Amarsanaa ALTANSAN
Open Society Institut - HESP,
Academic Fellowship Program
Département de l’Anthropologie-Archeologie
de
l’Université Nationale de Mongolie
Returning Fellowship
Droits de
reproduction et de diffusion réservés ©
LESTAMP -
2005
Dépôt Légal Bibliothèque Nationale de France
N°20050127-4889
Comment
définir la mondialisation en Mongolie ? S’agit-il d’un processus
«d’ouverture au monde» du pays qui fait suite à la fin du
communisme ? Et donc de quelle ouverture et pour quel monde ? Le
monde dans sa totalité ou bien le monde à travers le prisme des
modèles asiatiques, modèles américains ou européens ?
La mondialisation ne concerne pas seulement la sphère de
l’économie, mais s’étend plus largement à l’éducation et à la
culture. Comment alors observer la mondialisation en Mongolie ?
Quels sont les critères pertinents qui vont fonder
l’observation? Les développements contemporains de
l’architecture urbaine ? L’apparition de campagnes publicitaires
? Les pratiques alimentaires? Les tenues vestimentaires ?
L’importation de technologies nouvelles ? Les récentes
transformations linguistiques ? Les pratiques du tourisme?
L’idée principale que nous avançons ici peut se résumer à partir
du constat suivant : plus se développe le phénomène de la
mondialisation, plus on assiste à une crise identitaire et à une
multiplication de rites identitaires. L’étude portera sur
quelques-uns des aspects de cette crise identitaire.
Deuxième pays communiste après la Russie, la Mongolie règne
entre deux puissants pays, la Russie et la Chine, et se situe
aussi à la frontière extrême orientale de l’Asie Centrale. Ce
pays est particulièrement intéressant, à la fois du point de vue
historique et culturel que de sa position géostratégique et
politique. La route dite « de la soie », traversait la Mongolie
et offrait la possibilité d’échanges commerciaux et culturels
avec le monde turcopersan. On peut ajouter aussi que grâce à
l’empire mongol du 13-ème siècle qui a imposé la « pax mongolica »
les steppes mongoles ont bénéficié d’un développement artistique
et politique important chez les éleveurs nomades. A la fin de
l’empire et après deux cents ans de la domination mandchoue, la
Mongolie devient indépendante en 1924 grâce à l’aide militaire
russe. Depuis cette période, ce pays avait opté pour le
communisme. Ainsi, après soixante dix ans de bons et loyaux
services à la cause communiste, comme un revers de l’histoire à
la suite de la chute du mur de Berlin, le pays et ses
politiciens rejettent le système antérieur pour s’engouffrer
dans le « tout capitaliste ».
Au plus haut de la ferveur de cette révolution tranquille, il
était d’ailleurs sur toutes les bouches cette phrase : « Avant
on était tous communistes, maintenant on est tous
capitalistes ». Ainsi, l’un des pays les plus hostiles au monde
capitaliste, s’agenouille-t-il maintenant devant le son ennemi
d’autrefois. A partir de ce moment, on peut parler l’ouverture
vers le monde. Après la chute du communisme la diffusion des
valeurs américaines remplace l’idéologie des pays communistes. A
la propagande marxiste sur l’égalité s’est substitué le rêve de
l’argent et des richesses, l’idée que tout le monde peut devenir
riche, faire de l’argent facilement, la liberté de pensée et
liberté sexuelle. Il semble bien que la mondialisation ait
changé une idéologie par une autre utopie.
Depuis 90 la Mongolie tente de multiplier et diversifier ses
relations commerciales jusque là dirigées uniquement vers le
COMECOM. Mais, depuis ces dernières années la Mongolie établit
ou renforce les coopérations avec la Chine, le Japon, la Corée
du sud, les Etats-Unis, l’Europe, l’Australie etc. Par exemple
la relation avec la Chine est renforcée notamment en importation
de main d’œuvre chinoise pour la construction des bâtiments et
des routes en Mongolie. Les statistiques de l’an 2000 montre que
les ouvriers chinois atteignent le chiffre de 20 000
officiellement. A cela s’ajoute, l’immigration clandestine en
Mongolie par le biais de l’achat illégal de passeports mongols.
