K. Cem ÖZATALAY
Turquie, Galatasarai Sociologie
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LESTAMP -
2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France
N°20050127-4889
Le
succès du sociologue est souvent apprécié selon sa contribution
conceptuelle à la littérature. Cela doit être vu légitime à
condition que la contribution en question serve à mieux
comprendre la réalité sociale actuelle. A partir de ce critère,
Richard Sennett mérite la meilleure des appréciations avec son
concept descriptif de « corrosion du caractère » à travers
laquelle il décrit les impacts des changements dans les
conditions de travail et son processus due à la transformation
capitaliste ayant eu lieu notamment pendant les vingt dernières
années, sur les caractères des travailleurs occidentaux
contemporains.[1] En comparant avec succès les différents
aspects des conditions de travail des deux époques et soutenant
que le générateur du changement et de la diversification soit
l’apparition de la « flexibilité » dans la production, le
sociologue américain met en évidence les valeurs typiques des
travailleurs notamment du nouveau monde : le présentisme, la
dévalorisation des liens sociaux, l’égocentrisme, le souci
perpétuel d’avenir etc.…
Ainsi peut-on accepter que le travail sociologique de Sennett
englobe l’ensemble du monde des travailleurs? A proprement
parler, en tant qu’une orientation globale, le processus de
production du « nouveau » capitalisme qui devient plus flexible
relève-t-il les mêmes phénomènes dans tous les coins du monde ou
dans tous les secteurs d’activités ? Le présentisme d’un
informaticien peut-il être identifié avec celui d’un ouvrier
sans qualification et sans sécurité sociale ?
Cet article envisage de débattre autour des questions énumérées
ci-dessus en s’appuyant d’une part sur le cadre conceptuel mis
en œuvre par Sennett et d’autre part sur les inférences
sociologiques obtenues au cours de l’enquête que nous avons mené
en 2003 au sein des travailleurs du secteur informel à Ikitelli
où se trouve la plus grand zone industrielle de la Turquie.[2]
Les
divers phénomènes locaux d’un même capitalisme global
Au cours du
20ème siècle, le plus grand défaut des chercheurs en
sciences sociales, notamment des pays sous-développés ainsi que
les pays en voie de développement, fut leur fidélité aux idées
de ‘progrès’ et d’ ‘évolution’. Provenant d’une épistémologie
positiviste hégémon en occident notamment au cours de la
naissance des sciences sociales, surtout de la sociologie et de
l’économie, le progressisme et l’évolutionnisme, supposant une
tendance linéaire vers un développement économique ainsi qu’une
modernisation sociale et une démocratie politique, exerça une
grande influence intellectuelle sur la destinée des recherches
menées dans les diverses disciplines scientifiques. De ce fait,
tous les phénomènes sociaux ont été couramment considérés par
les sociologues non-occidentaux comme des étapes préliminaires
de ceux de l’occident. Certainement, cette supposition n’était
pas tout à fait sans fondement : le développement économique
vigoureux et percutant ainsi que l’effort continu de
modernisation exercé d’une manière persistante par les autorités
de ces pays, avaient supporté empiriquement les thèses
progressistes.[3] Mais, comme une ironie du sort, les événements
historiques qui ont eu lieu pendant la période suivante, ont
réfuté, l’un après l’autre, tous les arguments sur lesquelles
s’appuient le progressisme et l’évolutionnisme.
Depuis le déclin de l’épistémologie positiviste dont le résultat
suscite un éclatement dans le continent sociologique, les idées
telles que progrès et évolution n’y trouvent plus de place. Bien
que le déclin du positivisme soit incontestable, il est
impossible de parler avec autant de précision quant à ses
résidus. Ces derniers, quoiqu’ils soient implicites, paraissent
de différentes façons et avec divers aspects dont l’un s’incarne
comme un occidento-centrisme pénétré dans le discours
sociologique produit dans les pays occidentaux mais aussi
reproduit dans ceux qui sont non-occidentaux. Des récits
englobant le monde entier mais ne se basant que sur les données
propres aux pays occidentaux, d’après nous, sans le vouloir ou
en le voulant, montre nettement la régénération d’un des
vestiges du positivisme qui s'enracine sur une épistémologie
supposant que toute réalité sociale comprend à la fois l’unité
de temps, l’unité de lieu et l’unité d’action.
Disons par malheur qu’un tel défaut se manifeste objectivement
dans l’ouvrage de Sennett : malgré que son choix de titre et
d’objet de recherche soient très englobant, il se contente
d’observer les situations des travailleurs, notamment ceux du
tertiaire, américains vis-à-vis des impacts du nouveau
capitalisme. Il est possible qu’il prenne la plume prenant en
considération les travailleurs de l’Europe développée, mais
absolument pas ceux des pays dépendants même si ces derniers
subissent fortement et bien différemment les résultats négatifs
de la flexibilité. On aurait raison de dire que dans un monde si
globalisé, les plusieurs millions de travailleurs du Sud avaient
mérité d’être inclus dans l’univers d’un tel travail aussi
prétentieux. La seule exception de l’ouvrage se trouve dans la
partie où l’auteur fait référence aux informaticiens
indiens dans un contexte relatif aux licenciements qu’avaient eu
lieu à IBM.[4] Mais cette exception ne présente absolument pas
une rupture de l’occidento-centrisme implicite qui donne sa
couleur à l’ouvrage.
