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Fatoumata BADINI-KINDA
Maître-Assistant, Département de Sociologie, Université de Ouagadougou
Droits de reproduction et de diffusion réservés © LESTAMP - 2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France N°20050127-4889
En cette période où tout le monde parle de la mondialisation et de ses effets induits, les questions qui interpellent en Afrique sont celles de la lutte contre la pauvreté, la solidarité et l’intégration sous régionale. Jamais il n’a été autant question de la lutte contre la pauvreté et de l’exclusion sociale aussi bien pour les peuples que pour les gouvernants. Toutefois au même moment où l’on fait de l’intégration sociale une priorité du développement durable, on assiste parallèlement à un renforcement des compétitions entre territoires, entre sociétés, classes et couches sociales sous l’égide de la mondialisation ayant pour corollaire les mouvements et conflits sociaux.
De l’avis de F. Houtart (2003), si dans le monde occidental on assiste à une montée des mouvements sociaux suite à la réduction des emplois et des revenus du travail, dans le Tiers-monde ce sont les formes précapitalistes de conflits (ethniques, religieux, ou de castes) qui surgissent. Notre présente intervention se propose de mettre l’accent sur les effets induits de la mondialisation sur l’intégration des sociétés africaines. Nous examinerons les résonances de la crise ivoirienne sur les migrants burkinabé et leurs familles en Côte d’Ivoire comme au Burkina Faso.
Sommes-nous à l’heure de l’émergence de nouveaux rapports sociaux qui secrètent de nouvelles formes de xénophobie sur le continent africain ?
De façon générale la mondialisation est-elle cette main invisible qui divise plus qu’elle n’intègre les sociétés africaines en ces temps bien réputés d’indispensables regroupements en pôles viables face aux risques d’isolement et de marginalisation ?
L’immigration en Afrique Noire : Quels contextes géopolitiques ?
« Lorsqu’on dort sur la natte d’autrui on dort par terre » ’Sagesse populaire Moaga’ [1]
En Afrique Noire, l’immigration au sens large du terme aurait commencé avec la traite des Noirs dès le XVIème siècle. Elle fut relayée par la colonisation et avant par les mouvements de conquêtes menés ça «et là par les royaumes africains des XVIIIème et XIXème siècles. C’est dire que pour des raisons économiques, politiques et de conquête, l’immigration est vieille, voire omniprésente en Afrique, coïncidant presque, avec les grands moments de l’histoire du continent noir. Aujourd’hui encore, avec des formes et contenus divers, elle reste d’actualité : l’immigration et la présence d’ « étrangers » en Afrique Noire ont pris, ces dernières années et ce depuis les indépendances politiques des années 60, une importance particulière avec des conséquences plutôt graves au point que « la question de l’étranger » en Afrique est devenue une question urgente à résoudre.
Si par le passé, l’Afrique était réputée pour son hospitalité (« On est prêt à céder sa natte à l’étranger pour dormir par terre, à céder sa part à l’étranger pour dormir à jeun » disent encore les Moose) de nos jours on peut se demander ce qu’il en reste : quel est le statut de l’étranger dans les pays d’accueil en Afrique dans un contexte de mondialisation ?
Georges TAPINOS et Daniel DELAUNAY en parlant des migrations internationales en général rejettent l’idée d’une mondialisation des migrations. Ils admettent cependant que « la diversité des nationalités des migrants et des canaux migratoires empruntés de même que la part croissante des mouvements de travailleurs temporaires et de travailleurs qualifiés dans l’ensemble des flux migratoires indiquent que les migrations s’inscrivent dans le contexte actuel de la mondialisation des économies ». Ceci traduit de l’avis de ces auteurs, que les pays de départ et ceux d’accueil semblent aujourd’hui plus interdépendants que par le passé et que le débat ne porte plus uniquement sur l’impact des migrations sur les pays respectifs. Il est devenu indissociable de la question des droits de l’Homme, de l’organisation politique et du développement économique des pays d’origine, de la cohésion nationale et de l’avenir de l’État-Providence dans les sociétés d’accueil.