Egalement des petites et moyennes entreprises chinoises
s’installent. Ce sont souvent des commerces, des restaurants,
des artisans bijoutiers ou cordonniers. La Chine est le premier
pays sur la liste des investisseurs en Mongolie. Plus de 80% des
produits d’importation viennent de la Chine. A partir 95, suite
à des accords bilatéraux, les demandes de visas sont
supprimées : Mongols et Chinois peuvent librement se rendre dans
l’un ou l’autre pays sans formalité administrative, autre que la
possession d’un passeport en cours de validité. Cette mesure
favorise la libre circulation de produits commerciaux et
culturels. La Chine a supplanté la Russie dans ses échanges avec
la Mongolie.
L’importance des échanges avec la Chine est relayée au niveau
des médias.
Pas moins de six
chaînes chinoises sont diffusées par le câble. Ces derniers
temps, on voit apparaître sur les écrans des annonces en langue
chinoise destinées au public de plus en plus important de
chinois vivant en Mongolie. Dans la capitale, un nouveau
quartier chinois existe maintenant comme celui des russes
d’autrefois.En
ce qui concerne le Japon et la Corée du sud, le cas est
différent. Pour le Japon, l’aide financière est très importante.
Les investissements se portent davantage sous forme aide dirigée
principalement vers l’éducation et la santé. La présence de
l’aide et de la coopération du Japon est surtout symbolisée par
un centre culturel construit récemment, qui organise toutes les
activités culturelles. Egalement quelques grandes sociétés s’y
sont installées, dont Toyota qui se réserve une belle part du
marché de l’automobile en Mongolie.
Depuis quelques années un lutteur mongol, Davagdorj, devenu
champion du monde de sumo est devenu le représentant de la
culture japonaise chez les Mongols. Pratiquement tous les
tournois de sumos sont diffusés à la télévision, et chacun peut
facilement avoir une connaissance de ce sport, des grades du
sumo, en passant par le nom des différentes attaques, jusqu’au
nom des grands lutteurs sumo. La culture coréenne en Mongolie
est principalement présentée par les produits de l’habillement,
par une importation croissante d’automobiles. Le secteur
alimentaire voit aussi de plus en plus de produits coréens. Ces
derniers temps, les nouveaux hommes d’affaires mongols
fréquentent les restaurants coréens, réputés meilleurs.
S’inviter mutuellement dans un des grands restaurants coréens
est une marque de respect. Avec la Corée du sud, les échanges se
sont multipliés. Beaucoup de Mongols y vivent et les hommes
d’affaires concernés y font fréquemment le voyage, au moins deux
fois par mois.
En fait, Les classes moyennes de la Mongolie qui sont en train
de se former, trouvent leur essor grâce à ceux qui sont en
relation économique avec la Corée notamment les immigrants qui
envoient une partie de leurs revenus à leur famille restée en
Mongolie. La Corée représente l’un des pays où les Mongols
vivent en nombre. Ainsi, aujourd’hui, la capitale mongole
représente un vaste marché pour les produits coréens, notamment
dans le secteur des produits de beauté et soins corporels, de
l’habillement, de la restauration, mais aussi dans le secteur
religieux où des sectes, non des moindres, qui tentent de
recruter de nouveaux adeptes locaux. Cette diffusion de la
culture coréenne peut être symbolisée par la consommation du
kimtchi, sorte de condiment composé de feuilles de chou
pimentées et macérées, présent maintenant sur tous les marchés
et sur la plupart des tables festives familiales de la capitale.
La télévision, avec ses nombreuses chaînes câblées, est
révélatrice du choix mongol concernant la mondialisation : pas
moins de 6 chaînes chinoises nous l’avons dit, trois chaînes
russes, une chaîne du Kazakhstan, une chaîne américaine, une
japonaise, une coréenne, une chaîne anglaise, une allemande, une
française, une espagnole, une italienne, une australienne…. Les
nombreux programmes musicaux de la chaîne coréenne destinés aux
jeunes adolescents trouvent particulièrement un écho parmi la
jeunesse mongole urbaine qui s’identifie, par le choix de leurs
vêtements, aux musiciens et chanteurs de groupes rocks coréens.
Il y a bien d’autres pays asiatiques présents d’une manière ou
d’une autre en Mongolie, mais leurs influences sont moins
importantes. Les quelques exemples ci-dessus illustrent
simplement l’idée que la mondialisation ne concerne pas
seulement la sphère de l’économie, mais s’étend plus largement à
la culture, mais toujours dans des secteurs ciblés.