Sennett accepte l’informatique comme la technologie locomotive
du nouveau capitalisme. Evidemment, il est difficile et même
incongru de nier cette supposition : on a un accord étendue sur
ce que la technologie informatique signifie. Mais quant à
l’usage de cette technologie, il n’est pas très facile
d’accepter qu’il y ait une dispersion équilibrée dans le monde
entier. Bien qu’il y ait des processus demandant une certaine
quantité de la force de travail qualifiée même dans les pays du
Sud, il est évident que l’ensemble de ces économies sont
quasiment exclues des technologies avancées tels que
l’informatique ou la biotechnologique.[5] Avec son constat du
« Quatrième Monde », Castells envisage de décrire la situation
des plus pauvres pays du monde prédestinées à ne jamais
atteindre ces technologies.[6] En ce qui concerne les pays en
voie de développement qui sont chargées de se concentrer sur les
secteurs d’activités au travail intensif selon la nouvelle
division du travail international, il convient de dire qu’ils ne
peuvent mettre que partiellement en vigueur ces nouvelles
technologies. Donc si l’on veut analyser la flexibilité et ses
résultats sociaux dans ces pays, en demeurant en dehors d’une
approche « holiste » qui suppose une évolution diachronique des
sociétés, il faudra faire attention à la pluralité de sa manière
d’existence et à la multiplicité de ses impacts sur les diverses
parties des travailleurs.
A part l’occidento-centrisme, Sennett présente également un
autre type de réductionnisme lorsqu’il néglige la fragmentation
et la différenciation entre les travailleurs occidentaux. La
flexibilité tandis qu’elle affaiblisse les rapports de fidélité
au travail et au métier au sein presque de tous les
travailleurs, elle entraîne quand même des diverses réflexions
et perceptions jetées sur elle-même qui se sont modifiées selon
la qualification et la position dans le processus du travail
ainsi que le sexe ou la race : Lamont montre très bien dans son
travail récent les diversifications morales entre les ouvriers
blancs ou/et noirs et les cadres ou les managers. Par exemple,
tandis que les ouvriers blancs et noirs respectent fermement la
protection et la responsabilité, ce sont les cadres et les
managers qui s’attachent sincèrement aux valeurs issues de la
flexibilité.[7] Sennett en se focalisant sur une grande mesure
sur les types d’activité réalisés par la mise en œuvre de la
technologie informatique, demeure indifférent aux secteurs
d’activité de qualité de travail intensif. Dans son livre,
concernant l’étude de cas des travailleurs de boulangerie,
Sennett se concentre plutôt à montrer leurs similitudes que
leurs différences face aux informaticiens ou aux travailleurs du
tertiaires. Néanmoins, comme nous nous efforcerons de constater
plus bas, l’apparition de la corrosion du travail chez ces deux
parties présente une différence qualitative issue des
fragmentations de classe de la société.
S’il faut résumer la critique que l’on fait ci-dessus en
quelques phrases, en généralisant les aspects de conduites et de
valeurs d’une partie des travailleurs américains contemporains,
Sennett néglige objectivement la diversité des répercussions
dans les différentes formations sociales et les diverses
secteurs d’activités même si elles sont les parties d’une même
structure économique globale et de ses résultats y compris la
flexibilité. Ainsi le « présentisme », le « souci d’avenir » ou
« l’affaiblissement des liens sociaux » qui se révèlent comme
certains éléments principaux de la définition du corrosion du
caractère chez Sennett, peuvent exprimer des sens diverses au
sein des différentes couches des travailleurs distinctes même si
ces dernières sont issues et à la fois composants du même
système capitaliste globale. Ainsi pour pouvoir déployer les
aspects particuliers du « corrosion du caractère » au sein de
n’importe quelle partie précise des travailleurs d’un pays,
notamment d’un pays sous-développé ou en voie de développement,
il faut prendre les mesures contre un point de vue progressiste
ou évolutionniste. Les données sociologiques obtenues lors d’une
enquête menée dans un pays occidentale ne peuvent fournir que
des idées et des concepts convenables à définir un point de
départ, mais jamais un model que l’on prévoit atteindre. Partant
d’un tel point de vue, nous nous efforcerons, avant tout, de
décrire la pénétration hétérogène des politiques de flexibilité
dans le marché du travail en Turquie qui nous offre des données
assez riches afin de montrer les divergences du processus et ses
influences sur la formation de caractère des travailleurs.
L’informalisation de l’économie: aspect « à la turca » de la
flexibilité.