Ainsi, même s’il n’y a pas eu véritablement mondialisation des migrations internationales, la question reste tout de même posée de la relation réciproque entre les migrations et la mondialisation économique. Dans quelle mesure les migrations participent-elles au phénomène de la mondialisation et parallèlement comment la mondialisation affecte t-elle la mobilité des personnes ? La mondialisation est considérée comme la constitution d’un marché mondial, sans frontières, où marchandises, services et capitaux circuleraient librement (S. Allemand, JC. R. Borbalan 2003 : 19). Mais ce libre-échange des biens et services et le flux des capitaux signifie t-il une libre circulation et implantation des populations sous le signe de l’intégration régionale et sociale ?
On peut relever que si la mondialisation facilite les échanges de la main d’œuvre hautement qualifiée, celle peu ou pas qualifiée devient de plus en plus encombrante pour les pays d’accueil occasionnant de nombreux mouvements et conflits sociaux et des situations de précarité pour les migrants. Cet aspect de la mondialisation n’est pas sans rappeler l’idée reçue selon laquelle la bombe à neutron serait inventée pour, dans un pays donné, détruire les hommes tout en sauvegardant leurs biens au profit de ceux qui ont lancé cette bombe ! L’immigration dans le contexte actuel de la mondialisation semble concerner plus les biens et les services que les hommes et les peuples qui éprouvent plus que jamais de sérieuses difficultés à aller d’un pays à un autre. L’immigration en Afrique noire n’échappe pas à la règle.
Avec la crise économique généralisée et les troubles géopolitiques, l’immigration en Afrique noire est aussi devenue une porte ouverte pour le chômage et les exactions de toute nature. On assiste à des flux inverses de migrations interne et internationale où des travailleurs étrangers sont contraints de rentrer dans leur pays d’origine et dans quelles conditions ? Pour quels identité et statut social ? Pour quel avenir ? La migration qui autrefois était source certaine d’ascension sociale le demeure t-elle dans le contexte actuel ?
Dans la présente communication, je parlerai de l’immigration de Burkinabé en Côte d’Ivoire autour des trois principaux arguments suivants :
> un bref rappel de l’Histoire de la migration des Burkinabé en Côte d’Ivoire
> de la crise ivoirienne et de ses manifestations et conséquences
> des effets de la crise sur les migrants Burkinabé et leurs familles.
Le choix de ces deux États n’est pas fortuit. En Afrique occidentale, la Côte d’Ivoire est considérée comme le pays qui compte la plus grande proportion d’immigrés (un Ivoirien sur quatre serait d’origine étrangère), tandis que le Burkina Faso, pour sa part, fait partie des principaux pays d’émigration de la région (Plus d’un burkinabé sur quatre serait à l’étranger). L’immigration par contre au Burkina Faso est relativement faible et ne concernerait que 0,6% de la population totale en 1996 (PACERE, 2003). Par ailleurs des enquêtes de terrain menées dans un petit village du Burkina Faso, Kuila, dans le cadre d’une recherche sur la sécurité sociale locale au Burkina Faso, nous a permis de toucher du doigt les dures réalités que vivent les migrants de retour de la Côte d’Ivoire. Cette étude intitulée « Local social security and gender in India and Burkina Faso » (2001-2003) a été soutenue par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique (FNS) et la Direction du Développement et de la Coopération (DDC) Suisse. Sur une centaine d’interviews, 44 entretiens approfondis ont été réalisés pour cette étude auprès de personnes âgées (55 ans et plus) dont la plupart sont des anciens migrants de le Côte d’Ivoire. La migration des Burkinabé en Côte d’Ivoire est relativement une longue histoire…
La longue histoire de la migration des Burkinabé en Côte d’Ivoire
La migration des Burkinabé en Côte d’Ivoire et particulièrement celle des Mosse (ethnie majoritaire du pays) constitue une tradition séculaire en raison des considérations politiques, économiques et sociologiques. De façon générale, les travaux forcés du temps colonial ont joué un rôle considérable dans les migrations des Burkinabé. Selon PACERE (2003) l’origine des migrations des peuples burkinabè vers l’extérieur est exclusivement coloniale. Au début du siècle dernier, nombreux sont les Voltaïques de l’époque qui sont partis travailler en Côte d’Ivoire, au Mali, au Niger et au Ghana. Pays enclavé, très peu favorisé par la nature, l’ex-colonie de la Haute-Volta n’avait de richesse que ses hommes considérés comme de « gros travailleurs » « La Haute-Volta, la Terre des Hommes » disait le Général de Gaulle.