Puisqu’en Mongolie de l’après 90, l’ouverture vers le monde
entraîne l’arrivée d’étrangers soit d’Asie soit d’Europe et des
Etats Unis, il n’est pas étonnant qu’à la capitale, là où se
concentrent en fait les relations avec les nouveaux arrivants et
nouveaux partenaires, une partie de la population ait adopté un
mode de vie dérivé de celui européen et américain. Il est
intéressant de s’attarder un instant sur cette présence de la
culture américaine qui contribue à diffuser les modèles de
comportement culturel américain en Mongolie. Les Etats Unis,
comme première puissance mondiale, son poids politique dans les
affaires internationales, sont fortement connus en Mongolie. Les
rêves américains de la fortune facile, de la société de
consommation sont très présents dans la vie quotidienne, relayés
principalement par les médias sur différents supports.
La Mongolie n’échappe pas à l’engouement pour la consommation du
coca-cola. Si, depuis 2000, une entreprise mongole produit sous
licence « Coca-Cola » cette boisson, il n’est pas rare de
trouver sur les étales des magasins toutes sortes de
fabrications plus ou moins légales, plus ou moins contrôlées de
ce produit, provenant de Chine, de Corée, de Russie….
Les genres de restauration rapide à l’Américaine, des « Fast
Food » se développent dans lesquels sont proposés des
hamburgers, des frites ; des pizzas, des cuisses de poulet frit
directement importées, en fait tout autant de nouveaux produits
jusque-là inconnus des Mongols, mais complètement intégrés dans
les nouvelles pratiques alimentaires de la nouvelle génération
d’adolescents. Récemment un « Fast Food » qui s’était octroyé le
nom de « Mac Donald » a dû renoncer à le porter, suite à une
plainte de l’ambassade des Etats-Unis qui jugeait illégal
l’emprunt du nom de la grande société américaine sans son
autorisation. Ce restaurant a pris alors le nom de « Monburger »
pour « burger mongol ».
Les adolescents et jeunes adultes sont probablement les premiers
consommateurs de la culture américaine, en termes de nombre de
produits et de références culturelles. Ils suivent souvent la
mode : des magasins d’habillement se sont spécialisés dans la
vente des vêtements de style ample, t-shirts larges, baskets,
jeans larges, polos et maillots de sport, casquettes à longue
visière, etc. Des groupes de musique rock portent sur scène des
chapeaux de cow-boys, des chemises ou des foulards en drapeau
américain. Fumer des cigarettes « Marlboro » le plus souvent
importées de la Chine ; porter des chapeaux de cow-boys et
adopter le plus de manière de vivre à l’américaine, du moins ce
qu’ils en perçoivent, représentent un idéal accessible
immédiatement, sur place, à défaut de vivre aux States.
La mondialisation a aussi beaucoup influencé le secteur des
loisirs et de détente. Un nouveau tourisme s’est développé où
les Mongols aisés partent à la découverte de leur pays, le temps
d’un été, en utilisant tout le matériel de camping jusque là
inexistant et pratiquant la pêche avec ses accessoires, inconnue
jusqu’alors. En ville, les nouveaux appartements n’offrent plus
de cuisine séparée, mais des petites kitchenettes exiguës
donnant sur la salle de séjour. Les constructions chinoises et
russes de la période communiste avaient pourtant pris soin de
faire de la cuisine une pièce souvent large car dans la
tradition mongole, c’est un lieu de féminin où les femmes se
rencontrent où l’on fait ensemble la cuisine comme sur le foyer
central de la yourte.
On dit que « la langue exprime l’identité d’un peuple » :
précepte aux allures de dicton qui a la vie dure. Aujourd’hui
l’influence de la langue anglaise est bien forte en Mongolie.
L’anglais est obligatoire dans le programme de l’école, il est
considéré comme la seconde langue étrangère et a très vite
remplacé le russe dans cette fonction. A la demande de parents
d’élève l’anglais est enseigné dans plusieurs écoles
maternelles. Ces parents font en fait partie de la nouvelle
classe aisée de Mongols, évoluant dans les affaires. La
connaissance de cette langue est aussi rendue nécessaire pour
obtenir des aides financières afin d’étudier à l’étranger, et
elle devient aussi l’un des critères pour trouver un travail.
Par conséquent, la diffusion de l’anglais en Mongolie, n’est pas
seulement un effet de la mondialisation mais un facteur qui
concourt à renforcer ou à diviser davantage les différentes
strates sociales entre elles dans notre société.