Dans les pays occidentaux, l’économie informelle est identifiée
souvent avec une situation pathologique qui fait jour dans
l’économie en fonction des activités clandestines. De ce fait,
elle évoque fréquemment les termes tels que « économie
clandestine », « économie criminelle », « économie grise »,
« économie illégale », « économie mafieuse », « économie
noire », « économie de l'ombre », « économie souterraine »,
« économie submergée » etc. Le titre de l’oeuvre de Jean-Paul
Gourévitch montre un des exemples d’un tel type de perception :
« L’économie informelle / De la faillite de l’Etat à l’explosion
des trafics »[8]
Il est impossible de nier la face illégale de l’économie
informelle lorsque le fait signifie à la fois des activités
économiques conduites hors la loi. Mais la réduction de cette
économie simplement à des activités illégales et clandestines ne
suffira pas à donner la qualité du phénomène qui est, en vérité,
fortement attaché aux transformations économiques mise en
vigueur à l’échelle globale : l’économie informelle est apparue
parallèlement à l’abolition partielle du fordisme qui provoque
la crise structurelle du capitalisme dès les années 70.[9] Car
les entreprises ont affronté la crise par des politiques de
licenciement pour diminuer le coût du travail et par des
politiques obligeant les Etats à faire diminuer le taux d’impôt.
Ainsi ce phénomène est plutôt la conséquence d’une
restructuration de l’organisation de la production capitaliste
que la faillite de l’Etat puisque le déclin de l’Etat, lui-même,
est attaché directement à ce processus de restructuration qui se
modifie et se reconstruit perpétuellement en fonction des
changements sur le plan de la division du travail
internationale.[10] De ce fait, cette restructuration patente de
l’économie mondiale a fortement transformé les constatations
développées en conformité avec le paradigme moderniste,
autrement dit, dualiste.[11]
A l’opposé des théories dualistes qui supposaient transitoire et
autonome l’existence de l’économie informelle, la théorie de
dépendance (the dependency theory) qui a une position
hégémonique depuis une vingtaine d’années, affirme que les
secteurs formels et informels sont des sphères dépendantes et
articulées les unes aux autres. Selon cette approche,
1) un producteur ou un entrepreneur qui s’occupe de
sous-traitance, afin d’acquérir des matières premières et
d’autres matériaux, établit inévitablement des liens avec le
secteur formel,
2) les petits vendeurs, les colporteurs vendent les biens
produits par des grandes usines formelles,
3) les collecteurs de déchets sont en réalité les ouvriers d’un
système plus vaste,
4) les faibles coûts de la force du travail dans le secteur
informel résultant de son caractère précaire et inorganisé,
poussent les entreprises du secteur formel à créer des relations
avec le secteur de la sous-traitance,
5) la classe moyenne et les travailleurs urbains profitent à
grande échelle des biens et des services du secteur
informel.[12] Donc l’économie informelle apparaît comme une
forme spécifique et contemporaine des relations de production
capitaliste.[13]
En fait, en induisant une économie parallèle à une économie
formelle et institutionnalisée, une économie dite informelle, la
restructuration de l’économie mondiale depuis les années 1970,
crée un vaste volume d’emploi pour la majorité des populations
des pays du Tiers Monde. Selon les résultats des recherches
empiriques, plus d’un quart de la population mondiale
économiquement active en dehors de l’agriculture, soit 500
millions de personnes, dépendent pour leur survie du secteur
informel.[14]
Le paradigme de « flexibilité » - en tant que méthode pour
échapper à la crise- et le processus d’informalisation
s’entraînent simultanément l’un l’autre. Le résultat des
politiques de flexibilité, comme l’accroissement des relations
de sous-traitance, du chômage, de l’emploi partiel et de
l’emploi à mi-temps, suscitent à une informalisation et en
contrepartie le processus d’informalisation conduit à
l’effectivité des politiques de flexibilité.[15]
L’identification à grande mesure des politiques de flexibilité
avec le processus de l’informalisation dans les pays
périphériques, entraînent d’autre part l’emploi sans sécurité
sociale notamment dans certains secteurs d’activités comme on en
témoigne la Turquie qui, à partir des années 1980. a échangé le
modèle des substitutions aux importations pour un autre modèle
dit « modèle d’accumulation orienté vers l’exportation ». Dans
l’industrie, au lieu des secteurs dépendants de l’importation,
on s’est concentré sur les secteurs tels que le textile ou
l’agro-alimentaire qui possèdent un grand potentiel
d’exportation et une qualité de travail intensive convenant aux
opérations de morcellement de la production. Par la croissance
du nombre des petites entreprises, la Turquie est devenue
exemplaire : entre les années 1991-1998 alors que le nombre des
entreprises employant de 1 à 9 personnes atteint 52 %, celui des
entreprises employant plus de 100 personnes n’augmente que de 16
%.[16]
Suite aux crises économiques conjoncturelles de 1994 et 1999,
les taux d’informalisation ont augmenté de manière constante :
en 2002 l’emploi informel touchait 3 millions de personnes qui
composent 31 % de la main d’œuvre active totale en Turquie.