Le pays a été diversement touché par ces transferts de population. Ainsi, le plateau central avec les Mosse relevant d’une société très organisée et hiérarchisée ont beaucoup intéressé le colonisateur et ceci pour la mise en valeur des rizières et des champs de coton au Soudan français, l’exploitation des plantations de café, de cacao, de palmier à huile et les chantiers de construction de routes et chemins de fer en Côte d’Ivoire notamment, tout cela pour la cause de la Métropole alors en pleine guerre. L’histoire du pays retient que la colonie de la Haute-Volta, jugée peu rentable à l’époque par le gouverneur de la région Afrique de l’Ouest, avait été redistribuée en 1932 aux colonies voisines pour leur mise en valeur. C’est ainsi qu’une grande partie avait été rattachée à la Côte d’Ivoire (dont elle fournissait la main d’œuvre) pour constituer la Haute Côte d’Ivoire, une partie au Soudan (actuel Mali) et une autre au Niger. Le pays ne sera reconstitué qu’en 1947 pour devenir indépendant en 1960.
On pourrait évoquer également au passage le projet de la « double nationalité » entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso sous l’action conjuguée des présidents Houphouët Boigny et Maurice Yaméogo. Toute chose qui montre les liens étroits existants et crées entre les deux pays et les deux peuples. Depuis le temps colonial, le processus de la migration s’est poursuivi avec pour mobile la recherche du numéraire. Elle représentait une stratégie de recherche d’emploi rémunéré, de mieux être pour soi-même et pour sa famille restée au pays natal et celle qu’on reviendra y fonder. A l’échelle du pays, si la migration privait le Burkina Faso d’une importante main d’œuvre (ce sont les bras valides qui partent), d’un autre côté le transfert d’argent assuré par les migrants était jugé compensateur d’où une certaine souplesse au niveau de la politique d’immigration au Burkina Faso très ambiguë, voire ambivalente par moment. Il y eut des périodes où les transferts de la main d’œuvre était même organisés par les autorités (exemple : immigration vers le Gabon ou autre pays demandeurs de main d’œuvre dans les années 1973, vers la Côte d’Ivoire en 1979 sous le gouvernement de Renouveau National).
A ces raisons politiques et économiques des migrations burkinabé s’ajoutent celles sociologiques. Traditionnellement en milieu Moaga il faut être sorti de son village, aller à l’aventure et revenir pour s’affirmer en tant qu’homme adulte. Un proverbe Moaga dit que « Ce n’est pas le premier né qui connaît l’éléphant, mais c’est celui qui est allé en brousse » pour signifier que c’est celui qui est sorti de son « trou » (son village) pour aller à l’aventure qui connaît les expériences de la vie. Partir était un rite de passage au statut d’adulte et il s’agissait de partir pour revenir.
Aller en migration procurait alors au jeune homme une certaine expérience et une valorisation de son statut social d’autant plus que par le passé, la migration à l’étranger était le plus souvent porteuse de réussite sociale. Dans le temps, la Côte d’Ivoire apparaissait comme l’ « Eldorado », « le pays aux œufs d’or » et le jeune « Paweogo », « migrant » qui revenait dans son village natal (non sans difficulté) avec un vélo bleu Peugeot, un petit poste transistor, un chapeau melon, un peu de noix de cola et d’argent en poche incarnait au village le modèle de réussite. Il incite du même coup les autres jeunes notamment des ruraux à prendre le chemin de l’aventure à l’étranger. Une des particularités de l’immigration internationale au Burkina Faso est qu’elle est principalement un mouvement des populations des campagnes vers l’étranger (MC. DIOP 2002 : 549). Il s’agit là essentiellement d’une main d’œuvre sans qualification, celle qui, de nos jours, est marginalisée par le phénomène de la mondialisation. Déjà en 1975 on estimait que 17 % de la population autochtone du Burkina Faso vivait à l’étranger (P.STALLER, 1975 :255).
