal techniciste, désymbolisé d’une novlangue, cette terrible fiction, imaginée par George Orwell[34], d’une refonte arbitraire du Texte social[35] marquant l’ultime clôture d’un univers de dévots dans l’orthodoxie culturelle et politique ; ce danger de sclérose interne d’une langue qu’évoquait Jean- Paul Barbe hier et que j’applique là au domaine d’un langage de spécialité. On sait qu’entre langage sociologique et Texte social, le conflit est ancien, il est même inaugural ; l’épistémologie positiviste de la coupure ayant éloigné tout postulant à la connaissance de la féconde intimité de sa langue. Demandons-nous alors ce que modifie, dans le paysage sociologique, l’actuelle propension à une novlangue et demandons-nous comment cet univers langagier se nourrit de la doxa  mondialiste contemporaine.


Une transparence aveuglée

Nous vivons une crise aiguë des langues. Jadis tenues pour des trésors, elles tombent en mésestime … Le langage s’effondre, plus encore que les langues, notre rapport au monde et aux autres, ne passe plus électivement par lui.
[36] Il est vrai, comme le souligne ici Michel Serres, que nous sommes entrés depuis longtemps déjà, dans ce mouvement historique où les codes savants érodent le poids des mots et des lettres, dévorent les vieilles langues à belle dents[37], en disqualifient la pertinence et la grâce, parfois même auprès des plus amoureux. Pourtant si le principe de séparation d’avec la langue ordinaire, mythique et souveraine constitue bien l’un des dogmes[38] de la science occidentale - logos philosophique en tête – ce déliement n’est pas sans poser des problèmes spécifiques quand il s’agit de parler avec discernement des hommes et des sociétés. C’est de ce seul fait et sur un seul point dont nous voulons traiter maintenant.

Si toute novlangue est bien une des modalités de la tabula rasa, portant l’idéal d’un texte social sans palimpseste, le discours sociologique n’a évidemment pas commencé ainsi. Sous le texte sociologique, il y a le texte philosophique et sous le texte philosophique… tout le tissu institutionnel et représentatif d’une manière rationnelle, esthétique, politique d’appréhender le monde. Dans cette logique, la langue sociologique fut d’abord celle de la  rhétorique abstraite fuyant la polysémie, l’analogie, poursuivant en ligne droite, l’idéal de transparence de la raison. La sociologie de filiation positiviste allait opter pour une morale de la langue sans intériorité, sans sujet ni personnel ni collectif, sans point de vue, sans émotion, sans écart à l’équilibre. Une langue sans rythme, sans image, ni chant. Pour expliquer l’absence d’énigme des choses humaines, il fallait une langue sans ombre ni bruissement. Ce qui fut mis en place.

Cette voie consacrait la rupture de l’intelligible et du sensible, l’arrachement du discours savant aux strates et aux résonances signifiantes déposées dans l’histoire et la mémoire de la langue commune, en ses usages ordinaires ou littéraires. C’est à travers ce carcan d’un dire appauvri, d’un énoncé se voulant épuré de toute métaphore - ce « diamant de la langue » - d’un énoncé se voulant soustrait à toute intériorité que la sociologie disciplinaire s’est depuis longtemps installée dans une culture schizophrénique du langage. Difficile de comprendre cette haine du style vivement exprimée par certains auteurs de manuels, cette crainte de l’écriture travaillée transmise aux apprentis, rappelée par bien des comités de lecture sans se référer à cette idée implicite que le dire sociologique des sociétés et des hommes, se doit d’abord d’oublier que les faits sociaux sont aussi des faits de langage s’enracinant dans l’habitacle ancien de la langue partagée. Sans doute est-ce du sein de cette tradition séparatrice, de sein de cette logique des mots gelés que peut se définir le quatrième nœud de la crise.


Si la langue de bois brûle…

Toutefois dans la logique de transparence accrue commandée par la mutation actuelle[39], logique où la sociologie se trouve aux avant-postes, la nouvelle rhétorique tend, à la différence des auteurs classiques - considérés dépassés, lettres mortes - à réaliser l’idéal d’une langue véritablement déliée de la culture. La novlangue était destinée non à étendre, mais à diminuer le domaine de la pensée et la réduction au minimum du choix des mots aidait indirectement à atteindre ce but écrit George Orwell. La sociologie disciplinaire rêve désormais d’une langue sans référence, ce véhicule de l’élitisme, de l’esthétisme … des classes dites dominantes, celles dont la néobourgeoisie savante veut assurément se démarquer. Il faut se battre pour devenir les nouveaux maître des mots…

Poursuivant la fiction d’Orwell, on peut en effet apercevoir en sociologie la part d’une ancilangue, celle des maîtres supposés connus, ancilangue devenue indéchiffrable à l’étudiant et difficile d’accès pour le disciple lui-même. La discipline sociologique veut évacuer toute trace du philosophique en elle. A lire les critiques du moins, le plus fort de l’interdit semble s’exercer sur ce point. Crise de l’inter-dit, règne de la socio-langue et censure de la réflexivité vont de paire. Cette sociolangue qui s’implante dans le mouvement ambiant des langues instrumentalisées peut alors s’interpréter comme moyen d’épurer son propre passé philosophique, cet état présociologique des textes fondateurs et des autres, se livrant comme tout récit originel en langue antique.