Depuis qu’on a adopté comme stratégie les politiques de
flexibilité, exposant un accroissement perpétuel, les activités
informelles sont devenues l’une des composantes principales de
l’économie turque, laquelle est articulée de plus en plus aux
marchés mondiaux. La flexibilité qui devient réalisable sur le
plan globale par la pénétration d’une technologie informatique
dans le processus de production, s’éveille en Turquie comme
l’éclatement d’une économie informelle reposant sur le travail
intensif qui, en raison des contraintes de la concurrence
internationale, ne permet souvent pas à un emploi avec sécurité
sociale afin de ne pas augmenter les coûts de production.
C’est pourquoi, à la différence des activités économiques
clandestines tels que le trafic de tabacs ou de drogues dont les
participants ont la conscience de leurs positions hors loi, les
travailleurs qui sont embauchés sans contrat de travail et sans
sécurité sociale dans des grandes firmes exportatrices sont
souvent inconscients de la situation. Comme la question de
survie est prioritaire pour eux, il leurs suffit d’un paiement
régulier des salaires. La situation est identique dans le cas
des employées à domicile : elles participent à la production
sans contrat de travail et sans sécurité sociale, juste pour
pouvoir contribuer à l’économie domestique. La flexibilité
correspondant au travail intensif dans le cas de la Turquie,
fait galoper l’informalisation qui se manifeste sur une grande
échelle comme l’emploi sans contrat de travail et sans sécurité
sociale. La corrosion du caractère que les travailleurs du
secteur informel ont largement subit en comparaison à ce
qu’éprouvent les ouvriers syndiqués d’industrie lourde,
n’entraîne même pas les changements identiques aux travailleurs
qualifiés du tertiaire[17]. Les
apparences de la « corrosion du caractère » chez les
travailleurs du secteur informel d’Ikitelli.
La comparaison faite abstraitement entre les différentes
manières de la pénétration de la flexibilité dans le processus
de production capitaliste nécessite encore d’être renforcée par
des inférences empiriques pour pouvoir parvenir aux apparences
multiples de la corrosion du caractère au sein du monde du
travail. Mais tout d’abord, il serait préferable de faire
connaître au lecteur quelques caractéristiques d’Ikitelli où
notre enquête avait été menée du février au juin 2003.
Ikitelli : comme centre du secteur informel et centre
d’attraction pour l’exode rural. Le quartier d’Ikitelli est
situé dans les frontières municipales d’Istanbul, à 10
kilomètres du centre ville, avec sa zone industrielle employant
actuellement plus de 150 milles travailleurs et ses zones
d’habitation au caractère attirant pour la majorité de la
population de l’exode rural, ouvre une grande surface propice
pour mettre en application les politiques de flexibilité.
La transformation d’Ikitelli a débuté dans la deuxième moitié
des années 80 avec le transfert des entreprises qui se
trouvaient notamment dans la presqu’île historique d’Istanbul.
Cette opération de transfert avait pour objectif d’empêcher la
pollution de l’environnement, la défiguration de la ville et
ainsi la situation défectueuse concernant la pratique de
l’urbanisme. En premier lieu ce sont les activités de la presse
qui se sont déplacées de Babıali (Eminönü) à Ikitelli et par la
suite, en 1985 a débuté la construction de la zone industrielle
constituée de petites entreprises sous la direction de la
municipalité d’Istanbul dont le maire était Monsieur Bedrettin
Dalan. Ikitelli était l’une des deux zones industrielles
planifiées pour Istanbul, l’autre étant la zone industrielle de
Tuzla dans laquelle se concentrent des entreprises de
peausserie.[18] Aujourd’hui, la zone industrielle d’Ikitelli,
construite sur un espace de 7.000 hectares, comprend 36
coopératives de groupes de profession distinctes. Cette zone
possède le potentiel d’accueillir 30 milles lieux de travail et
300 milles employés. Elle est nommée la « capitale » des KOBI
(les petites et moyennes entreprises) en Turquie.
D’autre part Ikitelli, avec sa capacité d’emploi, est devenue
une région attirante pour les vagues migratoires rurales. Selon
les données collectées par la Municipalité urbaine d’Istanbul,
de 1997 à 2000, le taux de croissance de la population de
Küçükçekmece, le district auquel Ikitelli est rattaché, figure
au troisième rang des taux de densité de population les plus
élevés d’Istanbul : la population de Küçükçekmece avec un taux
de croissance de 27.97, a augmenté de 460.388 à 589.139. Cette
densité de population signifie que Küçükçekmece est actuellement
le deuxième district le plus peuplé d’Istanbul.[19] Mais selon
les registres des chefs-lieux des quartiers de Küçükçekmece, la
population totale du district est de 1.150.150 dont une
proportion de 220.000 personnes est installée à İkitelli.
