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Le marché des services et externalisation problématique du travail


 

Pierre CAM
Sociologie - Droit du Travail, LESTAMP - Université de Nantes
Droits de reproduction et de diffusion réservés © LESTAMP - 2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France N°20050127-4889




Depuis son origine, le capitalisme n’a cessé d’alimenter des luttes collectives et des conflits individuels qui sont au fondement de ce qui a peu à peu constitué le droit du travail. L’analyse de l’évolution de ce droit est l’un des moyens dont dispose le sociologue pour comprendre l’ampleur des transformations que le capitalisme fait subir aux communautés et aux sociétés, et appréhender les différentes ruptures au sein de ce mouvement. Pour reprendre la thèse de Durkheim, le droit est le symbole visible des formes que prend l’organisation sociale dès lors qu’elles atteignent un certain niveau de stabilité (Durkheim, 1994). Ce que montre l’étude du droit du travail, c’est d’abord que le lien salarial n’a eu cesse de se transformer au fur et à mesure que le capitalisme inventait de nouveaux modes d’organisation du travail –  taylorisme, fordisme, post-fordisme, et qu’il se développait entraînant toujours plus avant les individus dans son orbite.

Du côté de la subordination, la dépendance économique et le salaire au temps qui caractérisaient les premières organisations du travail ont peu à peu laissé la place à des formes plus lâches de domination avec l’intégration d’un salariat parfois moins contraint  et des formes de rémunération se détachant peu à peu du temps de travail. L’exercice de l’activité chez ces nouveaux salariés ne se fait plus sous l’emprise directe des chefs - petits ou grands – mais elle est médiatisée par ce que les juristes ont dénommé un « service organisé »[1]. Quant à précarité de la situation de travail, qui a été longtemps perçue comme le résultat de l’aléa économique appelant des solutions individualisées, elle s’est peu à peu organisée pour devenir un instrument rationalisé de gestion du personnel. Les stratégies des grands groupes industriels ont conduit dans la deuxième moitié du 20e siècle à instituer une précarisation des collectifs de travail par le biais de nouvelles politiques : fusions, licenciements collectifs, externalisations, délocalisations, etc. Les collectifs de travail sont devenus ainsi des variables d’ajustement.

Face à ces métamorphoses des formes de la domination, praticiens et théoriciens du Droit ont dû inventer de nouveaux concepts pour penser le sort de ces collectifs pris dans la tourmente des avancées de la mondialisation. A une période où certains sociologues parlaient encore de la « culture d’entreprise », les juristes ont jeté les bases d’une typologie de ces collectifs décomposés, fusionnés, externalisés. L’extériorisation de la main d’œuvre et la marchandisation des services en suscitant de multiples conflits ont été un terrain favorable pour reformuler cette question qui reste un point aveugle dans toutes les théories subjectivistes  : Qu’est-ce qu’un collectif de travail ?  Pour appuyer et prolonger ce questionnement,  on s’est inspiré d’une enquête à la fois qualitative et quantitative sur les services « logistiques » des entreprises, et leur extériorisation. Le terme « logistique » appliquée aux entreprises désigne l’ensemble des activités nécessaires à la mise en relation entre un bien « matériel » ou « immatériel » et une demande, et ceci en temps voulu.


Externalisation et réappropriation des collectifs

L’enquête menée en collaboration avec l’Observatoire régional des transports sur  l’organisation des services logistiques dans la Région des Pays de la Loire a révélé des niveaux très divers d’extériorisation de ces activités (Pierre Cam, 2000). S’agissant de la logistique, on emploie couramment les notions de « prestation de service » voire de sous-traitance. Ces termes peuvent avoir des significations diverses en droit et  les règles qui s’appliquent aux prestataires de service en cas de transfert d’activité ou d’externalisation sont très différentes selon que l’on considère que cette sous-traitance est un simple marché ou qu’elle met en jeu une véritable entreprise.

