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Pascal CLERC
IUFM Aix-Marseille,
E.H.GO, Épistémologie et Histoire de la Géographie -
UMR 8504 Géographie-Cités
Droits de
reproduction et de diffusion réservés ©
LESTAMP -
2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France
N°20050127-4889
Entre
recherche et discours communs : quels modèles de lecture du
monde en géographie ?
« Un jour exista où un homme, des êtres humains debout sur leurs
jambes, détournèrent leurs regards de ce qui était proche, de ce
qui leur était existentiel, et regardèrent au loin, fixant
l’horizon, se demandant ce qu’il y avait au-delà de leurs
terrains de chasse ; où se terminait cette terre qui les
portait, leur procurant l’eau, le bois, la nourriture ?
Interrogation qui les conduisait à une question : où sommes
nous ? Et à toutes les tentatives qui en découlèrent pour se
situer dans un monde dont ils ne connaissaient rien, ni les
limites, ni les contours, ni le contenu, hormis ce qui les
environnait. Ainsi naquit la curiosité géographique et débuta
l’histoire de la géographie. »
Philippe Pinchemel L’aventure géographique de la terre,
1992
« Autour du lieu, où j’éprouve en cet instant mon
enracinement dans le cosmos, je connais ou imagine tous les
autres, en zones concentriques ; les plus proches et familiers ;
les lointains et étranges ; ceux que j’ignore et dont je ne puis
savoir s’ils sont plaisants ou effroyables ; ceux enfin que mon
désir ou ma crainte livrent aux puissances fantastiques. »
Paul Zumthor, La mesure du monde, 1993.
Il est deux manières d’aborder la géographie : comme un corps de
savoirs constitués relatifs à la surface terrestre ou comme une
interrogation des hommes sur leur environnement proche et
lointain. La première manière est la plus répandue ; c’est elle
aussi qui structure les représentations communes de cette
science sociale. La seconde qui renvoie à « une intelligence
quotidienne du monde, (…) une manière d’être dans l’espace et
une façon de le penser »[1]
est pourtant, malgré sa marginalité, fondatrice : les savoirs
géographiques sont élaborés et repris sans cesse en réponse aux
questionnements existentiels des sociétés. En retour, ces
savoirs structurent la façon dont les sociétés pensent le monde.
C’est dans cet intervalle et cette relation que se situe le
propos qui suit. Les savoirs constitués sur le monde mondialisé
seront envisagés comme de grands modèles de lecture plus ou
moins explicites, souvent moins que plus, construits dans des
contextes historiques, sociaux, culturels et idéologiques
déterminés, et produisant des visions du monde.
Les interrogations relatives à la totalité terrestre débutent
sans doute au V° siècle avant J-C avec Anaximandre de Milet,
lorsque la Terre est envisagée comme une sphère et, plus
précisément encore, avec Ératosthène (276-194 av. J-C) qui
propose une première évaluation de la circonférence de la
sphère[2]. Dès lors, la question de la relation de celle-ci avec
le Monde – l’oekoumène des Grecs – est posée ; plus précisément
la question de l’habitabilité de la Terre est posée. Peut-on
vivre dans les régions froides et « torrides » ? Est-ce que les
régions tempérés antipodes sont habitées ?
À partir de la Renaissance, en rupture avec les représentations
anciennes[3], la Terre et le Monde se confondent, attestant
ainsi l’habitabilité de la totalité terrestre. Les
interrogations se décalent alors vers les différences existant
entre les groupes humains de chaque continent ; la division de
l’humanité en races en découle.
En tirant le fil jusqu’à la période contemporaine, on se rend
compte que si, avec une connaissance plus complète du monde, les
questions se sont renouvelées, elles concernent toujours ce
besoin essentiel de situer l’Autre et de se situer par
rapport à l’Autre. « Le rapport à l’Autre constitue l’un des
problèmes fondamentaux de toute société humaine organisée. Pour
se définir elle-même, elle a besoin de se construire ou de se
trouver une extériorité, un étranger.» [4]
Cette quête identitaire concerne le champ des idéologies
(capitaliste ou socialiste), de l’économie (pauvres ou riches)
et de l’anthropologie (appartenances culturelles et
civilisationnelles). Pour répondre à ces questions
existentielles, les sciences dites « exactes » et les sciences
sociales proposent de grands modèles interprétatifs. Strabon,
par exemple, dans sa Géographie, divise la terre en cinq
zones et en deux hémisphères. C’est dans le cadre de ce modèle
zonal que les questions des Anciens prennent un sens : les zones
permettent de séparer le monde habité, situé par Ératosthène
dans la zone tempérée boréale, du monde inhabité (jugé trop
froid ou trop chaud) des zones glaciales et torride.