Le processus s’est poursuivi voire accentué en partie en raison de la pauvreté du pays. C’est bien connu, le Burkina Faso est considéré comme l’un des pays les plus pauvres du monde. La faiblesse des ressources est générale et les inégalités sociales criardes. Selon les résultats de la dernière enquête (2003) sur les conditions de vie des ménages 46,4 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 82.672 francs CFA, soit environ 126 euros par adulte et par an ou encore moins d’un demi euro par jour et par adulte. C’est surtout dans les grandes villes qu’une infime minorité de la population vit au rythme de la modernité et dans un luxe relatif. Cette pauvreté et le sous-emploi soutiennent un fort taux d’émigration. De nos jours, la migration externe touche près de 28 % de la population Burkinabé estimée à environ 12 millions d’habitants. Elle est surtout orientée vers la Côte d’Ivoire et les diverses sources font état de 3 millions ou plus de Burkinabé qui vivent en Côte d’Ivoire (cf. l’éternel problème d’estimation du nombre des migrants dans un pays donné), un pays aujourd’hui en crise politique, économique et sociale sans précédent.
De la crise Ivoirienne : manifestations et conséquences
Depuis la baisse des cours des matières premières, suivie dans les années 1994 de la dévaluation du franc CFA, la question de la mondialisation sous ces traits essentiellement économiques, de nombreux pays en Afrique de l’Ouest comme la Côte d’Ivoire, n’ont cessé d’afficher la réalité d’une profonde crise économique. Mais au-delà de celle-ci, la crise ivoirienne laisse apparaître de plus en plus ses dimensions politiques portées de manière systématique par la politique de l’ « Ivoirité », avec comme corollaires la question de la réforme agraire, la chasse à certains étrangers et le pillage de leurs biens. Dans le pays, une distinction serait désormais faite entre « les bons étrangers » et « les mauvais étrangers » par les autorités politiques d’abord.
Le concept d’ « Ivoirité » apparu dans les années 1994 dans le lexique du discours politique visait en premier lieu des responsables politiques en Côte d’Ivoire. Pour la petite histoire, suite au décès du président Houphouët Boigny en décembre 1993, Henri Konan Bédié qui lui succède, écarte de la course vers la présidence de la République le premier ministre Alassane Dramane Ouattara, originaire du Nord, au nom de l’ « Ivoirité » (cf. Nouvel Observateur 2004). On lui reprocherait une « Ivoirité douteuse ». Selon le code de la nationalité « est Ivoirien tout individu né en Côte d’Ivoire sauf si ses deux parents sont des étrangers, est Ivoirien tout individu né hors de la Côte d’Ivoire d’un parent Ivoirien » (Sylvie Bredeloup, 2003 : 88-89). Si la qualité d’Ivoirien est conférée à la naissance, elle peut également s’acquérir par voie de naturalisation ou par mariage (en fournissant les documents requis pour cette naturalisation, documents pas toujours faciles à établir).
Au fil du temps l’ « Ivoirité » manifestera son caractère xénophobe et deviendra un concept d’exclusion sociale des étrangers sur le marché de l’emploi, dans le domaine foncier, dans le commerce et dans beaucoup d’autres secteurs de la vie, en particulier dans le secteur politique. Sylvie Bredeloup (2003 : 85 à 112) dans son article intitulé « La Côte d’Ivoire ou l’étrange destin de l’étranger » expose les manifestations de la crise ivoirienne depuis 2000, la construction de l’idéologie de l’étranger, la crispation identitaire et la chasse à l’étranger africain de l’ouest et musulman. Elle montre qu’en septembre 2000 un conflit foncier opposa à San Pédro, au sud-ouest de la Côte d’Ivoire des Burkinabé à leurs hôtes les Kroumen. Ces derniers voulaient reprendre les forêts qu’ils avaient vendues aux premiers, qui y avaient développé des plantations. Ces rixes qui sont à interpréter en lien avec l’adoption de la nouvelle loi sur le domaine rural, ont abouti à l’évacuation d’un millier de Burkinabé.