Autrement dit, Küçükçekmece comme İkitelli continuent à
accueillir les nouveaux arrivants à Istanbul. Quant à la
distribution sectorielle de la zone d’Ikitelli, nous observons
la prédominance des secteurs du textile et de la confection :
Parallèlement à la croissance du secteur textile et de la
confection depuis l’entrée de la Turquie dans l’Union Douanière,
on observe un accroissement des investissements dans ce
secteur.[20] Cette vague poursuit son expansion comme nous le
montrent les données de subvention d’investissements : dans la
première moitié de 2002, la zone industrielle d’İkitelli a reçu
des accords de subvention pour 61 nouveaux investissements dont
cinquante trois destinés au textile et à la confection.[21] Les
autres cités qui réunissent les secteurs de l’industrie de la
chaussure, du métal, de la sidérurgie, du plastique, du bois de
construction, de l’ébénisterie, des ateliers de réparation
automobile, les fondeurs et les quincailliers, constituent aussi
des petites ou des moyennes entreprises.
Comment la flexibilité à Ikitelli voit-elle le jour?
Les sondages nationaux montrent que 4 travailleurs sur 5
embauchés dans le secteur du textile et de la confection ne
bénéficient pas de la sécurité sociale.[22] Puisque la moitié du
volume de l’emploi repose sur le textile et la confection à
İkitelli et que l’ensemble des employés est estimé par les
autorités à presque 150 milles dans la zone industrielle, en
établissant une proportion directe on peut arriver à une somme
de 75 milles ouvriers du textile et de la confection dont 60
milles n’ont pas la sécurité sociale. Si l’on ajoute les
ouvriers de la chaussure qui ne sont nullement réglementés et
les autres travailleurs des autres secteurs qui s’emploient dans
des ateliers de petit taille où le travail précaire est très
fréquent, il s’agit approximativement de 100 milles travailleurs
privés de la sécurité sociale et du contrat de travail à
Ikitelli. Cela signifie une grande précarité pour les
travailleurs puisque les licenciements qui sont témoignés
fréquemment dans la région, ne dépendent qu’à la volonté
arbitraire des patrons dispensés objectivement des obligations
juridiques.
D’autre part, étant donné qu’Ikitelli est une zone industrielle
composée d’un ensemble de secteurs à caractère hétérogène, il
est impossible de s’attendre à trouver une culture ouvrière
homogène telle qu’elle existe dans les secteurs d’activité plus
organisés et bien plus implantés où une homogénéité culturelle
s’est formé à travers les années et les luttes ouvrières. Donc,
l’absence de regroupement culturelle en fonction de la modicité
temporelle de la région et même l’hétérogénéité culturelle des
travailleurs les poussent facilement sous le joug des contrats
de travail oraux très propices à être violés. Ce sont en
majorité les ateliers de confection, plus que le textile, qui
présentent des caractéristiques reposant sur le « travail
intensif » et cela permet un large morcellement par unité en
entraînant une chaîne de production apte à pénétrer jusque dans
les ménages : c’est la décentralisation de la production et du
travail. Dans la production de confection le besoin de personnel
qualifié est plus faible que les autres secteurs : c’est la
dévalorisation du travail. Enfin, la production fonctionne de
plus en plus selon un modèle de chaîne privant d’une unité
spatiale et articulant ses mailles d’une manière inégale
(entreprise exportatrice /centre
®
ateliers de sous-traitance à taille moyenne /semi-périphérie
®
ateliers de sous-traitance de petite taille et les ménages /
périphérie) : C’est la polarisation du travail. Donc une baisse
de commande probable, originaire des activités d’exportation,
peut susciter des conséquences défavorables allongeant du centre
de la chaîne vers sa périphérie : les licenciements partielles
au « centre », les licenciements répandus au « semi-périphérie »
et les krachs « au périphérie ». Une situation semblable
apparaît dans l’industrie de la chaussure à Ikitelli. La
production de la chaussure en Turquie s’interprète souvent comme
quasi industrialisée, puisqu’elle se compose d’ateliers de
petite taille. De la même manière que le textile et la
confection, son caractère de travail intensif offre une source
croissante d’emploi. Selon le rapport du DPT, l’ensemble de la
production de chaussures de la Turquie provient à 15 % des
entreprises totalement mécanisées, à 70 % des entreprises semi
mécanisées et à 15 % des entreprises qui n’ont aucune
machine.[23]
Quant au processus du travail de la production de chaussure, les
chaînes de sous-traitance sont autant répandues que celles du
textile et de la confection. La différence apparaît aux niveaux
de la qualification des travailleurs : le secteur qui prend sa
source dans la cordonnerie, utilise encore dans son organisation
quelques éléments de l’artisanat dont le faible niveau de
mécanisation du secteur permet la survie. Cela permet au travail
d’être plus valorisé que celui du textile ou de la confection.
Mais l’interruption saisonnière des commandes pousse les
travailleurs de chaussure régulièrement dans le chômage à courte
durée qui ne garantie en aucun cas retrouver à nouveau un poste
quand recommence la saison de production. A la lumière de toutes
ces constatations, on pourrait donc noter deux aspects
significatifs de la flexibilité émergée dans le cas de Ikitelli :
les heures de travail modifiées selon la densité périodique des
commandes et, pour la plus part, aboutissant à 70 heures par
semaine présente la flexibilité des heures du travail d’une
part, et d’autre part, la hausse fréquence de changement
d’emploi[24] en fonction des licenciements bien sensibles aux
modifications des commandes, désigne la flexibilité du processus
de production. Mais il reste encore à étudier conséquences
physiques et morales de la flexibilité sur les travailleurs du
secteur informel d’Ikitelli.