Toutes les représentations actuelles et passées de la totalité
terrestre reposent donc sur un principe organisateur privilégié
au sein duquel viennent s’inscrire les modalités de saisie du
monde ; un principe révélateur des questionnements, des valeurs,
des inquiétudes d’un temps, un principe qui construit le monde
tout autant qu’il en rend compte. Cependant, la lecture du monde
s’opère rarement par le biais d’un principe unique et pur. Deux
figures semblent éclairantes : celles de la superposition et du
tuilage. Les représentations du monde actuel superposent la
presque totalité des modèles et, dans le domaine scolaire
notamment, les divisions zonale et continentale servent de
substrat à l’ensemble des représentations contemporaines. Le
tuilage permet d’envisager le passage progressif d’un modèle à
un autre autour de quelques éléments hérités.
Quels sont les modèles qui structurent la vision du monde
contemporain ? Ou bien, pour poser la question autrement, quels
modèles sont les plus sollicités à la fois dans les médias,
l’enseignement et la recherche ? En s’appuyant sur les travaux
de M-F. Durand, J. Lévy et D. Retaillé[5], on peut les classer
en deux familles ordonnées par deux types de relations :
- Les modèles qui appréhendent le Monde comme « un champ de
force
»[6].
D’abord le modèle dit « des blocs » ou Ouest-Est qui, malgré son
obsolescence, continue à régler, de manière diffuse, la pensée
des « Occidentaux » sur l’Europe Orientale, la Russie et les
ex-républiques soviétiques ; ensuite le modèle huntingtonien du
« choc des civilisations », utilisé en permanence,
essentiellement par les médias, pour donner sens à des conflits
pourtant de natures très diverses.[7]
- Les modèles réticulaires fondés sur la transaction constituent
l’autre famille. Ceux-ci – essentiellement économiques – se
caractérisent par des flux dissymétriques qui hiérarchisent les
lieux du monde. Le modèle Nord-Sud en est la mise en forme la
plus rudimentaire et sans doute la plus efficace. Dans le même
esprit, mais avec plus de complexité, divers modèles de type « centre-périphérie »
sont mobilisés, que ce soit le « Système Monde » ou les
« villes globales ».
Après la seconde guerre mondiale, pour la première fois sans
doute, les parties du monde qui sont représentées sur les cartes
ne prennent sens que les unes par rapport aux autres : les deux
ensembles idéologiques et économiques de la Guerre Froide se
définissent en opposition. C’est un moment important du
processus de mondialisation. Ces deux ensembles apparaissent peu
à peu par le biais d’un jeu complexe de faits et de mots : les
faits vont susciter des discours et, en retour, ceux-ci vont
donner une lecture aux faits en les inscrivant dans un champ de
pertinence. Le modèle qui se construit peu à peu structure la
pensée du monde et – à l’instar d’une prophétie
auto-réalisatrice – indure la division. La géographie, parmi
d’autres sciences et peut-être plus que d’autres, atteste cette
mise en forme binaire du monde : deux « blocs » sont
cartographiés. Ils sont organisés autour de deux
« superpuissances » nettement séparées, en Europe, par un
« rideau de fer ».
Le modèle Nord-Sud procède de la même logique duale.
