Les peuples de l'art par Joëlle Deniot Professeur de sociologie à l'Université de Nantes - Habiter-Pips,  EA 4287 - Université de Picardie Jules Verne - Amiens Membre nommée du CNU
 
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Joëlle Deniot Professeur de sociologie à l'Université de Nantes - Habiter-Pips,  EA 4287 - Université de Picardie Jules Verne - Amiens Membre nommée du CNU Affiche de Joëlle Deniot copyright Lestamp-Edition 2009

 
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L'envers du décor : les peuples de l'art



Joëlle Deniot

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Joëlle Deniot Professeur de sociologie à l'Université de Nantes - Habiter-Pips,  EA 4287 - Université de Picardie Jules Verne - Amiens Membre nommée du CNU
 


Professeur de sociologie à l'Université de Nantes
Habiter-Pips,  EA 4287
Université de Picardie Jules Verne - Amiens
Membre nommée du CNU


Cette traversée des textes qui a prévalu au montage final garde les tracés de l’échafaudage proposé dans l’appel à communication qui fut collectivement élaboré au sein du Lestamp ea Université de Nantes

Elle s’en écarte pourtant. Distance du temps. Effet différé des textes, essai de réappropriation, de recomposition personnalisée du corpus que le lecteur est invité à réinventer à son tour.






L’envers du décor - Avant propos

Entre la morgue d’un art contemporain résolument circonscrit dans le langage des initiés et le conformisme bien pensant d’une démocratisation culturelle prête à porter toute expressivité anodine à la dignité d’un art de quartier ou de rue… comment parler des Peuples de l’art ? Notons d’abord la polysémie du syntagme. Il permettait bien des interprétations, ce dont ces deux volumes témoignent. Notons- en également la prudence. Il évitait populaire, ce mot si difficile à prononcer… à penser et à assumer finalement. La polémique fut à peine contournée.

Par Peuples de l’art, au plus lisible, on entendra peuples fictionnels, c’est-à-dire ceux dont les œuvres graphiques, picturales, cinématographiques, littéraires, théâtrales et musicales, en mode réaliste ou symboliste nous ont fixé la représentation, donné à voir les fresques, les portraits, révélé l’allégorie, chanté l’épopée. Une quinzaine d’articles pour la plupart regroupés dans le tome 2, aux chapitres Peuples de l’image et Peuples de la littérature, ont opté pour une approche frontale (Clara Levy[1], Dominique Loiseau[2]) ou plus indirecte (Florent Gaudez[3], Christophe Lamoureux[4]) de ces images référentielles.

Ce qui frappe à la lecture croisée des communications analysant plusieurs figures identifiables, emblématiques du peuple comme entité, ou bien décrivant quelques figures sensibles, plus singularisées de gens du peuple, c’est une sorte de clôture des images en des schèmes et des univers toujours bipolaires : aliénation ou révolution, victimisation ou violence, naturalisme du pittoresque ou idéalisation militante.

Tout ce tissé dualiste suggère pertinemment l’empreinte décisive de la stratification sociale, des affrontements de classe, mais il n’en fige pas moins tout dynamisme interprétatif. Conventions de construction de ces figures artistiques du peuple que traduit ou que redouble les attendus du commentaire socio-critique ? Jean-Philippe Chimot[5] à partir des iconographies de Daumier, de Tardi et du texte de Vautrin questionne ce rets des imageries et des conceptions : Le peuple n’est-il qu’un existentiel opprimé/ revendicatif, un collectif itinérant avec son fardeau et ses épreuves dans l’histoire, ou possède- t-il ?
( lui accorde-t-on ?) parfois un présent, une présence sensorielle, sensuelle ?

Pensée dans ce registre d’oppositions binaires, toute représentation du peuple n’est-elle pas menacée d’effacement sous diverses modalités ?

> Quand en ces Peuples de l’art, la plèbe devient métonymie de la totalité, que le héros populaire prend le langage et les manières romanesques du voyou[6]. L’identité narrative du peuple se perd alors dans le récit des crimes et des marges. La magie des bas-fonds qui opère cette réduction du peuple en pègre, héritière du XIX° tant français qu’anglo-saxon, fit longtemps recette auprès de la bourgeoisie et au-delà. Sans doute opère-t-elle encore, renouvelée, à partir d’autres foyers d’effervescence, on le constate via le succès socialement redessiné du polar, via ses supports filmiques notamment[7]. On peut cependant se demander ce qui subsiste de l’image du peuple[8] à travers ces avatars des apaches et autres corner-boys ou gangsters avertis ; se demander quelle est l’efficace d’une tel paradigme fictionnel, si ce n’est de garder peuple et gens du peuple en figures d’altérité radicale, celles du vaurien (si bien nommé), celles du hors-la-loi, celles des hors civilisation, quitte à s’émouvoir de leur pseudo dangerosité folklorisée.