Après cette récente période communiste qui a vu la transcription
de la langue mongole en cyrillique, apparaît maintenant un
nouveau système d’écriture, pas encore stabilisé, qui utilise
l’alphabet latin, sans doute lié non seulement à la présence de
l’anglais mais aussi à la large diffusion des ordinateurs à
clavier Qwerty sans accent. Les personnalités du monde du
spectacle, ayant une carrière « internationale », ont sans doute
contribué à la diffusion de cette pratique signant leur nom en
anglais. Tous les noms des groupes de musique rock inscrivent
leur nom sur les disques compacts en anglais : haranga, hurd… La
multiplication de l’usage de l’alphabet latin entraîne même au
sein des parlementaires des groupes de discussion sur le
changement radical de l’alphabet. Dans la langue orale
l’utilisation des mots anglais comme ok, bye, hi etc devient un
phénomène normal. Egalement, on peut facilement voir dans la rue
le nom de boutique en anglais « hair salon, new face, new style,
restaurant, souvenir shop » ou « UB palace » le nom d’une
discothèque, etc., et les exemples ne manquent pas. Les menus
des restaurants s’affichent maintenant en deux langues, anglais
et mongol.
Nouveaux comportements culturels
L’hospitalité des Mongols est largement connue et décrite dans
tous les guides touristiques, qui la réduisent souvent à l’offre
de thé au lait salé sous la yourte des nomades. Cette image
traditionnelle de l’hospitalité des mongols, symbolisée par
cette offrande dès qu’un visiteur se présente, ne correspond pas
tout à fait aux pratiques actuelles. En fait, cette coutume
n’est plus systématique parce qu’il semble que les buts et les
contenus informationnels liés à ces rencontres courtoises ont
changé. Ceci est particulièrement observable chez les Mongols
des nouvelles classes émergeantes de la capitale où la boisson
privilégiée devient le café en poudre. La consommation de cette
boisson dépasse d’ailleurs le cadre urbain en se répandant dans
les campagnes par le flux considérable de touristes étrangers
qui modifient également les comportements chez les pasteurs
nomades dans la steppe. Dans les petits échanges de bienvenue,
ces derniers demandent parfois des sachets de café aux touristes
étrangers.
Mais l’un des principaux changements culturels est sans doute
représenté par la pratique du tourisme tant dans le pays même
qu’à l’extérieur des frontières. Parallèlement à ce nouvel
essor, se développe l’apparition de magasins spécialisés dans
les accessoires de camping et de pêche notamment. Jusqu’à une
époque toute récente, les Mongols ne pratiquaient pas la pêche.
C’était une pratique de touristes étrangers qui venaient en
Mongolie essentiellement dans ce but. Maintenant, pour cette
catégorie de Mongols, pêcher et manger des poissons, faire des
grillades au barbecue, prendre des photos souvenir sont de
nouveaux comportements. Mais ils ne maîtrisent pas toujours les
nouveaux outils de la pratique touristique : ils ont de la
difficulté à monter la tente, les gestes sont gauches, ils sont
« empruntés », ils s’équipent d’une « panoplie complète du
touriste »…Dans les magasins, ils ne connaissent pas bien les
produits, ils hésitent, ils ne savent pas quoi acheter, ils
demandent l’avis aux vendeurs…
Apparaissent aussi un nombre croissant d’annonces touristiques
de tours opérateurs mongols qui vantent des séjours à l’étranger
sur fond d’opposition climatique : vacances en pays chaud à
l’étranger pendant la saison hivernale en Mongolie. A ce sujet,
voici un extrait d’une conversation téléphonique d’une femme,
âgée de la quarantaine, à son amie: « Qu’est-ce que tu dirais de
passer les vacances de nouvel an entre amis à Hawaï ? Je ne suis
pas encore partie en vacances ». En réalité, pour ces Mongols ne
maîtrisant encore peu ces nouvelles pratiques culturelles, il
s’agit moins d’échapper à la rigueur hivernale proprement dite,
à laquelle chacun est habitué, que d’ostenter une réussite
sociale et surtout économique. Cette référence à Hawaï se
retrouve ailleurs dans la ville. La mairie de la capitale a en
effet récemment installé des palmiers en plastique de
différentes couleurs, grandeur nature: des verts, des jaunes,
des rouges aux grands carrefours. Ils s’allument pendant la
nuit. Ce décor qui peut paraître surréaliste pour un visiteur de
passage dans ce pays de steppes au climat typiquement
continental, trouve cependant un écho favorable chez le citadin
mongol. Ces nouveaux décors urbains agissent comme des symboles
de liberté, car ce sont les palmiers de l’Amérique au fond, et
de réussite économique, ce qui n’est qu’utopie.