L’expression éponyme apparaît au cours des années 1970 et la
terminologie s’enrichit ensuite de nouvelles formules – « les
Nords » et « les Suds » – sans que la logique binaire du modèle
soit démentie. En géographie, une réflexion plus complexe sert
de base au modèle Nord-Sud. Elle est conduite par Yves
Lacoste[8] qui utilise le concept de développement en réaction
notamment aux usages déterministes des explications de la
pauvreté par le modèle zonal. La notion de développement est
construite relativement à des critères qui permettent de situer
des États sur une échelle. Comme le note Bernard Bret, « tout
pays apparaîtra sous-développé par rapport à ceux qui le
devancent… et développé par rapport à ceux qui le suivent. »[9]
Le glissement terminologique vers « Nord-Sud » réduit la
complexité de l’espace mondial et les nuances de la notion de
développement, avec une séparation du monde en deux parties.
La limite Nord-Sud est une référence obsédante de la saisie du
monde. Depuis les années 1970, elle figure sur nombre de
planisphères que ce soit dans les domaines scolaire,
scientifique ou médiatique. Prenons cette limite au sérieux et
examinons son actuel tracé. Elle suit la bordure sud de l’Europe
à travers la Mer Méditerranée avant, sur certains tracés,
d’effectuer un spectaculaire crochet afin d’intégrer Israël au
Nord ; par le Bosphore, elle isole ensuite la Turquie dite
d’Europe, rejoint par la Mer Noire la frontière sud de la Russie
qu’elle suit jusqu’à l’Océan Pacifique ; elle plonge ensuite
vers le sud pour séparer le Japon de ses voisins avant de
rejoindre la côte Pacifique des États-Unis et longer la
frontière avec le Mexique ; en général, un fragment de Nord est
découpée dans l’hémisphère sud pour prendre en compte
l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Il est aisé de montrer
l’invalidité de cette limite ; l’usage de quelques indicateurs
analytiques ou synthétiques, économiques, démographiques ou
sociaux suffit à brouiller la vision d’un monde divisé en deux
ensembles d’États. Si cette référence dépassée (mais fut-elle
jamais pertinente ?) persiste, c’est sans doute qu’elle donne un
sens aisément saisissable au monde : chaque État appartient soit
au Nord, soit au Sud.
Un troisième modèle pourrait figurer dans cette famille. La même
simplicité, la même évidence se retrouve dans la théorie du
« choc des civilisations » de Samuel Huntington[10]. Pourtant,
il n’en est apparemment rien : si cette théorie repose sur un
principe simple, peut-être même simpliste, elle peut sembler
relativement complexe quant aux nombres d’espaces qu’elle
découpe dans le monde et par conséquent quant aux interactions
possibles. Si l’on n’envisage que des conflits opposant deux
civilisations, un simple calcul (en se fondant sur l’existence
de neuf civilisations)[11] permet de recenser trente-six types
de conflits possibles. Cette représentation du monde est-elle
trop foisonnante pour être efficace ? Toujours est-il que
Samuel Huntington opère successivement diverses réductions de la
complexité en notant d’abord que : c’est la division
prépondérante entre l’Occident et le reste du monde qui
prédomine, les affrontements les plus intenses ayant lieu entre
les musulmans et les sociétés asiatiques, d’un côté, et
l’Occident de l’autre. Les chocs dangereux à l’avenir risquent
de venir de l’interaction de l’arrogance occidentale, de
l’intolérance islamique et de l’affirmation de soi chinoise.[12]
Dans un étonnant scénario de géopolitique-fiction, il va ensuite
un peu plus loin en évoquant un éventuel conflit opposant
« vraisemblablement des musulmans d’un côté et des non-musulmans
de l’autre. »[13]
Le nombre de conflits possibles s’est considérablement réduit et
le monde peut de nouveau être pensé simplement. La tragédie du
11 septembre 2001 achèvera la réduction à un modèle binaire avec
la construction d’un conflit entre la civilisation
occidentale et la civilisation musulmane. À ces trois modèles,
on peut opposer une série de lectures plus complexes. En 1981,
Alain Reynaud propose dans Société, espace et justice,
une approche systémique du monde. Cet ouvrage pionnier, tant par
son objet que par sa démarche, s’appuie sur la pensée
structuraliste et sur la théorie générale des systèmes. Alain
Reynaud peut ainsi penser le monde comme un espace complexe de
relations entre des centres et des périphéries. Le modèle
centre-périphérie reproduit en première analyse le monde binaire
de la division Nord-Sud mais, et c’est l’apport majeur d’Alain
Reynaud, la réflexion théorique sur les modes de relations
existant entre centres et périphérie lui permet de distinguer
des types des centres (dominants, hypertrophiés, autonomes… ) et
de périphéries (dominées, délaissées, exploitées… ), ainsi que
des évolutions possibles selon que les rétroactions soient
positives ou négatives. La représentation proposée par Alain
Reynaud hiérarchise les centres (trois niveaux) et y distingue
des États en fonction du solde des mouvements de capitaux ; les
périphéries sont divisées en quatre ensembles auxquels il faut
ajouter des « angles morts ».