> Quand ces Peuples de l’art constituent quelque matériau allégorique ou plastique placé sous emprise esthétique et critique de l’auteur. C’est le cas de Paul Klee. Bien que l’on puisse découvrir, disséminées en son œuvre, plusieurs silhouettes anonymes, celle de l’ouvrier, celle de l’opprimé, la présence du peuple s’y trouve comme éludée ou dématérialisée. On constate que Paul Klee ne représente pas vraiment le peuple, il n’en donne ni une description réaliste, ni une image idéalisée[9].

> Quand ces Peuples de l’art devenus prétextes à sublimation mimétique, sont comme absorbés par l’ego de l’artiste. A moins qu’ils ne soient totalement néantisés à travers  la parabole désespérante d’une humanité en ruine. C’est dire qu’apparaissant entre quelque figure du vide et un trop plein de l’autoportrait, entre Godot, le personnage maudit de l’univers de Beckett[10] et l’ouvrier insurgé de Rimbaud[11], peuple et gens du peuple tendent à n’être plus que des ombres.

Persona d’un peuple naïf, portraits convenus d’un populaire relégué dans quelque no man’s land, patrimoine d’images spectrales du destin prolétaire hantent ces œuvres d’où finalement ressortent une relative absence, une faillite de l’image visible et lisible du peuple. Nous pouvons certes y reconnaître quelques inscriptions archétypales de l’extrême qui, sur les registres du corps, des fatigues, des affrontements, des dénuements, des passions, déploient leur maillage signifiant. Mais reconnaître n’est pas voir[12]. Et cet inventaire nous porterait plutôt à penser qu’en ces figures de l’art, le peuple n’a plus vraiment ni miroir[13], ni visage. Que nous disent cette fuite hors scène de la conscience, cette crise de la figurabilité des peuples ? Sélection des communicants ? mutisme de l’Art, cette expérience à la fois désincarnante et émouvante[14]? difficultés d’approche posées à la sociologie de l’art en particulier, à la sociologie en général ? Là n’est pas le lieu d’engager plus avant de tels débats.

Contentons-nous de nous demander si l’on peut survivre à la perte de son image, qui est également force palpitante d’un regard, qui est aussi champ d’une possible réflexivité. C’est ainsi que se dégage le véritable enjeu de ces mises en péril de figures révélatrices, ce dont Thierry Roche nous renvoie l’écho décentré mais amplifié, à travers l’image confisquée, mi-animale, mi-humaine des amérindiens. L’image qui colle aux indiens, fantasmatique et aléatoire, rend ardue la quête d’une image juste dans un monde en voie d’uniformisation, un monde où l’image est le plus souvent appelée à se substituer au verbe, tout à la fois message et médium, présence et absence, preuve et déni de réalité[15].

Car enjeu de ce manque, enjeu de ce voir nous ramènent alors, en ce désir de figure qu’est l’espace pictural, scénographique ou narratif, à la question complexe de l’épreuve de réalité ; ils nous ramènent à la question toujours refoulée mais toujours lancinante du rapport des allégories, des personnages, des inflexions de la fiction aux peuples réels, ce référent indécidable[16] nouant de façon intense, profonde, tenace conflits idéologiques, conflits politiques et finalement conflits d’expérience[17].

Peuples de l’art, le syntagme peut aussi renvoyer aux interrogations menées autour des thèmes d’une esthésis populaire, sachant que dans cette association de termes, une autre strate de l’existence et de la compréhension du populaire, est alors conviée, à savoir celle de l’ordinaire[18]. Questionnement parent mais toutefois distinct constituant la trame d’une dizaine d’articles du premier volume de ces Actes, rassemblés dans le chapitre intitulé Esthétique et cultures populaires pour la plupart d’entre eux, mais pas exclusivement, les frontières thématiques d’un texte étant toujours  modulables.