Sur le terrain plus politique et d’exclusions socio-politique, le concept d’ « Ivoirité » sera à l’origine de conflits ethniques et religieux. C’est le début de la chasse à l’étranger africain de l’ouest et musulman dont notamment les Burkinabé. Toute chose qui avait amené le président sénégalais Adboulaye Wade en 2001 à laisser échapper la fameuse phrase qui a fait tant de bruit et valu des représailles aux ressortissants de son pays : « Au moment où je vous parle, un Burkinabé subit en Côte d’Ivoire ce qu’aucun noir ne subit en Europe » (22/01/2001) avait-il dit. Ces Africains sont considérés par les autorités actuelles avec en tête le président Laurent Gbagbo comme ceux qui soutiennent l’opposant Alassane Dramane Ouattara ainsi que le mouvement rebelle. Ils font l’objet d’exactions de toute nature allant au-delà de la pire barbarie humaine. En témoignent les corps repêchés dans la lagune Ebrié, les charniers découverts,les pillages et le délogement de nombreux étrangers dont les burkinabè. Le cas des Burkinabé en Côte d’Ivoire se complique par les rapports plus ou moins tendus existants entre les présidents Ivoirien et Burkinabé, hier seulement des amis !!! Tous ces faits ne sont pas sans incidences sur les migrants et leurs familles et sur le Burkina en général.
Les effets de la crise ivoirienne sur les migrants Burkinabé et leurs familles
Faut-il dire qu’aujourd’hui les Burkinabé en Côte D’Ivoire font l’objet de xénophobie et de racisme ? Selon G.M.FREDRICKSON (2003:9) « le mot racisme est souvent utilisé de façon intuitive et assez vague pour désigner les préjugés hostiles à l’encontre d’un groupe humain et les comportements qui en découlent. Il arrive parfois que cette antipathie s’exprime en paroles et en actes avec un acharnement et une sauvagerie que ne peut expliquer à lui seul le sentiment d’appartenir à un groupe supérieur, ce travers humain apparemment universel… »
Phénomène nouveau ou en résurgence en Afrique, la xénophobie est en train de prendre de nouvelles proportions. De nombreux Burkinabé en Côte d’Ivoire en sont victimes et certains y ont perdu la vie, les biens ou la dignité. Dans l’ouvrage de F.T.PACERE (2003 :137), on apprend qu’en février 2004 un bilan provisoire fait apparaître le tableau suivant portant sur les Burkinabé : 42 assassinats de personnes clairement identifiées, 35 disparitions, 219 cas de violences exercées sur les femmes et les enfants, 20.000 cas de pillage et de destructions d’habitations, 1 cas de spoliation de biens. Que dire des cas non recensés ou inconnus. Sur la question, une commission internationale travaillant pour les droits de l’Homme était pour des enquêtes au Burkina Faso en août 2004, pour apporter une certaine lumière sur ces faits déplorables au XXIème siècle et dénoncés par de nombreux organismes et associations tant au Burkina Faso qu’à l’échelle internationale.
Les millions de Burkinabé qui vivent aujourd’hui en Côte d’Ivoire sont confrontés au difficile choix d’y rester ou de revenir bredouilles au Faso et une des grandes incertitudes qui pèse aujourd’hui sur le Burkina Faso est le retour massif de ces millions de Burkinabé vivant en Côte d’Ivoire et les conséquences sociales et économiques qui en découleraient. Pour ces derniers, de nombreuses questions se posent : rester en Côte d’Ivoire et dans quelles conditions ? Revenir au pays natal, oui, mais comment ? S’installer où au pays ? Avec quelle identité et quel statut social ? Pour quoi faire ? Pour quel avenir ?… Une crise identitaire et de socialisation est redoutée pour la plupart et nombreux sont ceux qui risquent de se sentir étrangers dans leur propre pays. Face aux exactions de ces dernières années, les autorités Burkinabé en collaboration avec de nombreux organismes et associations ont organisé des secours aux rapatriés à travers l’ « Opération Bà Yiri » qui signifie en langue mooré « Opération pour le retour au pays natal ».