La novlangue dont l’idéal n’est plus la raison abstraite mais le réflexe taxinomique et techniciste est désormais exilée de toute expérience vivante du sens et des significations. Elle se présente par conséquent comme lieu privilégié de réalisation du fantasme d’unicité. La sociolangue, c’est l’interdit de l’altérité prononcé du sein même du langage. On dit désormais aux étudiants de lire les bons livres - je n’aurai pas l’indiscrétion de donner la liste - je laisse seulement au lecteur le plaisir de savourer le parfum de douce inquisition proposée par la formule… Les bons livres.. Les braves gens... On touche en effet très concrètement le cinquième nœud de la crise : l’existence de mauvais livres, la part maudite de la complexité et le tabou de la libre circulation de la connaissance. Il était entendu que lorsque la novlangue serait une fois pour toutes adoptée et que l’ancilangue serait oublié, une idée hérétique- c’est à dire une idée s’écartant de l’angsoc- serait littéralement impensable, du moins dans la mesure où la pensée dépend des mots[40]. Mais pensée n’est déjà plus de mise dans le lexique de la sociolangue, ou alors pour désigner une fleur tout au plus ...


L’aveu et l’odyssée

On sait que la mondialisation corrobore avec l’extension de zones de non droit, la corruption à grande échelle. Cette dégradation des règles légales, c’est aussi ce que l’on note à petite échelle dans l’institution universitaire notamment. Des livres, des analyses, des témoignages de nos collègues sociologues de différentes universités[41], dénoncent cette situation, avec courage et sans ambiguïté. Nous sommes passés, dans bien des instances de jugement ou de recrutement, des critères inconditionnels de l’universitas aux critères de l’intégration au milieu… et soudain le terme peut résonner étrangement. Récemment un doctorant dut fournir par écrit, avant soutenance, à son directeur de thèse, son propos d’exergue et de présentation devant son jury. Parole liée, minutieusement contrôlée. En ce rituel de première séparation qu’est la soutenance, c’est plutôt malvenu ; mais l’intégration est à ce prix sans doute ? et c’est ainsi de petites manœuvres en grands verrouillages, que les principes universitaires glissent vers la logique du clan. C’était déjà vrai, cela l’est plus encore.

Et qui dit clan, dit crise mimétique, dit abandon et peut-être terreur. C’est un risque… beaucoup de doctorants et de professeurs le savent déjà. On décrète arbitrairement et sans appel, ceci est sociologique, ceci ne l’est pas. Alors le sixième nœud de la crise sectaire ne serait-il pas cette façon de brandir la science comme violence sacrée, en oubliant que son première axiome est sa réfutabilité même. Nous restons fascinés par le jugement suivant : ceci appartient, cela n’appartient pas à la science, ceci dedans, cela dehors. Inclusion, exclusion, stratégie d’écoles, mais geste originairement religieux : l’aruspice autrefois découpait avec soin le terrain sacré, en dessinait les plinthes. Voici le profane, voilà le sacré … Or les frontières du savoir bougent /…/ le temps se moque des dogmes ( pas au sens de Pierre Legendre cette fois ) et du tiers exclu.


Une attitude plus laïque en ce domaine serait sans doute plus sage et plus juste. Il faudra la conquérir.

Ajouter enfin que si j’ai osé ce bref examen nourri d’impressions, d’observations sans dispositif, ni protocole, nourri d’expériences répétées mais récentes, de jugements trop hâtifs sûrement, et parfois trop sombres, j’espère, ce n’est certainement pas pour me soumettre à l’horizon d’un désenchantement.  C’est au contraire pour mieux envisager l’odyssée vers ces tissages réinventés des sciences sociales dont j’ai bien entrevu quelques motifs inattendus durant ces journées : en écoutant tous ces points de vue partis d’ailleurs et qui soudain font intuitivement advenir un schème, une notion, une expression donnant à imaginer des passages, des fils de trame ; odyssée qui pourrait prendre pour devise : Celui qui triche et trompe le fait parce qu’il veut gagner. Détachez- vous des enjeux, moquez-vous de la victoire ou de la perte, vous entrerez en science, en observation, en découverte, en pensée [42].