La notion étroite d’Art évoque couramment des savoir- faire autonomes, des auteurs et des ouvrages consacrés, cette optique masque toute la part des esthétiques ordinaires, celles issues des quotidiens populaires, parfois porteuses de longue mémoire, sédimentant sans porte-parole ni caméra, des sens anthropologiques vivants et anciens, arrimés aux maisons[19], aux nostalgies, aux chants, aux jardins. Le choix initial des peuples de l’art invitait alors à une exploration autrement plus polyphonique de la logique des actes et formes artistiques.

Objets - bien flottants d’ailleurs, comme nous venons de l’apprécier- de la représentation littéraire, graphique, picturale les peuples sont aussi créateurs anonymes d’arts légers, d’arts mineurs[20], d’arts sans archives[21], s’inscrivant en prolongement direct de cultures tout aussi spécifiques, qu’universelles[22] puisque liées aux gestes du travail[23], aux émotions de l’entre soi, aux usages et jeux du corps, aux socles - ivresse de parole et de voix - des univers de l’oralité.

Pour le plus grand nombre cette expérience sensible se stylise à travers ces presque rien, cet infra-mince[24] de l’objet décoratif, des bricolages, des expressions festives musicales et dansantes, authentifiés dans la confidentialité des proches. Rares sont les créations plus intentionnellement, plus symboliquement affirmées, qui trouveront d’ambivalentes reconnaissances et visibilités- les arts modestes[25] ont leur musée - sous l’appellation d’art naïf ou d’art brut[26].

Dans les synergies actuellement ouvertes entre esthétique et société, certains de ces arts modestes, de ces arts à l’état vif[27] sont désormais pris dans des mouvements rapides de patrimonialisation, de légitimation qui en modifient le motif et l’horizon[28]. Qu’en est-il aujourd’hui, à travers ces échanges politiquement et idéologiquement impulsés entre autodidactes, amateurs et professionnels de ces nouveaux lieux et cœurs communs de la culture[29]? Puis, question d’un autre niveau, comment appréhender les déplacements s’opérant aujourd’hui entre culture de masse et culture populaire[30]?

C’est au rythme du musette que Fabienne Laurioux[31] entraîne le lecteur, dans des ambiances très codées de thés et buffets dansants prenant au bout du compte des airs de bal perdu. Ces espaces standardisés du divertissement imposent leur marque conformiste aux formes de sociabilité d’une classe d’âge dont on cherche la tournure populaire. Peut-être profondément ancrée dans les formes de passion  engagées dans cette érotique de la vie s’affirmant encore et encore ?

Toutefois si toute esthétisation de l’existence constitue bien l’un des substrats primordiaux du geste artistique, ce dernier ne saurait se confondre avec un acte de pure expressivité, n’étant pas seulement de l’ordre du sensible mais plus paradoxalement de l’ordre de sa métaphore et de son dédoublement. Aussi le point d’équilibre est-il particulièrement délicat à penser, à nommer, fragile à maintenir quand on traite de ces tissés entre esthétique et culture. La difficulté s’en trouve peut-être accrue quand on ne traite plus seulement de l’identification exemplaire à des pratiques aux résonances traditionnelles telles que le bricolage ou le divertissement mais de l’appropriation fascinée, obsédante d’objets sériels, emblèmes de la production et de la consommation de masse[32].

De l’art à la vie, de la vie à l’art, autant d’énigmatiques chassés-croisés[33] vulnérables, troublants que de jeux de manipulations possibles dont les plasticiens contemporains vont se saisir de nouvelle façon, faisant en l’occurrence des productions d’amateurs aussi bien matériau préfabriqué de leur travail que proie de leurs interventions ou installations. Les clichés de famille, ces impressions de simple convivialité de l’homme ordinaire, constituent l’un des ces documents anonymes tôt privilégiés par ces artistes anti-académiques, ce dont l’œuvre de Christian Boltanski témoigne dès ses premières réalisations. Recherche d’images ratées et floues : le texte de S. Maresca[34] analysant ces pratiques de déqualification- requalification de la photographie de famille par l’art expérimental, n’est pas sans nous rappeler et souligner sous un autre angle, cette figuration précaire du peuple dans les œuvres voire même ces scénarios de l’image confisquée des lointains amérindiens, précédemment évoqués.

Si l’écart des classes populaires aux produits culturels à forte symbolique cultivée se vérifie sans surprise[35], il n’en va pas nécessairement de même pour tous ces domaines artistiques qu’il est désormais convenu d’appeler arts du spectacle vivant. Ces derniers, quand ils s’éloignent des langages, des allégories, des scénographies les plus lettrés et de leurs filtrages émotifs les plus accentuées, seraient-ils susceptibles d’offrir les cadres d’une révélation plus authentique du populaire ?