Le terme d’externalisation est récent mais la réalité est déjà ancienne. Elle date du début des années soixante et va de pair avec la vague des restructurations qui marquent l’entrée de la France dans le marché commun. C’est d’abord la navale qui expérimentera ces nouvelles formes d’insécurité collective. L’une des conséquences de l’entrée de la France dans le Marché commun a été la diminution de l’aide étatique à la Construction navale. En 1960, cette aide diminue de 10% puis de 15% en avril 1961. Entre 1957 et 1964, les différents Chantiers perdent près de 10 000 emplois. On passe ainsi de près de 40 000 salariés à 29 000 salariés en moins d’une dizaine d’années. De plus les établissements se délestent d’une partie de leurs activités comme la mécanique, la fonderie ou la menuiserie qui deviennent des entités juridiquement autonomes. Ainsi les Chantiers de l’Atlantique perdront entre 1960 et 1968 près de 2000 salariés.

Dans un premier temps, l’externalisation visait en fait à délester l’entreprise mère d’un certain nombre d’activités annexes ou complémentaires en constituant autant d’entreprises autonomes et distinctes. Les syndicats suivis en cela par les inspecteurs du travail seront les premiers à dénoncer ces pratiques qui conduisent à une désagrégation des collectifs de travail et  à un dépérissement des institutions représentatives. L’éclatement de l’entreprise implique un abaissement des seuils sociaux qui entraîne inévitablement l’effritement de la représentation syndicale. Il faut se rappeler que les petites et moyennes entreprises d’aujourd’hui sont parfois les grandes entreprises d’hier, et  que les données statistiques reflètent en ce domaine beaucoup moins la réalité qu’un certain état de la construction sociale. La part des établissements de 200 salariés et plus a ainsi fortement régressé dans l’industrie durant les dernières décennies du 20e siècle passant de 54% en 1975 à moins de 40% en 1996 alors que les entreprises de moins de 50 salariés progressaient à un rythme soutenu : de 23%  à  45%[2].

Si les construction navale et automobile ont été les premières entreprises à mettre en place ces stratégies, elles ont été suivies depuis par beaucoup d’autres : le textile, le BTP, les entreprises de service, etc.  Face à cette délitescence programmée et organisée, les organisations syndicales ont multiplié les recours en justice pour obtenir le maintien des collectifs et de leur représentation. Ils ont été suivis en cela par les magistrats qui, dès le début des années soixante-dix,  ont élaboré pour lutter contre ce qui apparaît alors comme une fraude le concept d’Unité économique et sociale (J. Le Goff, 2002). L’Unité économique et sociale est une entité sui generis qui regroupe le plus souvent au niveau d’un site des salariés de sociétés juridiquement différentes et qui se dotent d’institutions représentatives communes.

Cette notion permet en allant au-delà des apparences juridiques d’une division en sociétés distinctes de retrouver ce qui fait l’essence d’un collectif de travail – une communauté de salariés oeuvrant sous la domination d’un même capital. Mais s’agissant du collectif de travail, les magistrats ne se contentent pas uniquement d’une communauté de statut, ils recherchent également les éléments mettant en évidence un système d’interconnaissance  comme la circulation des salariés entre les différents établissements mais aussi un « passé d’actions et de luttes communes »[3]. Cette jurisprudence audacieuse a ainsi permis de recomposer les collectifs de travail à partir de leur unité de vie sur un territoire plutôt qu’en prenant en compte les frontières jamais totalement « naturelles » de l’entreprise.


Un « camaïeu juridique »

A partir des années soixante-dix, se développe une nouvelle forme d’externalisation. Si la première impliquait une véritable « extériorisation », la seconde s’opère par un remaniement en interne. Certaines fonctions de l’entreprise qui étaient exercées jusque-là par du personnel appartenant à l’entreprise sont désormais exercés par des prestataires de service ou des entreprises sous-traitantes. Cette nouvelle forme d’externalisation vise des activités comme le gardiennage ou la maintenance informatique ou le nettoyage des locaux voire la manutention. L’entreprise après avoir été dépecée, implose désormais. C’est ainsi que le salarié qui vous ouvre la barrière à l’entrée de l’usine peut appartenir à une entreprise différente que celui qui vous remet un badge après avoir rentré votre nom dans l’ordinateur, et différente encore du gardien qui vous accompagne jusqu’au bureau de la direction (Filoche, 2004).

L’externalisation d’une partie de l’entreprise ou d’un service soulève la question du devenir des salariés attachés à l’activité extériorisée, en particulier lorsqu’il n’y a pas de lien juridique entre les deux entreprises, telle une vente ou une prise de participation. Dans la perspective contractuelle qui est celle du Droit français où le salarié n’est pas attaché à son entreprise mais à la personne de l’employeur, la cession d’une activité devrait entraîner « naturellement » le licenciement de tous les salariés attachés à cette activité. Or tel n’est pas le cas.