On estime que 200.000 à 300.000 Burkinabé pour la plupart des femmes et des enfants ont pu regagner ainsi le Burkina par d’autres moyens. Cette « opération » a ses forces mais aussi ses faiblesses. Elle s’est vite essoufflée du fait des moyens insuffisants et de l’improvisation. La difficile question de l’intégration et de la réintégration sociale, économique et culturelle des rapatriés reste posée. Ce retour au pays s’est accompagné d’un accroissement sensible d’épidémies et de maladies comme le sida. Pour certains, le problème était de reconstruire des familles disloquées (les pièces du puzzle manquaient parfois). La question de la scolarisation des enfants et des jeunes rapatriés demeure à l’ordre du jour. Les personnes âgées ne sont pas épargnées (cf. ces récits de vie d’anciens migrants revenus au village avant ou après les récentes exactions).
L’étude conduite dans le village Burkinabé, à une trentaine de kilomètres seulement de la capitale (Ouagadougou) a, en outre, permis de mettre à nue une des réalités tragiques de l’émigration aujourd’hui. Un chef de famille d’environ 50 ans après plusieurs années passées en Côte d’Ivoire à travailler comme ouvrier ou manœuvre, a dû regagner le village natal sans avoir réussi à réaliser un seul des rêves qui l’avaient poussé au départ. Le retour non plus, et pour cause, n’a pas été un succès, loin s’en faut : après un séjour à l’étranger négatif, il devait rencontrer ici encore, les pires difficultés pour son intégration, voire sa réintégration, dans un milieu social et physique qui était pourtant les siens. Les problèmes de la vie quotidienne au village aggravés par les conséquences multiformes des années cumulées de sécheresse, la pauvreté qui s’installe de manière endémique et le déracinement social et psychologique qu’il a connu du fait de la rupture provoquée par le long séjour à l’étranger, ont finit par avoir raison de lui et de sa volonté de vivre et le condamner au suicide… dénouement tragique d’un retour manqué de migrant.
La migration est de moins en moins cet eldorado des jeunes burkinabé qui y voyaient, il n’y a pas longtemps encore, le gage d’une certaine ascension sociale. En effet, combien y sont retournés pour mourir, combien sont arrivés physiquement et humainement diminués (loques humaines, fous…) incapables de jouer le moindre rôle socialement utile dans un village tenu tantôt pour cimetière, tantôt pour asile…
Conclusion
Que penser de l’avenir de la migration et de l’intégration Africaine après tout ce que je viens de dire ?L’immigration en Afrique Noire se déroule dans un contexte de mondialisation des économies. Et si les pays deviennent de plus en plus interdépendants dans ce contexte on assiste parallèlement à un renforcement des compétitions entre territoires, entre sociétés, classes et couches sociales, quoique cette dernière idée ne fasse pas l’unanimité (cf. P.R. KRUGMAN, 2000:8). De façon générale on se demande comment vivre en paix dans un monde de diversité, dans un monde qui n’est plus comme avant et où l’individualisme prend le pas sur le collectivisme accentuant les inégalités sociales ? Pour F.HOUTART (2003 :13), si dans le monde occidental on assiste à une montée des mouvements sociaux suite à la réduction des emplois et des revenus du travail, dans le Tiers Monde ce sont les formes précapitalistes de conflits (ethniques, religieux ou de castes) qui resurgissent.
L’immigration en Afrique Noire se déroule sur un fond de troubles géopolitiques remettant en cause l’intégration régionale africaine. Les résonances de la crise Ivoirienne sur les migrants burkinabé et leurs familles constituent un exemple parmi tant d’autres. Sommes-nous à l’heure de nouveaux rapports sociaux qui secrètent de nouvelles formes de xénophobie sur le continent Africain ? En dépit des multiples efforts, l’intégration régionale Africaine est-elle en dérive voire mort-née ? De façon générale la mondialisation est-elle cette main invisible qui divise plus qu’elle n’intègre les sociétés africaines en ces temps pourtant bien réputés d’indispensables regroupements en pôles viables face aux risques d’isolement et de marginalisation ?
[1] Moaga (au pluriel Moose) est l’ethnie majoritaire au Burkina Faso
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