Les peuples de l’art désignent aussi les héros organiques d’un peuple, ceux qui se détachent un peu de la foule pour venir en célébrer, consoler, chanter et dire l’histoire collective. Les peuples de l’art, ce sont alors ces individualités chamaniques issues du peuple, parfois même de sa plèbe pour en incarner la présence et la puissance tisserandes sur scène que celle-ci soit réservée aux initiés ou bien ouverte au plus grand nombre. Lorsque les gens du peuple se font eux-mêmes figures du peuple, et s’exposent en quelque sorte comme sa métaphore réalisée, que se passe-t-il ? Que voit-on apparaître, exister en ces arts de la chanson et du chant, en particulier, quand personne et personna dans la voix, tendent à se rapprocher ? Quatre articles du chapitre Gens du peuple, figures de scène cherchent à cerner ces lieux d’une expression artistique directe de la vitalité populaire.

Le conte, le rythme, le chant nous mènent parfois vers quelque strate enfouie du populaire, vers quelque rive de cette langue intraduisible des conflits culturels inconscients, ceux dont la voix nous livre la résonance et nous retient le sens.    De cette façon, c’est l’archéologie d’une plainte amoureuse, douloureuse et sacrée qui anime le cantaor. C’est sa compréhension, son empreinte qui préoccupent tout le monde flamencophile[36] soucieux de ses traditions, de ses maîtres et de ses sources tant matérielles qu’inspiratrices.

C’est de la soute d’images tutélaires sublimes et dévorantes que monte cette ambivalente fascination pour la voix chantée des femmes et ce depuis le chœur antique de la tragédie. Les chanteuses réalistes[37] des années trente du siècle dernier, vont du sein des conventions dramaturgiques de l’époque, placer leur vie sous l’emblème de leur chant, associer voix, vie et mort. Ce saut créatif poussant à l’extrême l’interprétation subjective née des codes et cadres du cabaret montmartrois, sera porté à son acmé par Edith Piaf qui va personnaliser en un alliage de puissance et de vulnérabilité, la voix du peuple tout entier. On peut d’ailleurs se demander pourquoi cette icône de la chanson réaliste qui continue également d’être une de ces icônes ancestrales du cabaret new-yorkais, ne cesse d’être convoquée, invoquée, réincarnée en de multiples spectacles comme voix du vingtième siècle ? La survivance de son mythe, la hantise du fantôme de ce miracle vocale symbolisant le peuple, seraient-ils symptômes du remords d’un monde qui tend à gommer toute idée et mémoire de ses peuples actifs et souverains ?[38]

N’en n’est-il pas de même pour cette nouvelle vague des conteurs professionnels se réclamant et se démarquant du répertoire populaire traditionnel, renvoyé à un âge d’or, étrange et étranger. Cette image du conteur traditionnel est maintenant attribuée aux conteurs d’origine souvent africaine, qui véhiculent tout ce qui caractérisait le conteur traditionnel européen, l’idée que le conte n’est pas un objet marchand, qu’il exprime la proximité, la sagesse et le lien intergénérationnel.[39] Le conteur professionnel ne doit-il pas , en effet,  ruser avec son anachronisme fondamental s’il veut accéder à des mondes de l’art, coupés des modèles et modes sociétaux de l’oralité ? Ce travail de deuil en creux des survivances ne joue- t-il pas également pour cette figure de l’Auguste, dernier personnage d’évocation populaire dans un art du cirque en voie de normalisation esthétique ? Il est vrai que le clown est déjà ce rustre, ce peuple animalisé à travers le prisme de la cruauté des rapport sociaux de classe à l’anglaise, qu’il est finalement ce paysan déjà sacrifié par la dérision et les rires.[40]

Les peuples de l’art, ce sont aussi ceux que l’on vise via des politiques culturelles centralisées, via des courants militants, via l’économie des productions standardisées à convaincre voire à capter. Depuis plus de quarante ans, dans un processus s’accélérant, la classe d’âge des 15-25 ans est devenue la cible du marketing commercial en matière de culture musicale, et depuis 25 ans celle du marketing politique.