Le
présentisme résultat d’une impasse insoluble
« Je veux quitter le pays pour travailler à l’étranger, en
Europe. Je suis dans le secteur de la confection depuis plus
d’une dizaine d’année, pourtant je n’ai rien à moi dans la vie.
Ni une épouse, ni les enfants, ni une maison, ni rien. Quant à
votre question, je ne fais confiance ni aux autres ouvriers, ni
aux patrons, ni à l’Etat, ni aux syndicats et ni aux partis
politiques d’opposition. J’ai fais plusieurs fois des bagarres
tantôt dans les lieux de travail tantôt dans ma vie entière.
Mais je n’ai jamais réussi. Parce qu’il est impossible de
réussir pour les gens comme nous. Oui, je suis sûr. Je vais
quitter le pays. »[25] Ce reproche appartient à un travailleur
de confection de 29 ans. Diplômé de l’école primaire. Jusqu’à
présent il a changé d’emploi plus de 10 fois. Il est devenu apte
à distinguer les situations de classe à travers ses expériences
de travail. Mais il n’a pas confiance dans sa classe sociale.
Ses affirmations signifient au-delà d’un souci d’avenir : il est
totalement dans l’impasse. Son dernier espoir est d’aller à
l’étranger avec l’attente d’y trouver un poste régulier.
Retournons, pour un moment, au livre de Sennett et à son Rico,
le personnage principale endommagé du nouveau capitalisme et de
la flexibilité : « Après avoir obtenu son diplôme d’un institut
local de génie électrique, Rico a fait une école de commerce à
New York … Rico a d’abord été conseiller pour la technologie
d’une entreprise à capitaux risqués de la Côte Ouest, au
premiers temps fébriles de l’essor de l’informatique dans la
Silicon Valley. Puis il est allé à Chicago, où il a également
réussi »[26]. Par la suite, il vit un itinéraire professionnel
qui a des hauts et des bas. Enfin, Rico et sa femme craignent
souvent d’être à deux doigts de perdre le contrôle de leur vie.
La peur est
inscrite au cœur même de leur vie professionnelle[27]
D’un côté,
un travailleur de confection d’âge moyen qui n’a jamais réussi à
prendre le contrôle de sa vie, d’une autre côte, un conseiller
bien éduqué qui a le souci de perdre le contrôle de sa vie. Mais
tous les deux trouvent inutile de conduire une lutte collective
y compris la lutte syndicale comme l’ont fait les ouvriers de la
période précédente. Bien qu’il existe une différence dans des
conditions physiques des deux travailleurs, il y a un accord
partagé sur une conduite subjective. Sennett base pertinemment
son hypothèse sur cette situation subjective : selon lui, le
caractère qui « s’exprime par la loyauté et l’engagement mutuel,
à travers la poursuite d’objectifs à long terme, ou encore par
la pratique de la gratification différée au nom d’une fin plus
lointaine »[28] est de plus en plus corrodé aujourd’hui. D’après
Sennett, le signe le plus tangible de ce changement pourrait
être la devise, « Le long terme n’existe pas »[29]. Autrement
dit, le présentisme remplace les projections à long terme.
La corrosion du caractère qui peut être qualifiée surtout de
présentisme, mériterait plus d’approfondissement dans le cas de
la situation des travailleurs du secteur informel pour pouvoir
avancer certaines hypothèses. Mais avant tout, il faut décrire
en quelques phrases le présentisme contemporain pour pouvoir
évaluer la similitude de conduite des deux travailleurs
contemporains. Chaque période historique entraîne son propre
« régime d’historicité » qui n’est que l’expression d’un ordre
dominant du temps[30]. Partant de cette définition, Hartog a
précisé que le 20ème siècle a allié le futurisme et
le présentisme. Au début, l’histoire se faisait au nom de
l’avenir : à l’extrême, cette perception est extériorisé par le
mouvement futuriste qui basait ses hypothèses sur la continuité
du progrès technologique. Pour ce mouvement le progrès avait été
considéré plus rapide que jamais, « le présent se trouve « futurisé »
ou il n’y a déjà plus que le présent »[31]. Mais au fur et à
mesure que les grands prévoyances avancées ont échoué les unes
après les autres notamment le résultat des deux guerres
mondiales, le présentisme commença à gagner encore la position
qu’on lui connaît aujourd’hui.