Il existe en effet dans le code du travail l’article L.122-12 alinéa 2 du Code du travail  qui impose aux « entreprises » en matière de transfert, de regroupement ou de sous-traitance de certaines activités, de conserver le collectif de travail. Cet article issu d’une loi du 19 juillet 1928 constitue une véritable exception dans le contexte fortement individualiste qui sert d’arrière-plan aux relations du travail en France. Après la guerre, certains juristes comme Paul Durand ont cru voir dans cette loi l’amorce d’une théorie de la communauté de travail proche du Droit allemand et propre à jeter les bases d’une nouvelle approche de l’entreprise (Supiot, 1994). Cette loi trouve en effet comme son origine dans le Droit allemand. Elle est le fruit d’une tentative d’harmonisation du droit de l’Alsace lorraine d’inspiration germanique et du droit français. Elle a été portée en particulier par François de Wendel. Il s’agit pour les grands groupes industriels de trouver un compromis lors des achats et des ventes d’entreprise(Gaudu, 2004).

La multiplication des externalisations des activités de service a conduit à un contentieux extrêmement important sur les bases de cette loi. Les juges ont eu à trancher la difficile question de savoir ce qu’il fallait entendre par « entreprise » puisque le collectif de travail n’est protégé que si le transfert concerne une « entreprise ». Les solutions apportées à ce problème durant les trois dernières décennies n’ont cessé de varier. Très rapidement les magistrats se sont heurtés au fait de savoir ce qu’il fallait mettre sous le terme d’activité économique. La restauration collective et le gardiennage sont-elles une activité économique au même titre que la menuiserie pour la Construction navale. Ce faisant, ils ont renoué avec ce qui constitue une sorte de point aveugle dans la théorie classique de l’entreprise.

L’économie capitaliste repose sur une vision normative de l’entreprise : ce qu’elle est et ce qu’elle doit être pour être efficiente. Ce n’est sans doute pas un hasard si, dès le début de son ouvrage sur la richesse des Nations, Adam Smith prend comme exemple une entreprise d’épingles ( Adam Smith, 1991). Pour Smith le travail attaché à fabrication des épingles représente le cœur même de l’activité productive ; il en fait toute la « richesse », et ce grâce aux gains de productivité résultant d’une action qui est divisible à l’infini. Les services sont d’emblée ignorés. Nulle part, dans son chapitre d’ouverture, il ne nous montre les transporteurs qui apportent la matière première, ni les régleurs ni même les petites mains qui balaient et entretiennent l’atelier. Si cette vision partisane est inscrite dès le début dans le capitalisme, elle se heurte cependant aux formes les plus traditionnelles d’organisation de l’entreprise qui restent jusqu’aux années cinquante très fortement patriarcales dans l’industrie française. Tant que l’employeur se comporte comme un pater familias et considère son entreprise comme un tout où se côtoient ceux qui participent à son « bien être », le dépeçage de l’entreprise en services distincts et autonomes n’est pas de mise.

A partir des années soixante-dix, les externalisations des activités de service vont se multiplier donnant lieu à divers marchés et vont obliger les magistrats saisis de nombreux conflits à se poser la question de la nature de l’entreprise. La jurisprudence des tribunaux s’est orientée peu à peu vers une analyse duale de l’activité économique.  Elle a ainsi défini l’entreprise comme « une entité » économique autonome c’est-à-dire comme une unité identifiable au sein d’un ensemble impliquant la combinaison d’un personnel qualifié et organisé, et d’une infrastructure ad hoc. A l’opposé, elle a considéré que l’absence d’éléments d’exploitation ne pouvait constituer une activité économique en tant qu’entreprise. Les salariés du gardiennage, de la maintenance, de la restauration collective ou du nettoyage industriel se voyaient ainsi condamnés à une sorte de nomadisme salarial alors que leurs camarades travaillant dans un atelier outillé suivait le mobilier en cas de cession de l’activité. La jurisprudence qui avait preuve d’innovation dans le domaine de l’Unité économique et sociale est restée attachée à une vision traditionnelle du lien salarial organisé par ce qu’on peut appeler la division sociotechnique du travail[4]. Mais, à une époque où l’immatériel devient le moteur d’un grand nombre d’activités économiques florissantes, cette position est largement remise en cause par les faits.