Développement d’une scène Punk et Metal  : Gérôme Guibert, à partir de son observatoire vendéen, conclut à un plus fort investissement des jeunes de milieu populaire, dans les pratiques alternatives, les comparant aux jeunes des classes moyennes et de la petite bourgeoisie aux pratiques musicales à la fois plus clientélistes, plus consuméristes et aussi moins intensives.[41] On peut toutefois s’interroger à l’heure où un live eight - vitrine des stars du Rap, du Rock et du Folk, offre un vague protest song altermondialiste contre le sommet du G8, s’il suffit de s’approprier une musique de masse mondialisée[42] pour définir un art commun fortement signifiant[43], catalyseur à longue portée, de résistances vigoureuses et clairvoyantes ?

Incitation au travail coopératif des peintures murales proposée par le bario cultural arts en direction de la communauté mexicaine de cette grande ville du Sud-ouest des Etats-Unis[44] ; modèle de la fête civique et du théâtre antique au T.N.P : cet idéal du lien et du lieu artistiques pensés comme bien commun se maintient à travers le temps et l’espace[45]. Théâtre bourgeois qui divise, théâtre républicain qui rassemble à travers un dispositif d’accueil, de fidélisation, de formation critique du goût : l’expérience de Jean Vilar s’inscrivait au cœur de cette intervention militante à visée émancipatrice, tournée vers le public virtuel d’une société salariale, vers un populus qu’il s’agissait d’amener au partage culturellement et politiquement unifiant des classiques. Le travail de Jean Vilar à forte efficace d’identification, nous donnait à saisir, le public populaire comme fiction sociale réalisée.[46]

Cette traversée des textes qui a prévalu au montage final garde les tracés de l’échafaudage proposé dans l’appel à communication qui fut collectivement élaboré au sein du Lestamp. Elle s’en écarte pourtant. Distance du temps. Effet différé des textes, essai de réappropriation, de recomposition personnalisée du corpus que le lecteur est invité à réinventer à son tour.


Joëlle-Andrée Deniot
Professeur de sociologie à l'Université de Nantes
Habiter-Pips,  EA 4287
Université de Picardie Jules Verne - Amiens