Le retour du présentisme sur la scène a eu lieu tout d’abord
pendant la montée des idées révolutionnaires en mai 1968 :
« Tout, tout de suite » proclamaient les murs de Paris[32] ainsi
que les murs des autres villes du monte entier. Enfin, débutant
après la défaite du mouvement révolutionnaire des 1970 et
surtout se développant lors de l’effondrement du monde
socialiste au cours des années 90, le présentisme a proclamé sa
victoire absolue, mais de façon épurée de tous ses motifs
révolutionnaires au sens politique. Autrement dit, le
présentisme subjectivement révolutionnaire des dominés est
remplacé par le présentisme objectivement révolutionnaire des
dominants. Le temps est davantage une marchandise qui prend sa
légitimité par les termes de productivité, flexibilité et
mobilité. Tous les statu-quo construits dans les conditions
bipolaires du monde s’effondrent de suite en entraînant à
nouveau un capitalisme sauvage dont l’esprit qui stigmatise les
conditions de travail s’apparentant à grande mesure à celles
montrés dans le Promised Land, film tourné par Andrei Wajda en
1974, dans lequel le réalisateur s’est efforcé de présenter la
concurrence vigoureuse mise en scène parmi les entrepreneurs de
la jeune Pologne et la misère de la condition prolétarienne à la
fin du 19ème siècle. Après un siècle de rupture,
d’une part tout le monde est à nouveau en concurrence violement
les uns aux autres mais sans aucune garantie de réussite et
d’autre part, la condition prolétarienne[33] recommence à
émerger à toute vitesse.
Donc les conduites présentistes de Rico et notre ouvrier de
confection montrent les deux faces qualitativement différentes
d’une même médaille : tandis que le premier signifie la crainte,
de perdre ses possessions qui s’est identifié historiquement aux
moyennes classes, l’autre, est clairement l’affirmation d’une
situation propre aux « prolétaires qui n’ont rien à perdre que
leurs chaînes » mais, à la différence de ceux du 19ème
siècle, sans prévoir un monde à gagner. Au cours de l’enquête d’Ikitelli,
on a plusieurs fois observé qu’au fur et à mesure que l’âge
augmente, se dimensionne l’impasse des travailleurs du secteur
informel. Si l’on met de côté des adolescents, l’intervalle
d’âge de 20 à 24 ans qui présente la majorité des travailleurs
du secteur informel à Ikitelli, montre une forte tendance à
insurger contre l’ordre existant qui fait surface fréquemment
dans divers aspects : Tels que le mouvement entrepris par les
jeunes suite être mépris des alévites par un speaker dans une
chaîne de TV ou par la suite d’une crise économique
conjoncturelle ou contre une licenciement mise en application
d’un patron. Ce sont les soulèvements de diverses dimensions et
souvent à court terme. Mais en fin de compte, ce sont des
émeutes.
A partir des âges de 25 ans cette tendance perd son efficacité
et laisse sa place à une angoisse et impasse insoluble. Se
marier et devenir chef de famille agrandisse ces impasses[34].
Ces inférences qui contredisent aux idées répandues supposant
que l’identité ouvrière s’implante proportionnellement à la
durée passée dans le processus du travail, méritent plus de
considération. La pluralité et la
fragmentation issues des diverses expériences des travailleurs
Sennett n’est pas totalement illicite quand il établit un
rapport de causalité entre les nouvelles conditions de travail
flexible et la corrosion du caractère des travailleurs, à
condition qu’il considère l’individu qui ne peut former son
caractère qu’en résultat de ses expériences vécues et que parmi
lesquelles le travail occupe une place majeure. En gros, le
caractère d’un individu peut être subi à un changement dès que
se modifient ses expériences. D’autre part, Sennett est peu
équitable quand il réduit les expériences des individus à des
expériences acquis seulement au cours du travail. Ainsi que «
le travail n’apparaît plus comme le cœur de l’activité humaine
»[35] aujourd’hui, le travail ne consiste plus des expériences
uniquement économiques. La société en réseaux, émerge dans les
pays démunis de la technologie informatique comme un
enchaînement souvent établi à la référence des relations
primaires, dite communautaires. Éléments d’une société, chaque
communauté fondée selon les critères de région originaire,
d’ethnicité ou de religiosité, servent ainsi aux employeurs et
employés du secteur informel à l’accès aux marchés du travail,
aux relations d’affaire et même au marché des immobiliers. C’est
une nécessité de survie. En absence des organisations syndicales
ou mutuelles urbaines, n’importe quel travailleur du secteur
informel n’a pas d’autre chance pour pouvoir se débrouiller.
L’affirmation la plus juste est que les stratégies de survie
nécessaire des travailleurs du secteur informel portent des
caractères économiquement capitalistes mais qu’elles contiennent
en même temps des aspects culturellement traditionnels. Ces
relations liées à la provenance de la même région, de
l’ethnicité ou de la religiosité impliquent des pratiques
particulières issues des rapports hiérarchiques et d’exclusion :
Ces pratiques en question tandis qu’elles émergent dans un
aspect communautaire, en dernière analyse se conduisent selon la
puissance économique du ménage laborieux.[36] Ceux qui ont la
puissance économique préservent aussi ces relations
traditionnelles, alors que ce qui ne l’ont pas, subissent
inévitablement aux rapports de domination de qualité
communautaire.