Un autre extrait de conversation est tiré de l’une de mes
enquêtes de terrain l’été dernier près du lac Huvsgul dans le
Nord de la Mongolie. La scène se déroule chez un groupe de
Tsaatan, éleveurs de rennes vivant dans des conditions
climatiques très rigoureuses. Des touristes mongols voyageant en
famille rencontrent ces Tsaatans. Un garçon demande à son père
de l’argent pour acheter un souvenir. Son père n’en avait pas et
demande à son ami : « Si tu as l’argent sur toi, passe cinq
mille [tougriks] à mon fils ». L’autre répond : « Tu veux vingt
mille ? » Et il a donné 10 mille au garçon. Ce comportement face
à l’argent est pourrait sembler désinvolte. En fait il s’agit de
montrer qu’on accorde peu de valeur à l’argent. Et ce type de
comportement est une sorte de dénégation pour montrer sa
richesse. Pourtant cinq mille tougriks correspondent à un jour
de salaire pour les professeurs de l’enseignement supérieur.
Dans le cas cité, montrer que l’on calcule les dépenses d’argent
ce serait le signe qu’on en est démuni. Ce sont seulement
quelques exemples sur de nouveaux comportements apparus ces
dernières années, liés à l’apparition de cette catégorie de
« nouveaux riches » qui a su tirer profit du changement radical
de régime politique et économique.
Crise identitaire et réticence à la Mondialisation
Il est difficilement imaginable de penser qu’une société qui
change ses choix politiques fondamentaux, ses valeurs, ses
repères identitaires, quasiment du jour au lendemain, n’entraîne
pas une crise identitaire profonde. C’est ce genre de
traumatisme qu’a vécu la population mongole en général, après la
chute du communisme. Ceci est particulièrement vrai pour la
génération de l’entre-deux, c'est-à-dire celle qui a grandi avec
les valeurs du communisme et qui maintenant se demandent bien
comment éduquer leurs enfants ou leurs petits enfants, quelles
sont les valeurs les plus importantes à leur inculquer. La
rupture avec le régime communiste a donné naissance à un nouveau
système de valeurs en rupture avec celui des générations
précédentes. Au centre de ce nouveau système de valeurs :
l’argent, faire de l’argent, l’argent comme levier de la
liberté. La principale idée véhiculée par le discours politique,
relayé par les médias est que « l’argent ouvre toutes les
portes ».
Et comme l’argent ne se trouve pas en Mongolie, ou que très peu,
et pour certains seulement, il faut aller le chercher à
l’étranger, là où le travail est bien rémunéré, là aussi où les
conditions de l’émigration sont souples ou peu regardantes. On
assiste à un phénomène de départ massif vers certains pays
étrangers les Etats-Unis, la Corée, le Japon, la Suisse et
beaucoup d'entre eux vendent tous leurs biens pour se payer le
voyage et l’installation vers ces nouvelles destinations. Une
fois sur place, il s’agit de chercher les moyens de gagner de
l’argent, d’en mettre de côté dans l’optique d’un retour ou pour
en envoyer à la famille restée au pays, de se créer un système
de valeurs en s’identifiant aux modèles autochtones. Sans doute
ce phénomène d’émigration permet de revenir nantis ou de gagner
suffisamment d’argent pour s’acheter un appartement ou un
nouveau bien de consommation, comme une voiture par exemple ?…
Dans la société contemporaine mongole, l’idéologie de « la
culture traditionnelle » est devenue un argument des agences
touristiques qui vantent les manières de vivre et la culture
artistique pour attirer les touristes étrangers. C’est dire
qu’elles jouent un rôle économique. En particulier, l’inévitable
concert de musique traditionnelle est sur tous les dépliants des
agences. De là l’intérêt de ressources économiques qu’il suscite
surtout chez les jeunes.