Solidarité sociocritique et solidarité de réseau

La perplexité des magistrats face aux phénomènes d’externalisation et les difficultés pour saisir ce qui constitue les différentes formes d’activité de l’entreprise n’a d’égale que la complexité des situations au sein des entreprises. Le domaine de la logistique en offre un exemple particulièrement intéressant. Comme d’autres types de prestations de service (entretien, transport, gardiennage, etc.), la logistique existe sous deux formes : des prestataires indépendants qui assurent tout ou partie des différentes maillons de la chaîne logistique, et des services internes aux entreprises. Au mieux, ces activités sont regroupées au sein de l’entreprise en une unité ou un département jouissant d’une certaine autonomie, au pire elles sont totalement diffuses et relèvent de plusieurs départements.

Mais à la différence des autres services, comme l’entretien ou la sécurité, les différentes activités de la logistique restent en définitive assez peu externalisées. L’enquête menée auprès d’un échantillon représentatif d’entreprises dans la Région des Pays de la Loire montre que seul le transport fait l’objet dans la quasi-totalité des entreprises d’une véritable sous-traitance (82%). Les activités de stockage ou la préparation des commandes qui pourraient faire l’objet d’une externalisation sur place comme le gardiennage ou le nettoyage sont  parfois sous-traitées à l’extérieur (33%) mais restent le plus souvent une activité à part entière de l’entreprise. Il en va également pour l’approvisionnement des lignes de production ou la gestion des flux immatériels. Par ailleurs, un tiers  des entreprises qui sous-traitent leur stockage ou leur entreposage se déclarent prêtes à réintégrer ces activités en leur sein. Cet impact  restreint de l’externalisation des services est d’ailleurs confirmé par une enquête réalisée  par l’AFT-IFTIM au sein de la profession.

Les prestataires de service dans le domaine de la logistique sont tous des « sous-ensemble » qui se sont détachés de leur maison mère en gardant l’infrastructure et le personnel. Il n’existe pas de véritable marché dans le domaine de la logistique comme pour l’entretien, le gardiennage ou la restauration. Les relations entre donneur d’ordre et prestataire reste du domaine de la confiance. Un prestataire de service travaille en règle générale avec un ou deux clients avec lequel il entretient une relation de longue date.

Une autre particularité de l’activité logistique réside dans le fait qu’il existe une véritable difficulté à cerner les effectifs en emploi qui s’articule avec le délicat problème de délimiter le cœur de cette activité. Si les spécialistes semblent d’accord pour dire qu’entre les deux derniers recensements ces emplois ont fortement augmenté, il reste difficile de donner un chiffre fiable sur le nombre d’employés logistiques. L’enquête menée auprès des entreprises de la Région a montré qu’il y avait une réelle difficulté à nommer les postes ou les emplois affectés, et ceci d’autant plus fortement que les entreprises ne disposaient pas de département logistique organisé.

Le terme de « logistique » est un terme savant réservé autrefois à la science militaire. Son usage dans le domaine civil participe à la réhabilitation d’un ensemble d’activités – manutention, préparation des commandes, alimentation des chaînes de production, etc. - qui jusqu’à l’avènement de la gestion en flux tendus étaient plutôt considérés comme des tâches subalternes et invisibles dans le tissu de l’entreprise. Cette réhabilitation va de pair avec l’apparition d’un nouveau corps de spécialistes – les ingénieurs en logistique – qui disposent à travers leurs clubs ou associations d’un réseau désormais relativement influent.

A une époque où la marchandisation des services est souvent la « règle », il nous a semblé curieux que la logistique qui est une forme de « prestation de service » restât à l’extérieur du mouvement qui affecte le reste des services. Une enquête par observation directe et entretiens a donc été menée auprès de six grandes entreprises : trois tournées vers la production et trois tournées vers la distribution. Très vite, il est apparu que, pour des entreprises pratiquement identiques au niveau de leur activité, de très fortes différences se faisaient jour non seulement dans l’organisation logistique mais également dans l’opinion qu’en avait les protagonistes. Celles-ci résultaient le plus souvent des formes d’organisation productive dans lesquelles s’inséraient ces activités.