Joëlle DENIOT
Professeur de Sociologie à l'Université de Nantes
Droits de reproduction et de diffusion réservés © LESTAMP - 2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France N°20050127-4889



[1] Il vise essentiellement sociologie et anthropologie
[2]  Georges Steiner, in Réelles présences, les arts du sens, Gallimard, 1991
[3] Formule énoncée lors d’un récent jury de thèse
[4] Formule consacrée et jamais questionnée, elle est à Nantes celle d’un intitulé de cours de DEA ; niveaux de construction de la réalité sociale.
[5] On touche là le fondement d’un rationalisme abstrait où le monde n’est recevable que s’il est pensé, que s’il est image réfléchie du cerveau humain. Pour la sociologie, la fragmentation du champ fait toujours écran nécessaire à la réalité sociale
[6]  Sur trait culturel et mécanisme de défense cf. Georges Devereux, Essais d’ethnopyschiatrie générale, Gallimard, 1970
[7] On pense à Boas, lévy-Brühl, Levi-Strauss, Devereux, Girard , aux textes respectifs sur l’inconscient ethnique, sur l’inceste, l’échange, l’obligation matrimoniale, la violence collective
[8] Guy bois dans son ouvrage, Une Nouvelle servitude ; Essai sur la mondialisation, emploie ce terme de vocables de l’inéluctable pour prendre aux mots le langage de la mondialisation.
[9]Au cours de ce colloque, Françoise Bourdarias, dans le cadre de ses recherches sur le travail humanitaire, a très justement abordé ce thème du rapport entre intelligentsia et ambition téléologique, que je retrouve ici confirmé.
[10] Georges Devereux, op.cit.
[11] Thématique de l’Un développée lors de ces journées par  Michel Maffesoli, dans sa communication sur l’universel concret
[12] Concept de G.Devereux, emprunté à Linton
[13] Allusion à Pierre Legendre De la Société comme texte, linéaments d’une anthropologie dogmatique, Fayard, 2001
[14] Démythifiés pourraient dire les déconstructivistes
[15] Extrait du dialogue du film Le Camion de Marguerite Duras, 1977
[16] J. Deitch, Post human, Lausanne, 1992, FAE, Musée d’art contemporain
[17]Daniel Sibony , Entre-deux, l’origine en partage, Paris, Seuil, 1991, P. 380, cité par Elisabeth Lisse, dans sa thèse de doctorat sur la cité deVerneau à Angers
[18] idem
[19]Allusion au titre de Jacques Rancière, Le Philosophe et ses pauvres. Il s’agissait sous ce titre aux travaux de Platon, de K.Marx et de P.Bourdieu.
[20] Durkheim lui-même qui développe de façon centrale, le concept d’anomie,  fonde une sociologie de l’éducation. C’est en un sens un retour ou du refoulé ou des sources, mais en un mode réduit et perverti.
[21] Jean-François Laé, Travailler au noir, P.17
[22] Ce sur quoi insiste beaucoup Michel Maffesoli s’efforçant « à présenter ce qui est plutôt que de représenter ce qui devrait être » rappel ici tiré de L’éternel instant, Denoël, 2000, P. 17
[23] Michel Serres, op.cit. P49
[24] Une session passée aux travaux d’examen du CNU suffit à vous en convaincre. L’exemple nantais est sur ce plan extrêmement parlant.
[25]Le livre ouvrait la voie de toute cette époque sociologique et de son idéologie ; il donnait finalement la note de toute une lignée de travaux bien-pensants à venir. Peut-être annonçait-il déjà le programme.
[26] Michel Serres, op. cit. P41, 44
[27] Usage routinier du concept de Castel dans ces discours, qui trahit son auteur plus qu’il ne lui rend hommage.
[28] Michel Maffesoli, La Transfiguration du Politique, Grasset 1992
[29] Logiques des classes, des identifications professionnelles, des affiliations partisanes
[30] La chose est entendue, il n’y a plus rien à attendre du savoir établi. Toutes tendances confondues, il a trop lié sa cause à l’exercice du pouvoir. Et même en le critiquant, il en est resté par trop contre-dépendant écrit Michel Maffesoli dans L’ Eloge de la raison sensible (Grasset, 1996). Il reste à préciser les espaces fondamentaux de ce savoir établi en quels centres ? en quelles disciplines fondatrices ? pour quelles diffusion -transmiSsion dans le corps social ?
[31] cf. Guy Bois, op.cit. Tant les voix discordantes deviennent à peine audibles.
[32] Notion empruntée à Jacques Bertin et redéfinie par Jacky Réault in De Bretagne ou d’ailleurs, Mai 2004
[33] Pierre Legendre De la société comme texte, Fayard, 2001
[34] George Orwell, 1984, Folio Gallimard
[35] Pierre Legendre, op. cit.
[36] Michel Serres, op.cit. P.376-377
[37] Michel Serres, idem
[38] Terme pris au sens premier, celui dont fait usage Pierre Legendre
[39] Plus globalement sur les rapports infléchis dans la société contemporaine, entre une désymbolisation en acte de la langue et les menaces d’effacement du sujet , cf. Dany-Robert Dufour, L’Art de réduire les têtes, Denoël , Paris, 2003
[40] George Orwell, op.cit. P. 422
[41]Livre de Judith Lazar, critique de René Seboul et réponse de Serge Dufoulon in www. univom.net /revue/tribune
[42] Michel Serres, op.cit. P.43 


Joëlle DENIOT
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