Mais c’est surtout autour de l’instrument « vièle cheval » ou « morin-khour »
en mongol que se construit un nouveau trait culturel. Cet
instrument cordophone est devenu de fait l’un des symboles
identitaires forts du peuple mongol. Le président en personne,
qui apparaît souvent à l’écran, en portant la tunique
traditionnelle, appelée « deel », insiste dans ses discours sur
la nécessité de préserver la culture nationale. C’est dans ce
sens qu’il a rédigé un décret destiner à promouvoir l’instrument
« morin-khour » au statut de monument national. Le ministre de
l’éducation et de la culture fut même chargé de faire promouvoir
l’instrument en question au statut de patrimoine de l’humanité à
l’UNESCO.Ce qui fut réalisé en 2003. Un orchestre de plus de
trente « morin khuur » a été créé sur volonté présidentielle. La
fabrication de l’instrument s’en est d’ailleurs trouvé modifier
selon l’usage qu’on lui attribue. Tantôt objet de prestige avec
incrustation de pierres précieuses et semi-précieuses pour
musiciens vedettes et hôtes de prestige, tantôt objet de
souvenir à l’état de miniature de différentes grandeurs pour les
touristes ou encore objet de don et contre don dans des
cérémonies officielles ou dans des réunions amicales et
familiales. Un auteur mongol, Mend-Oeo, qui a récemment écrit un
livre sur les usages de la morin khuur, note que l’instrument
incarne tant et si bien l’identité mongole qu’on le retrouve à
la meilleure tribune dans le palais de lutteur et dans la cour
suprême de l’état.
La « morin-khour » n’est pas bien sûr le seul objet culturel qui
cristalise la crise identitaire. Il y aurait aussi beaucoup à
dire sur la figure de Genghis Khan, l’empereur mongol du XIIIe
siècle, qui a conquis le monde à cette époque. L’utilisation de
son nom et de son portrait prend des allures impressionnantes :
ils se retrouvent sur un nombre considérable d’objets : des
souvenirs en tous genres et objets artisanaux en passant par des
marques de sachets de café en poudre et de bouteilles de vodka.
Ils symbolisent la puissance, mais constitue aussi un modèle
d’identification au héros de cette nation. La religion aussi,
qui était considérée longtemps comme « ennemie du communisme »
prend une ampleur considérable avec l’ouverture. Ces dernières
années le nombre de temples, d’églises et de mosquées se
multiplient. La religion bouddhique en particulier, a retrouvé
sa vigueur d’avant la période communiste et les politiques le
savent bien. Lors de grands rituels d’extérieur médiatisés, il
n’est pas rare de voir des politiques et des ministres se
mélanger aux chefs religieux. Cela constitue même un enjeu
électoral. Par exemple, pendant la dernière campagne électorale
le Premier ministre en personne participait activement à une
cérémonie religieuse.
La « morin khour », figures de Genghis Khan, pratiques
ostentatoires religieuses, « les traditions »… constituent tout
autant d’actes politiques destinés à donner sens et à renforcer
l’identité mongole. C’est la prise de conscience d’une crise
d’identité qui semble à l’origine de ces nouvelles pratiques.
En Mongolie, il semble bien que le phénomène de la
mondialisation est compris comme une idéologie égalitaire qui
tente de réunir tous les pays sur les mêmes choix économiques et
politiques… à laquelle souscrivent les classes économiquement et
politiquement dominantes. Dans un article publié en octobre
dernier dans un journal mongol à grand tirage, on pouvait lire
que « dans le monde un modèle de vie se développe fortement.
Mais la Corée du Nord le refuse, donc sa politique têtue
entraîne la pauvreté économique. Si la Mongolie souhaite se
développer économiquement, il faut bien suivre le modèle
donné… ». Cet exemple illustre bien que la mondialisation agit
comme une sorte d’idéologie contre la pauvreté économique.
Pour conclure, provisoirement, nous savons que la mondialisation
entraîne des difficultés à être, à être soi, à être unique.
C’est dans ce contexte qu’on n’a jamais autant parlé de
diversité culturelle. Si la diversité culturelle doit être
favorisée, comment se soustraire à la tentation du tout, non pas
informel, mais « enformel », formaté par l’hégémonie idéologique
planétaire ? Comment en effet penser la diversité culturelle
dans un contexte de culture mondialisée ? Force est pourtant de
constater que si la classe dominante tente de s’y fondre, les
classes dominées (classes moyennes et populaires) n’en
comprennent pas le sens bien souvent, en sont écartées : la
mondialisation ne les concerne pas. En fait sous prétexte
d’uniformiser, de modeler le monde aux normes soi disantes
« démocratiques », de promettre l’accès de la richesse au plus
grand nombre, la mondialisation ne fait qu’augmenter le fossé de
plus en plus large entre les nantis et les autres, entre une
minorité de possédants et le nombre croissant de dépossédés.
Amarsanaa ALTANSAN
Open Society Institut - HESP,
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Département de l’Anthropologie-Archeologie
de
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