Dans une perspective voisine, Olivier Dollfus présente en 1984
ses premières réflexions sur le Système Monde[14] (avec des
majuscules et sans trait d’union pour cette première version)
dans le cadre du colloque Géopoint organisé par le groupe
Dupont sur le thème Systèmes et localisations. Il définit
son objet comme « la trame des flux nés des relations entre
États, firmes et cultures et s’exprim[ant]
par les interactions nouées entre les différentes parties de
l’humanité. »[15]
Dans des articles ultérieurs[16], il n’aura de cesse de préciser
la réflexion sans en abandonner les prémices : celles d’éléments
(selon les textes : des États, des régions du monde, des
entreprises, des villes… ou tout à la fois) en relation qui
constituent un ensemble en réorganisation permanente. Certains
de ces éléments sont déterminants, ils « mènent le monde »[17].
Ce sont les centres qui constituent la triade (ou oligopole
mondial). Il y distingue aussi certaines villes avec le concept
d’ « archipel mégalopolitain mondial » (AMM)[18] dont on
retrouve les logiques dans les travaux de Pierre Veltz[19] ou de
Saskia Sassen[20]
Ces divers modèles de lecture du monde sont en permanence
sollicités. Lorsqu’un hebdomadaire se demande « Qui seront
demain les nouveaux maîtres du monde ? »[21],
il aboutit à un inventaire hétéroclite qui associe des États (la
Chine, l’Inde ou les États-Unis), des firmes multinationales,
les producteurs de pétrole, les mafias, des médias ou encore les
islamistes. Derrière ce fatras, les journalistes activent des
modèles d’inspirations diverses allant de la théorie réaliste
des relations internationales à des références du champ
économique en passant par une lecture anthropologique. Dans le
domaine scolaire, de la même manière, les modèles de lecture du
monde structurent les discours que ce soit au niveau le plus
large (l’architecture d’ensemble des programmes) ou le plus
étroit (les chapitres des manuels et les questions de cours). La
superposition des modèles y est patente : le modèle étatique des
relations internationales est encore utilisé[22], sur le fond
naturaliste des approches zonale et continentale, et associé à
des approches plus systémiques du monde.
Ces références théoriques sont en général implicites et les
modèles sont rarement définis comme tels. Ils servent de toile
de fond au discours, comme une naturalité du monde. À l’instar
des frontières de l’Europe, la limite Nord-Sud, le système du
monde ou les civilisations existent. Cet implicite
naturaliste découle en grande partie d’une tradition
géographique fondamentalement réaliste[23] : le géographe est
celui qui rend compte du monde, qui le révèle plus qu’il ne
construit un discours. Le savoir géographique peut être utilisé
pour faire acte d’autorité[24]. Pour le moins, il interdit la
critique. Lorsque Olivier Dollfus écrit que « le système mondial
existe »[25],
il le conçoit comme un donné extérieur à l’observateur, une
réalité qui donc ne se discute pas. Dans le cadre scolaire, à de
rares exceptions près, cette tendance est exacerbée.