Les résultats de l’enquête d’Ikitelli, montrent implicitement
que dans cette zone industrielle 41 % des travailleurs du
secteur informel sont embauchés à travers des relations de
parenté ou régionales. Sur ce sujet, voyons ce que dit Hüseyin,
ouvrier du textile de 27 ans : « A İkitelli, il y a des
entreprises qui ne veulent pas employer les Kurdes ou dans un
autre cas les Alevits. Cette application n’est pas déclarée
officiellement, mais quand vous allez dans une entreprise pour
vous faire embaucher, le chargé de sécurité ne permet pas que
vous vous entreteniez avec les autorités. En général, ce sont
les chargés de sécurité qui jouent le rôle clé pour l’embauche
des travailleurs». Pendant les entretiens avec les autres
travailleurs, on a écouté plusieurs histoires qui vont dans le
même sens des affirmations de Hüseyin : la différence ne se
relevait qu’à propos des acteurs. Parce que plusieurs patrons
kurdes ou alevits ont aussi l’intention d’employer les salariés
selon leurs clivages ethniques ou bien leur appartenance
religieuse. Donc, d’une part, les expériences des travailleurs
vécues selon la relation intérieure de la communauté qu’ils
appartiennent, ne sont pas les mêmes. D’autre part, comme on l’a
déjà indiqué, la diversité des expériences selon le statut
marital des travailleurs les rend inévitablement dissemblables.
Et enfin, les niveaux d’éducation et d’urbanisation des
travailleurs ainsi suscitent les diverses conduites personnelles
vis-à-vis presque les mêmes conditions de travail. Donc tous ces
facteurs énumérés ne permettant pas aux travailleurs du secteur
informel de se former en tant que prolétariat homogène qui va de
soi, à l’opposé, entraînent une hétérogénéité de situation, une
multiplicité de caractère et des tensions internes issues de ces
clivages.
Conclusion
Les données obtenues pendant l’enquête de terrain d’Ikitelli
montrent une autre face du nouveau capitalisme et de son
flexibilité qui est clairement négligé par Sennett : la
condition prolétarienne est de nouveau retourné sur la scène
dans les pays où le travail intensif est dominant. Si on prend
la référence de la définition de Engels qui définit le
prolétaire comme celui qui « n'a que ses deux bras, qui mange
aujourd'hui ce qu'il a gagné hier » et dont la survie dépend du
hasard de l'emploie, la situation physique des travailleurs du
secteur informel à Ikitelli convient fort bien à cette
définition. Le présentisme du discours contemporain propre au
nouveau capitalisme, s’est articulé à un présentisme
structuralement intrinsèque à la condition prolétarienne dans le
cas des travailleurs du secteur informel. Ce présentisme
prolétarien suscite une impasse pour les plus âgés et un désir
de révolte pour les plus jeunes que cela les diffère
implicitement des managers ou des cadres dont la corrosion du
caractère consiste souvent à un souci d’avenir lié à la
précarité.
A la différence des conséquences homogènes de la condition
prolétarienne du 19ème siècle, aujourd’hui, la
structuration en réseau de l’économie suscite l’efficacité des
relations primaires et communautaires au sein des travailleurs
en leur permettant d’accéder plus facilement au marché du
travail. Dès qu’une économie en réseau existe et continue à
exister, il n’y a pas de cause raisonnable pour attendre le
déclin des relations primaires et communautaires. Il reste
encore une question à répondre : à l’instar des clivages décrits
plus haut comment et pourquoi insister sur l’existence d’une
condition prolétarienne issue de la flexibilité ?
Tout d’abord, il faut constater qu’il ne s’agit pas d’un rapport
de causalité entre la condition prolétarienne et un mouvement
ouvrier révolutionnaire : le premier ne signifie que la base
mais l’autre la construction. Si l’on fait une analogie avec une
maison, on peut dire que la base n’est souvent pas mise en
considération pendant son évaluation. C’est sa façade, sa
surface, son nombre de chambre et enfin son quartier qui
déterminent la valeur de la maison. La base gagne rarement
l’importance s’il n’y a qu’un risque de tremblement de terre à
condition que l’acheteur soit conscient. Mais en réalité, bien
que toutes les maisons doivent leurs existences à leurs bases,
ce sont les facteurs extérieurs à la base qu’ils déterminent
leurs valeurs réelles. Retournons à notre sujet : l’existence de
la condition prolétarienne et le contrainte du présentisme qui
stimule les travailleurs à la recherche des alternatifs
radicaux, ne présente qu’une base au sens que l’on a désigné
dans l’exemple des bases des maisons. Or la construction d’un
mouvement ouvrier n’est probable que sous l’influence des
facteurs conjoncturels économiques, politiques et idéologiques
différenciés selon l’espace et le temps ainsi que la volonté
subjective présentée par les travailleurs conscients du secteur
informel.
Il est important pour nous d’attirer l’attention au retour de la
condition prolétarienne, parce qu’à la différence de Sennett,
nous croyons qu’un changement social peut fleurir au cours des
soulèvements de masse qui permettent aux individus ainsi de
partager leurs besoins, de réaliser leurs éminentes intentions
de se libérer.
K. Cem ÖZATALAY
Turquie, Galatasarai Sociologie
Droits de
reproduction et de diffusion réservés ©
LESTAMP -
2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France
N°20050127-4889
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