[1] Clara Levy, Les figures populaires dans l’œuvre d’Abert Cohen, tome 2, p.225-238
[2] Dominique Loiseau, La classe ouvrière ira-t-elle au paradis ? Notes sur quelques films récents, tome 2, p.163-171
[3] Florent Gaudez, Du « Che » au « Sub » via « L’enchanteur » : L’imaginaire et la révolution Chez Julio Cortàza, de la « Réunion » à « Ya ¡ basta ! », tome 2, p. 267- 290
[4] Christophe Lamoureux, « Nous avons gagné ce soir…» : le peuple et ses champions dans le cinéma de boxe, tome 2, p. 95-128
[5] Jean- Philippe Chimot, Daumier, Tardi, Watkins, tome 2, p. 15-32
[6]Catherine Dutheil-Pessin, Francis Carco, un passeur du peuple, tome 2, p. 185-198
[7]David Morin-Ulmann, Du grand public aux amateurs d’exubérance : Scarface, une figure savante du populaire, tome 2, p. 145-162
[8] Jean- Pierre Esquenazi, Peuples sériels, tome 2, p. 129-144
[9] Anne-Sophie Petit-Emptaz, Paul Klee : quelles figures pour quel peuple ? tome 2, p. 33- 52
[10] Christine Dussud, Les antihéros du théâtre de Samuel Beckett : peuple ou condition humaine, tome 2, p. 239-250
[11]Sandrine Gilbert, Les «ouvriers » de Rimbaud : figure de l’adolescent,  figure de l’insurgé, tome 2, p. 215- 224
[12] Catherine Perret, Les porteurs d’ombre, Mimésis et modernité, Paris, Belin, 2001
[13] Christian Vogels, Les cathos du caté, tome 2, p.71-94
[14] Catherine Perret, op. cit.
[15] Thierry Roche, Les indiens à la difficile conquête de leur image, tome 2, p. 53- 70
[16] Olivier Majastre, A la recherche de l’objet perdu, tome 1, p.301-311
[17] Bruno Péquignot, Alain Pessin, Que mettons-nous sous la notion de peuple ? p. 273-300
[18] Stéphanie Tralongo, Des lectures qui aident à vivre : les réceptions de l’œuvre de Christian Bobin, tome 2, P. 251-266
[19] Anne Chaté, Les noms des maisons, entre signes et signatures, tome 1, p. 49-62
[20] Au sens surtout de plus caché, de moins triomphant, comme ces poètes mineurs dont Jacques Borel (Sur les poètes, Champ Vallon) rappelle que plus secrets, ils se donnent à lire, à entendre … comme en se retirant
[21] Nous rappelions dans l’appel à communication cette difficulté propre à l’objet étudié dont les incertitudes méthodologiques tenaient au phénomène récurrent d’une béance des sources et d’une vision toujours très lacunaire des traces.
[22] Claude Javeau, Le bricolage de l’esthétique des décors quotidiens, tome 1, p. 33-48
[23] La faible part accordée aux objets matériels dans ce panel de textes consacrés aux arts populaires, constitue toutefois une surprise.
[24] Terme lié à l’énigmatique définition que Marcel Duchamp donnait à l’activité artistique. Terme emprunté et dérouté.
[25] Terme officiellement accolé aux actuels musées du même nom
[26]Carole Launai, De la bricole à l’œuvre : la création d’objets en milieu populaire, tome1, p.63-86
[27] Isabelle Papieau, Le graffiti : art brut ou esthétique de l’ancrage, tome 1, p. 21- 32
[28] Isabelle Kauffmann, Eléments pour une histoire des relations entre le politique et la danse hip-hop, tome 2,
[29] Dominique Cochard, Braderie de l’art : une pratique populaire, une légitimation ? tome 2, p. 337
[30]Fabienne Soldini, Les lecteurs de fantastique : pratiques hiérarchisées au sein d’une littérature de masse, tome 2, p. 199-214
[31]Fabienne Laurioux, La valse à l’envers : petites observations ethnographiques d’une danseuse sociologue… tome 1, p. 87- 104
[32]Nathalie Halgand, La passion de l’objet : le cas de l’automobile, des œuvres à quatre roues, tome 1, p. 125-138
[33]Viginie Péan, Un enthousiasme à l’épreuve du temps : les jeunes plasticiennes nantaises et leurs créations, tome 1, p. 243-255
[34] Sylvain Maresca, Le recyclage artistique de la photographie d’amateur, tome 1, p. 255-274
[35] Isabelle Charpentier, Réseaux de sociabilité, circulation matérielle et symbolique des produits culturels en milieu populaire, tome 1, p.105-122
[36] Eve Brenel, L’apprentissage des chanteurs de  flamenco ; de la fête à la scène, devenir « bon aficionado » tome 1, p. 171- 186
[37]Plus globalement le rapport du populaire à l’art, ne repose-t-il pas malgré tout, la question d’un art réaliste à redéfinir dans la complexité, au delà des instrumentations dont il fut l’objet ?
[38] Joëlle Deniot, Elles s’appelaient Rose, Nina, Pauline ou Louise… , tome 1, p.139-170
[39]Sophie Hernandez, Le conte spectacle : un art entre intimité et visibilité, tome 1, p.187-202
[40] Sylvain Fagot, La figure populaire du clown : pour une histoire populaire des clowns, tome 1, p. 203-214[41] Gérôme Guibert, Reste-t-il une place pour une expression musicale de la jeunesse populaire ? tome 1, p.215-242
[42] Philippe Le Guern, De l’amour de l’art ou du… : les fans, un objet problématique pour la sociologie de la culture et des medias, tome 2,
[43] Sur ce thème du commun, cf Jacky Réault, Le commun, appel à contribution, revue en ligne Pour un lieu commun des sciences sociales,  http://www.lestamp.com , rubrique de la newsletter, Juillet 2005
[44]Jeffrey A. Halley et Avelardo Valdez, Les intellectuels organiques et la culture « ethnique-populaire» :vers un modèle alternatif de centre culturel et artistique communautaire, tome 2, p. 313- 336
[45] Linda Idjeraoui, Jean Davallon, Marie-Sophie Poli, Peut-on parler de dimension esthétique dans les musées dits de société ? tome 2,
[46] Laurent Fleury, Le public populaire du T.N.P de Vilar : une catégorie réalisée, tome 2, p. 291-312



Joëlle-Andrée Deniot
Professeur de sociologie à l'Université de Nantes
Habiter-Pips,  EA 4287
Université de Picardie Jules Verne - Amiens


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.et c'est reparti pour une nouvelle année !

2013

Non, Mycelium n'a pas encore 

dit son dernier mot.

Meilleurs voeux à tous

contre vents et marées..

Laurent Danchin & Jean-Luc Giraud

Au sommaire un débat ouvert enfin sur l'ainsi nommé

ART CONTEMPORAIN


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