Dans les formes avancées de la gestion logistique qui spécifient les entreprises post-tayloriennes tirées par la demande, les différents postes participant à l’activité de l’entreprise – au sens restreint - sont reliés par des flux d’information qui enclenchent les actions des salariés. Mais ces flux sont alimentés également par les pratiques des salariés des entreprises en amont ou en aval de la chaîne logistique de telle sorte qu’une forme d’unité de travail s’impose entre des entités que tout sépare juridiquement. Ainsi dans la construction automobile, les équipementiers sont très fortement soumis aux flux d’information. Pour la production et le montage des sièges, c’est la « sortie peinture » du véhicule qui enclenche les opérations – fabrication des sièges, puis transport et montage – selon le principe du juste à temps. Dans un tel système, la logistique est fortement autonomisée : elle a son responsable, ses équipes, ses logiciels, etc. Le cadre logistique est dans une telle organisation en position de force, ce qui implique par exemple que les caristes en approvisionnement de bord de ligne d’assemblage relèvent de sa responsabilité.

Il n’en va pas de même dans une entreprise de fabrication traditionnelle, où c’est en général le chef de production qui se trouve en position dominante exerçant sur tout ce qui touche à sa fonction un soin jaloux : dans ce dernier cas l’approvisionnement en ligne relève de son pouvoir. Le responsable de la production veut pouvoir compter sur ses fournisseurs avec lesquels il entretient des relations le plus souvent de confiance, et intégrer ainsi tout ce qui se situe en amont de la fabrication dans sa sphère de pouvoir. C’est ce que l’on a pu constater dans une entreprise de fabrication et de commercialisation de consommables où la majeure partie de la logistique d’approvisionnement restait sous la dépendance de la fabrication. Ce dualisme peut d’ailleurs conduire à des contrastes saisissants selon que l’on observe l’une ou l’autre de ces logistiques : en amont ou en aval. Ainsi dans une des entreprises visitées, le magasin d’approvisionnement de la chaîne de fabrication avait une implantation traditionnelle – à proximité de la chaîne,  et les commandes en provenance des chaînes étaient gérées manuellement par des systèmes d’étiquette que l’on déchirait lorsque le « produit » était épuisé. Un « surveillant » avait pour tâche de passer régulièrement pour vérifier l’état des « étiquettes ». Il se rendait ensuite au magasin où il interrogeait un ordinateur en poste fixe pour connaître l’état du stock. En aval, la logistique des stocks qui était  étroitement liée à la grande distribution avait été placée sous la responsabilité d’un cadre logistique. On retrouvait comme chez l’équipementier, un système totalement piloté par ordinateur avec un logiciel gérant en temps réel les mouvements de stock, et ce sans aucune intervention manuelle.

Les entretiens menés avec les responsables des services logistiques affectés à des entreprises de fabrication  traditionnelle révèlent une forte amertume. La logistique en tant qu’activité n’a pas l’évidence qui se dégage des machines consacrées à la production et qui occupent le cœur de l’entreprise alors que les stocks se situent à la périphérie. L’opinion des responsables de production sur leurs collègues logisticiens n’est pas très éloignée de celle de Smith sur les services, et ils classent assez facilement la logistique tournée vers la distribution du côté des emplois improductifs que l’on pourrait aisément externaliser. Il en va tout autrement dans les entreprises post-taylorienne où la logistique est considérée comme un élément de l’activité et un enjeu, et non plus une simple prestation de service (Couraut et Trouvé, 2000). Ces entreprises disposent le plus souvent d’un pouvoir réel sur leur fournisseur et sur leur distributeur qui leur permet de leur imposer des standards et de coordonner leurs systèmes d’information. Les salariés  de ces différentes entreprises se trouvent inscrits de fait dans une forme de continuum et un ensemble de jeux de miroir où les activités des uns répondent aux activités des autres. On peut parler à cet égard d’une identité de réseau qui s’opère par la médiation des flux d’information. Dans les entreprises « traditionnelles », il existe des « logistiques » - une logistique pour les boulons et les vis, et une logistique pour les moteurs, une logistique en aval et en amont – qui créent autant d’identités au travail particularisées alors que dans l’organisation du juste à temps les compétences développées par les salariés sont quasiment similaires d’une organisation à l’autre, seule l’activité de l’entreprise différant : assemblage, fabrication, distribution, etc.  Cette nouvelle forme du lien social n’a cependant pas encore trouvé à s’exprimer dans une conscience collective qui puisse donner lieu à des institutions représentatives.