Ce n’est parfois qu’a posteriori, lorsque le monde est orphelin
d’un sens, qu’un modèle peut être perçu comme tel. Le modèle des
« blocs » en fournit une illustration. La prise de conscience
est liée à la disparition assez brutale d’une des
« superpuissances ». En novembre 1991, alors que l’URSS vit ses
derniers instants, une note de service du Ministère de
l’Éducation Nationale[26] prévoit des allégements pour le
baccalauréat à venir notamment « pour tenir compte des
évolutions récentes en Union Soviétique ». Ainsi le partie
« Est-ouest : la bipolarisation » ne peut plus donner lieu à
aucun sujet en géographie : ce qui était alors jusque-là l’un
des principes les plus structurants des programmes scolaires, à
la fois en histoire contemporaine et dans l’étude de la
géographie du monde, est balayé brutalement. Les acteurs du
champ scolaire, sous la pression du changement en cours, quelque
peu oublieux d’une histoire très récente et réfutant sans
vergogne les discours précédents, installent bien vite la Russie
nouvelle aux côtés des États et régions dits « en
développement » (Chine, Inde, Afrique, Amérique Latine) au sein
de la partie consacrée aux grands problèmes mondiaux. La
« superpuissance » n’était-elle qu’un colosse aux pieds
d’argile ?
Les interrogations suscitées par cette reconfiguration rapide
éclairent une rhétorique soigneusement construite, celle d’un
équilibre entre les superpuissances[27]. Souvent, dans les
programmes et les manuels scolaires comme dans les ouvrages
scientifiques, la présentation des États-Unis et de l’URSS est
conduite de manière symétrique. Souci de mise à distance du
politique ? Peut-être. Toujours est-il que des générations
d’élèves, d’étudiants et nombre d’enseignants ont pensé le monde
binaire comme celui d’une division équilibrée entre deux
ensembles. Sur un autre registre, la critique d’un modèle peut
en devenir un révélateur, ce que Ian Hacking appelle « un
constructionnisme de dévoilement »[28].
La réception des travaux de Samuel Huntington relatifs au « choc
des civilisations » furent l’occasion d’un travail de
déconstruction tant du concept de civilisation comme enveloppe
la plus large des sociétés que de la vision conflictuelle qui y
est associée. Néanmoins, cet exercice salutaire ne dépasse guère
les milieux intellectuels ; les médias, avides d’explications
immédiates, et la sphère scolaire, soucieuse de paraître en
prise avec le monde, ont parfois adopté sans distance le propos
du professeur d’Harvard.
Immédiatement après les attentats de New York et Washington,
nombre de médias ont utilisé le « choc des civilisations » comme
nouveau paradigme explicatif du monde. Pour donner sens à
l’événement, pour le cadrer et au-delà de l’atrocité, lui donner
une forme de rationalité, pour le penser simplement, la
proposition d’un conflit entre Islam et Occident (au sens
huntingtonien de « civilisation occidentale ») semblait relever
de l’évidence. C’est à celle-ci que Jacques Derrida tenta de
résister en proposant, puis en se donnant, le temps de la
réflexion[29] ; il ne fut ni entendu, ni compris. La puissance
médiatique n’est pas seule en cause, l’efficacité du modèle est
à prendre en compte et celui d’Huntington l’est tout
particulièrement. Comme les modèles des « blocs » et Nord-Sud,
celui d’Huntington est binaire. Tous permettent, en allant au
plus simple, de situer l’autre : capitaliste ou communiste,
riche ou pauvre, occidental ou musulman. La méthode est frustre
mais efficace. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, ce
sont ces modèles qui en priorité ont permis de se saisir du
monde.
On opposera à l’efficacité des modèles binaires la complexité et
l’exigence des approches systémiques avec un exemple unique mais
significatif. En septembre 1989, un nouveau programme de
géographie entre en application dans les classes terminales des
lycées, qui s’inspire largement des travaux d’Olivier Dollfus
sur le Système Monde[30]. Dès sa publication, il est contesté ;
qualifié de programme de « sciences po », il est jugé abstrait
et complexe. Sans que jamais la pertinence du modèle de
référence soit mise en cause, la corporation l’estime inadapté
aux élèves de terminale. De tous côtés, collectifs et
associations réclament une simplification.
Après une
quarantaine d’années de fréquentation de lectures binaires du
monde, l’appréhension de la complexité semble difficile à
envisager[31].
Pascal CLERC
IUFM
Aix-Marseille,
E.H.GO,
Épistémologie et Histoire de la Géographie - UMR 8504
Géographie-Cités
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