Conclusion

L’externalisation qui accompagne l’ouverture des marchés amène à s’interroger sur la nature des activités et des collectifs de travail qui y sont attachés. On peut à partir des développements récents distinguer ainsi trois types de collectifs du travail. Les premiers qui sont identifiés par la jurisprudence comme des « entreprises » sont médiatisés par une technologie  ; ils offrent une consistance à l’analyse qui leur confère une sorte de réalité propre à les identifier culturellement. Ils peuvent faire l’objet de ce que le droit nomme une extériorisation tout en conservant leur identité. Le second groupe est médiatisé par une organisation sociale plus ou moins fluide mais exerce par son biais une activité finalisée : la prestation de service. L’absence de médiation par une technologie visible les expose à une marchandisation accélérée et à devenir des nomades du salariat.  Enfin, il  y  a les salariés qui se trouvent aux interstices des fonctions d’entreprise et qui en assurent les liaisons.

Disséminés dans l’entreprise ou à l’extérieur, ils peuvent relever de différents services et ne forment pas un groupe organisé. L’apparition de la logistique en liaison avec l’extension du flux tendu vise aujourd’hui à organiser ces liaisons par le biais d’un  système d’information. Cette nouvelle forme d’organisation des communautés de travail a suscité encore peu de conflit car elle n’a sans doute pas atteint un degré suffisant d’objectivation pour pouvoir susciter des résistances et un contentieux spécifique.  Pour conclure, la notion de « culture d’entreprise » utilisée par la sociologie des organisations pour décrire les communautés de travail  est sans doute heuristique pour rendre compte des premières formes d’organisation marquées par le fordisme, un peu moins s’agissant des secondes plus proches de ces ensembles qui constituent ce que Richard Sennet nomme le «travail sans qualité », et plus problématique lorsqu’il s’agit de ces groupes sans ossature que constituent les « fonctions logistiques », et dont les liaisons sont assurées par des flux immatériels inter-entreprises.




Références bibliographiques

Pierre Cam,  Les emplois logistiques , Observatoire régional des Transports,  septembre 2002, Nantes
Bruno Couraut et Philippe Trouvé, Les dynamiques de PME, Paris, P.U.F, 2000.
Emile Durkheim, De la division du travail social, Paris, P.U.F, Quadrige, 3e édition, 1994.
Gérard Filoche, Carnets d’un inspecteur du travail, Paris, Ramsay, 2004.
François Gaudu, Droit du Travail, Paris, Dalloz, 2004.
Jacques Le Goff, Droit du travail et société, Tome 2, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002.
Adam Smith, La Richesse des Nations, Paris, Flammarion, 1991.
Richard Sennet, Le travail sans qualités, Paris, Albin Michel, 2000.
Alain Supiot, Critique du droit du travail, Paris, P.U.F., 1994.



[1]  L’assignation d’un lieu et d’un horaire ou le contrôle effectif du travail qui constituent les critères traditionnels de la subordination juridique et du salariat ne suffisent pas à caractériser  des situations de travail où il existe  une certaine forme  d’indépendance : enseignants, moniteurs de tennis, distributeurs de prospectus, médecins, représentants, etc.  C’est ici l’appartenance à une organisation oeuvrant pour le profit qui signe l’appartenance salariale plus que le rapport d’autorité.[2] Bordes M.-M., Gonzales-Demichel Ch., Marché du Travail,  Séries longues, Insee Résultats, n°610-611, juin, 1998.

[3] Voir  Société Simca et Peugeot,  Bulletin de la Cour de Cassation, Chambre sociale, Cinquième partie, n°69 p.51.

[4] Le concept d’Unité économique et sociale ne se prononce pas sur la nature du « collectif » de travail, il enregistre l’existence d’une communauté à travail à travers un certain nombre de pratiques et de comportements. La notion de « service organisé » utilisée pour penser les relations individuelles du travail qui n’implique pas un substrat matériel pour l’activité mais une simple médiation via une  « organisation » ne semble pas avoir été étendue par la jurisprudence au collectif de travail.

 

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